Béatrice Lukomski-Joly


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Les amis et les doigts

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Image propriété personnelle non libre de droits

 

Discussion avec mon fils

« Combien d'amis ne t'ont pas tirée dans le dos, maman ?

Combien t'ont utilisée ?

Combien d'amis as-tu aidés ?

Combien de gens croisés ont reçu tes largesses de cœur ? »

J'ai alors regardé mes mains et ai compté le nombre de doigts qu'elles avaient comme si personne ne me l'avait appris et ai répondu :

« Combien ai-je de doigts, mon fils ?

Cinq à une main, cinq à l'autre main.

Est-ce que cela me fait dix doigts ou deux fois cinq ? Nous avons tout à la fois cinq doigts et dix doigts mais cinq sont autonomes et dépendants les uns des autres sans être dépendants des cinq autres.

Si je fais le parallèle avec ta question qu'en est-il ?

Je n'ai que deux doigts pour amis à une main et sur l'autre mains j'en ai cinq qui ne me servent pas en qualité d'amis car tous les autres regardent ces deux la, mais les deux aiment les huit restants, c'est pour cela que j'écris car je n'ai besoin que de trois doigts pour tenir un crayon, l'un d'eux est donc un faux ami et pourtant il tient solidement ma plume.

De quoi ai-je alors besoin d'autre puisque trois et huit sont des nombres parfaits et que les dix se trouvent dans mes écrits pour faire l'unité absolue ?

Vois-tu, mon fils, si tu n'es pas l'architecte de tes doigts, qui le sera à ta place quoi que fassent tes doigts armés de ta seule volonté car il n'y a de mouvement sans que tu n'aies voulu les bouger.

Il en est ainsi des amis. Aucun ami n'est indispensable et tous pourtant le sont. Si tu attends un mouvement des doigts des autres, c'est que tu n'as pas compris que seule leur volonté est à l’œuvre et qu'en cela tu ne peux rien vouloir pour eux et tes doigts ne peuvent vouloir pour l'autre ce que tu espères d'eux.

Ce n'est pas être aimé qui importe, c'est l'amour que tu auras déployé de toute ton âme pour ceux qui t'aiment sans rien attendre en retour et surtout pour ceux qui ne t'aiment pas car c'est de ceux-là que tu es riche. Là est la clef de la volonté dans l'adversité.

C'est en cela que les amis-ennemis te servent et ceux rares qui aiment ne servent que le Christ. »

Photo floue car la vitre était pleine de reflets :

Tableau à l'huile appartenant à ma fille Julie et me représentant en mai 1983 en train de lire Rudolf Steiner au bord de l'étang des Lésines à Hauteville - Ain -

BLJ

Une saint Jean flamboyante

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

 

Virgile a laissé sa robe blanche,

entre deux cieux l’a remise aux gueux,

aussi à Dante qui se réveille,

flamboyants parce qu’ils sont.

 

Entre deux vers poétiques rimés

se tendent la main, le sourire chaleureux,

l’un donne, l’autre reçoit.

Ainsi se vérifie la vérité.

 

Allant vers la saint Jean rayonnant

en plein juin irisé de soleil,

Hélène a soif, Johan aussi,

place du Châtel pensent à Perceval.

 

Ils sont trois comme toute trinité

en ce jour de fête sacrée.

Donner à boire à celui qui a soif ;

relever la tête et voir le soleil.

 

Virgile n’est plus Virgile,

Dante ne l’est davantage

non loin de la maison romane

portant son saint esprit en son sein.

 

Jean-Baptiste attend, veillant

le poète venu impromptu

l’embrasser en souvenir de sa naissance

un lointain jour resté présent.

 

Le roi Arthur s’est tu, observant

ces nouveau-nés joyeux

assis sur la pierre sans âge

qu’il ouïe la question.

 

Les Écoles passeront lointaines

si elles ne sont pas fécondées

de lumière en ce jour sacré

que le recevoir a redonné au don.

 

18 juin 2022

 

https://www.auction.fr/_fr/lot/francois-lafon-paris-1846-vers-1920-dante-et-virgile-sur-les-rives-du-14652777

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Lafon_(peintre)

Ce blog

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Vous êtes nombreux à surfer sur ce blog, à le partager en un ou plusieurs articles, parfois aussi avec une chanson ou un opéra. Je tiens à nouveau à vous remercier, car sans vous ce blog serait mort depuis longtemps.

Vos présences me réchauffent l'âme et me poussent à continuer de publier à cet endroit de l'internet.

BL

Le cercueil plein

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

"Les corbeaux" Vincent van Gogh

 

Une harpie se dit douce complice.

On voulait bien y croire, la croire.

Elle y mettait du cœur, du devoir,

du cœur dans le méfait, la malice.

 

Tous ignoraient sa face cachée,

tuant l’amie et la trépassée,

d’un pic d’ aiguille en plume noire,

à la main un massif étouffoir.

 

Le mot offensant, le cercueil plein,

obstinément blessant, vraiment plein,

la rage gommait son trait chiffon

pour exprimer sa bonté sans fond.

 

Elle dit qu’elle pleurait, la larme

à l’âme dévastée, telle une arme,

tourbière dans la baie assassine,

sainte à enlaidir dans la bruine.

 

Méfiez-vous toujours des complices

qui de jalousie tuent de malice

amis, frères, mères, moines, sœurs

pour leur grand fol orgueil oppresseur.

 

Jana M

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

 

( Jana M est l'histoire d'une jeune femme amie, ayant vécu la guerre civile du Liban et décédée en cette guerre à l'âge de 27 ans : début d'un récit, un récit qui s'est imposé suite aux nouveaux événements tragiques d'un pays Liban, parce que depuis environ six ans Jana M habille mes rêves la nuit, de nuit, comme pour quémander ce qui ne fut pas et aurait pu être, la suite de sa destinée. Intriguée, suite à tant de rêves d'elle, j'enquêtais sur son existence pour apprendre finalement qu'elle était morte, donc pour moi en vie dans l'En Haut invisible. Cette mort vue dans le sens d'une âme communiquant avec moi devenait donc une réalité. Mais pourquoi ? Et pourquoi l'apprendre si tardivement ? Elle avait disparu en 1982 sans que je n'en retrouve trace.

Voici le début de ce récit dont la suite, comme à mon habitude, se fera attendre sur le blog, n'en dévoilant que des fragments avant qu'il ne soit publié. Travaillant parallèlement plusieurs écrits, je passe de l'un à l'autre car ces deux écrits m'habitent.)

Beyrouth !

Mot rimant avec déroute, écoute, route, redoute, burn-out, doute, voûte !

Je me demande quelles rimes utiliser pour mieux te décrire Jana M. et celles qui pourraient te définir en ce Liban qui est et fut ta patrie. C’était il y a longtemps. J’ai vieilli avec ce souvenir, avec toi, sans rien comprendre, tant il y avait de questions que l’époque n’aurait pas su résoudre.

1976, une rencontre ; 1982 un départ ; 1987, une fin.

Presque dix ans pour l’histoire que je connais de Jana M.

2020 ! 2020 te rapporte à mon souvenir, creusant sa faille mémorielle, parce que Beyrouth, à nouveau, souffre.

Soufflée ! Dévastée ! Défigurée ! Démembrée ! En vie !

Tu m’as liée à ta ville par ta seule présence à mes côtés, me parlant d’elle souvent, peignant ses attraits féminins, parlant rarement de ses désastres, comme si tu n’avais jamais voulu rien en dire car n’en disant rien finalement. Il m’a fallu des années, des décennies, pour comprendre, te comprendre, dénouer tes noeuds, surtout comprendre le sens de tes mots, surtout de tes non-dits. C’était toi, Jana M.

La guerre !

J’ai souvent voulu écrire ton histoire, ou plutôt la nôtre, pour ne jamais oublier comment je te connus, comment et pourquoi nous étions devenues amies. Je ne l’ai jamais fait, car l’histoire était criblée de balles, trouant un espace de cette mémoire qui ne peut être soignée, la balle sifflant encore au travers de ma porte en ta survie. Oh non ! Pas ma porte physique ! Mais celle de la porte de l’âme ! Partie, je ne sais où, sans que tu n’expliques, mutique, comme souvent, je te vis, tu disparus de mon horizon sans qu'aucun mal n'ai été commis, sinon le temps qui manque. J’ignorais si le tien était de retour au Liban ou si tu étais ancrée dans la vie parisienne que nous avions imaginée, élaborée, rêvée. Rue Émile Zola dans le quinzième arrondissement, dernier étage, sous les toits, chambre de bonne avec kitchenette, douche et WC, c’est notre mémoire. 1978 à 1981. C’est là chez toi, pas loin du Champ de Mars. Avant cela, c’est un internat au Lycée Thibault de Champagne à Provins, un palais vieux de presque huit cents ans, devenu Lycée de gens huppés, nous dirions peut-être « bobo » aujourd’hui pour d'autres, je ne sais ! En tous cas la population locale et surtout celle des élites sociales, politiques, artistiques, dont tu faisais partie. J'étais de ceux qui habitaient un petit village voisin et qui se rendaient dans ce lycée car il était de mon secteur. 

Je regarde un nuage statique dans l'immensité bleue. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé regarder le ciel, aimer lever mes yeux, sentir leur parole de ciel qui n’a pas d’autres noms que celui de ciel sinon ceux de chacun, de tout, de toi, Jana M. Jana M ! Je connais des noms de famille et je ne prononce pas le tien, peut-être parce qu’il est si connu que je ne m’en sers pas, habituée à ne rien dévoiler des gens connus côtoyés, parce que c’est une forme d’humilité à laquelle je me suis toujours obligée. M. C’est bien, M. ! Une lettre appelant le verbe aimer, qui est le verbe de la majuscule, le son de son verbe, son écho, sa mesure. Elle restera Jana M. Beyrouthine.

- Je n’ai pas ton adresse à Beyrouth. Tu n’as jamais voulu me la donner.

- Tu comprends ! m’avais-tu répondu.

Comprendre ? Quoi ? Non, je n’avais pas compris. Mais cela m’était égal.

 

II

1976 ! C’est cela, dis !

1976 ! Le lycée en cours d’année ! Thibault de Champagne ! C’est son nom ! Des vieilles pierres ! Des vieux murs ! Des meurtrières qui se sont tues ! Un long et lourd passé ! Des croisades ! Le royaume de France en terre d’Orient ! Une nouvelle dans la classe ! Une qu’on ne connaît pas, qu’on n’a jamais vue, qui vient d’arriver mais qui n’intéresse personne, car personne ne la voit et pour cause, elle est noyée dans ses cheveux, ses longs cheveux noirs ondulés jusque dessous les épaules, des cheveux posés comme deux rideaux masquant une fenêtre, opacifiant davantage des vitres déjà opaques. La terre d’Orient en France ! C’est Jana M. C’est la rose de Damas revenue dans des longs cheveux noirs ondulés, étouffant le visage, masquant les yeux, bloquant la respiration, la personne qui n’est personne, qui ne veut pas être vue ni être remarquée, rien ! La mort ! La mort sous une écharpe longue et noire comme si les longs cheveux ne suffisaient pas pour exprimer l’inexprimable que Jana M veut qu’on devine. C’est l’image qui me reste de Jana à son arrivée dans la classe au lycée Thibault de Champagne. Provins. Beyrouth. Beyrouth à la porte de la Syrie, sur le chemin de Damas, sur la route de Saint-Paul. Provins de retour de Damas, Thibault la besace pleine de chants pour sa belle ! Blanche ! Blanche de Castille ! Jana est aussi noire derrière ses cheveux étalés que Blanche devait l’être sans qu’on n’en ait jamais rien su. La cloche sonne l’interclasse et Jana se faufile à pas souples de velours dans le couloir du grand bâtiment courbe qui surplombe la ville sans lever la tête afin que personne ne l’approche ou n’en ait l’idée. La mort a une odeur et son parfum pourtant est celui du jasmin de ceux qui signent l’Orient.

Interclasse, puis cours d’anglais. Jana se place dans la classe, choisit une chaise au dernier rang du double cercle qui fait une table ronde. Jana écoute. Jana se tait. Jana continue de se cacher derrière ses longs cheveux qui ne quitteront que rarement la face de son visage. 1976 ! C’est l’époque des années ou personne ne pense à se saluer plus que ça, à oublier qu’il est important de se présenter ou de présenter l’autre ! Personne ne la voit et pourtant elle est là. Fin de cours. La cloche sonne à nouveau.

- Que penses-tu de la nouvelle ? me dit Yves, notre professeur d’anglais. Sais-tu d’où elle vient ?

- Je ne vois qu’une masse sombre cachée dans un trou noir, qu’une lumière éteinte, une bougie sans flamme, ai-je répondu à Yves. Qui est-ce ? Dis-moi !

En ces temps-là encore, si souhaiter la bienvenue n’était pas de mise par simple inculture, nous avions par contre signé le début des amitiés avec nos professeurs que nous tutoyions lorsque nous avions des affinités culturelles et humaines. C’était un autre temps, une autre culture, dans lesquels il y avait quelque part une guerre civile, une guerre au Liban et j’appris que Jana M venait de là, de cet enfer, de ce trou noir, de ce vide. Cœur de la guerre ! me dit Yves, elle semble inabordable, ajouta-t-il. 

- Elle est arrivée d’hier soir ? demandai-je à Yves ? Je lui ai dit bonjour mais elle ne m'a pas répondu comme si elle ne m'avait pas entendue.

- Oui ! Elle est interne au lycée. me répondit-il. Nous ne savons pas grand-chose, sauf qu’elle fuit les bombardements.

En fait, il ne souhaitait pas que j’en sache davantage et moi non plus d’ailleurs. Je n’ai jamais cherché à savoir, ni n’ai questionné si la personne n’évoquait rien en face. Savoir simplement qu’elle fuyait la guerre me remua profondément. C’était me plonger soudainement dans le souvenir de Ti- Lienne H qui avait fui la guerre du Viêtnam en 1965 et que j’avais prise sous mon bras pour lui redonner le sourire, car personne ne voulait aller au-devant de la guerre stigmatisée en les traits de l’autre. Nous avions huit ans. Je le pouvais et je ne sus jamais pourquoi cela m’était possible.

La guerre ? Je l’avais donc déjà rencontrée en Ti-Lienne H. Elle ne m’était donc pas inconnue quand bien même, je ne l’avais pas vécue en ma chair. Je la voyais en le corps de l’autre dans son esprit qui la relatait par les gestes autres que ceux qui ne l’ont pas vécue ne peuvent avoir. Je reconnus en Jana ces mêmes gestes, et surtout cet effroi qui ne sait plus se dire : Observer furtivement et sans relâche derrière des cheveux dénoués. Marcher d'un pas léger pour ne pas se faire entendre. Frôler les murs en se déplaçant même si ils savent que là, ils ne craignent rien. L'habitude est ancrée dans le corps et le corps interagit avec le mur. Sursauter lors d'un bruit. Durcir le regard en signe de méfiance et de question. Enfoncer la tête dans les épaules. Avoir huit ou seize ans, le langage du corps est le même lorsque l'âme a compris la guerre. Fin de soi sur terre, peut-être ! Tout autre est un ennemi potentiel, même ailleurs, même dans des pays en non-guerre. Déviation des logiques, la pensée est tissée de combats, de luttes, de peur, de terreur, ou chaque chose et chaque regard sont des armes létales ou pouvant l'être.

Yves avait dit à Jana de me chercher ce qui était curieux puisque nous étions dans la même classe, classe de Lettres. Il avait dit encore que je ne fréquentais  pas toujours le lycée, préférant les vieilles pierres et les champs, comme si je pouvais disparaître pour toujours d'ou l'idée de me chercher probablement.

 

Photo personnelle.

Quand nous avons eu des amis nés de la guerre, aucun autre ami ne peut rivaliser avec les forces de ces amis-là, dans leurs craintes exacerbées. J’avais eu Ti-Lienne, J’avais désormais Jana M. Ces amis-là signaient aussi les jours impromptus dans des actes en décalage avec la réalité qu'eux seuls comprennent. Tout est urgence. Rien n’est paix. Tout est affolement. Rien n’est silence. C’est ce que nous découvrons jour après jour et il nous faut faire d’immenses efforts pour se hisser à la hauteur de leur drame afin de comprendre ce qui n’est pas toujours possible tant leur souffrance et leurs souvenirs sont la mémoire unique. Une forme de paranoïa s’incarne et justement les dirige sans que nous puissions les convaincre qu’il n’y a pas mal-intention.


à suivre

 

https://philippe-rochot.piwigo.com/index?/category/8-guerres_au_liban

 

 

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