Béatrice Lukomski-Joly


Ma page Facebook Ma page Facebook

Préambule au "sentier"

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Le sentier est l'histoire d'une initiation par l'épreuve subie. Ces épreuves sont croissantes.

Le début est lent, presque monotone, car le sentier se mérite. Ne peut continuer sur le sentier que celui qui ne se laisse pas envahir par la monotonie du quotidien, ne partant de rien pour aller vers rien. Le sentier est le chemin ardu de ceux qui veulent savoir ce qu'est la vie, et ce qu'elle enseigne dans ses épreuves, d'où l'extrême lenteur du début du récit, avec quelques rares rencontres utiles qui, d'emblée, lui feront se poser quelques questions qui semblent sans importance, mais qui s’avéreront indispensables par le fait de l'observation.

Le narrateur demande régulièrement au lecteur s'il veut suivre le chemin ou s'arrêter là ! Que le lecteur s'arrête en chemin, qu'importe ! car le néophyte va aller croissant sur son sentier et y rencontrer foule d'amis qui sont des pierres, des fleurs, des falaises, des hommes dont la laideur et la méchanceté est sans bornes, des êtres angéliques, et l'Homme qui apparaît à la fin du récit dans la plus belle des élévations. Cependant le narrateur a, à coeur, de vous emmener  avec lui affronter la laideur du monde pour y découvrir ce qu'elle revèle de beauté car tout mal cache un bien..

Tout le long du sentier apparaît, en même temps qu'un être angélique, un serpent qui veut le détourner du chemin, l'attaque, ou lui fait moult éloges, espèrant le déstabiliser, lui faisant miroiter la beauté de la lune noire pour délaisser la puissance du soleil, source de toute vie et de toute initiation.

Le promeneur en quête de vérité est Jean Christophoros de Lebenkreutz...

Nul ne s'attend à la fin du récit. Elle n'est pas ce que le lecteur attend, car le serpent se dresse encore et encore. Et cependant le sentier s'achève dans toute sa splendeur...mais chut !

Un poème clôture chaque chapitre.

 

Pour acquérir le livre, suivez ce lien, c'est ici : https://www.amazon.fr/dp/1081981881/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=le+sentier+beatrice+lukomski+joly&qid=1563865017&s=gateway&sr=8-1&fbclid=IwAR2LyLe3RQc49rDkVPjJo6QRRgSYGttvtZi0XOphBvIJzcm6XfJZFG_fwPY

 

"La grande marche" de "Tannhäuser" de R.Wagner

Préface - Pascal Renard -

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Vous allez entrer dans un récit poétique dont le mystère le dispute au mystique. Vous en sortirez transformé ; le plus souvent à votre insu. Les fruits seront nombreux et sans nul doute féconds ; ils parleront clairement à votre inconscient.

Il est devenu banal de parler à notre époque de chemin initiatique. Pourtant, ce texte présente ce qui semble bien être un tel chemin dans l'acception véritable de ce terme galvaudé. Il donne à nouveau de la valeur à ce cheminement déprécié. Laissez-vous guider par la main de l'auteure. Vous serez ravi (dans tous les sens du terme). Les clefs sont disséminées un peu partout. A vous de les utiliser pour comprendre.

Il faut pouvoir pénétrer dans les arcanes de ce texte pour saisir la portée du parcours de ce héros guidé par les êtres qu'il rencontre sur son chemin extraordinaire. Cette fiction peut réellement être vécue intérieurement par celui qui s'attache à ses pas. Vous prendrez alors conscience d'entrer dans un monde spirituel tangible. Le dénouement inattendu vous paraîtra cependant évident tant ce qui le précède y même phrase après phrase. Mais chut ! Ne gâchons pas votre plaisir.

Les étapes de votre lecture vous conduiront au cœur de l'Esprit tout en restant dans le monde physique. Ne vous y trompez pas, des efforts conscients vous seront nécessaires pour déchiffrer les énigmes présentes dans cet ouvrage ; celui-ci est issu de la Source. Pourquoi cette majuscule ? La main de l'artiste qui a produit cette œuvre magistrale, a été parfois inspirée par des êtres qui, même s'ils ont vécus sur terre, l'ont quitté depuis bien des années et sont proches des consciences qui nous inspirent, nous guident et nous protègent. Il ne s'agit pas ici de dire que l'auteure n'est qu'un médium. Elle est bien plus que cela. C'est un écrivain qui peut prétendre à être reconnue universellement. Ce n'est pas faire injure à son égo que de mettre en exergue cet esprit brillant. Vous jugerez par vous-même ; mais j'ai confiance.

Peut-être serez-vous dérouté par le style et la forme du texte tant ils sont originaux par bien des aspects. Vous ne trouverez nulle part cette finesse d'expression et de présentation des vérités poético-spirituelles ; à l'exception  des "Drames Mystère" de Rudolf Steiner duquel notre auteur est une franche admiratrice.

Au cœur de cette fable mystique est le MOI. L'être profond de chacun d'entre nous. Un respect profond est nécessaire pour en comprendre les arcanes. Chercher sa trace parmi les différents chapitres qui se dérouleront devant vos yeux est une tâche à laquelle il est nécessaire que vous vous adonniez pour goûter la vérité qui vous est offerte. Ce Mystère qui fait de nous ce que nous sommes est ici mis en scène habilement dans les aventures multiples du personnage central. Mais ne vous attendez pas à un scénario digne des films hollywoodiens. Si c'est le cas, passez votre chemin car vous perdriez votre temps. A contrario, si vous êtes séduit par les textes profonds présentant des énigmes à plusieurs faces, alors vous tenez entre les mains l'ouvrage qu'il vous faut.

Dés la dernière page lu un livre reste silencieux.

Ce n'est pas le cas de celui-ci : sa lecture engendre un effet comparable à l’expérience de lecture d'un texte sacré ; en effet, la compréhension intime des vers laissent une trace qui permettra à certain de préparer un terrain psychique favorable au développement spirituel. Cela vous paraîtra sans aucun doute osé. Je vous invite donc à le lire et à vous faire votre opinion.

L'auteure est habile à nous conduire. Elle s'est exercée dans son art depuis de nombreuses années même si l’anonymat est son lot quotidien. Je vais laisser sa plume s'exprimer avant de froisser davantage sa modestie.

PR

troisième chapitre " Le sentier"

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Je marche, pieds nus. J'ai jeté mon manteau de laine dans la chênaie des verts feuillages, sous l'arbre dans lequel le gui épouse la branche, là, juste au-dessus de ma chevelure que les années ont élaborée de finesse. C'est mon troisième jour de marche.

Je marche ; je marche en été, habillé de la chaleur de juillet qui se loge dans mes vêtements blancs. Je marche vers l'Orient, car je suis l'Orient dans l'Occident ; là, où le cœur se lève ; là, où le cœur parle à l'Esprit ; là, où le cœur est une force en marche. Je traverse l'Occident pour comprendre mon Orient. L'Orient en moi. L'Orient de mon cœur, celui de l'entité solaire, du sacrifice ultime. Je n'appartiens qu'à moi. Je ne suis d'aucune obédience, car j’obéis à mon cœur. Je ne suis d'aucune loge, car je veux rester libre de trouver par moi-même. Je ne suis d'aucune religion, car je suis toutes les religions. Je ne suis d'aucune maison, car je suis ma maison. Je n'ai qu'un seul toit ; c'est la voûte étoilée au-dessus de moi. Je n'ai qu'une volonté, celle d'aller vers la vie et d'en comprendre son essence. Je n'ai qu'une demeure ; elle est mon corps qui me sert pour apprendre de la vie. Je n'ai qu'une pensée, la philanthroposophie* que je créée en moi chaque jour que je vais, pieds nus. Je marche. Je cherche l'Orient en moi. Je vais vers ma noce, ma noce chimique, de la même manière que la coupe de ma pierre philosophale en ma pierre végétale, que j'ai blessée sans la comprendre, s'est donnée à moi. Soudain, la honte me prend par ses rênes. Comment ai-je donc eu besoin du regard de cet ami bien-aimé pour comprendre ce simple caillou d'apparence ? N'avais-je pas l'aptitude à le comprendre par moi-même ? Il me faut voir, puis observer.

J'ai gardé une vilaine cicatrice sur mon orteil qui me rappelle ma relation à la pierre. Mieux ! Elle s'est modelée en ma pensée. Je ne vois plus, depuis ce jour, une pierre sur mon sentier, sans que je ne la revoie dans sa splendeur. J'ai appris d'elle, tel un maître nous enseigne sur les bancs de l'école. J'ai une immense compassion. Oh ! elle ! dure comme le fer ! tendre comme l'amour, si gracieuse à mes pas ! Aussi, me suis-je mis à l'aimer, vaste comme le cœur peut aimer, lorsqu'il a appris à adorer.

Un acte est toujours une volonté personnelle que nous avons voulu voir émerger de notre inconscience. Je ne suis déjà plus le même. Si un serpent dort, tout en veillant sur une pierre couchée, je passe mon chemin en lui disant que je l'ai vu me guetter, sa peur au ventre, sa langue prête à distiller son venin. Il n'aime pas ma lumière. Il n'aime pas que je le remarque. Il me craint. Il déteste que je le reconnaisse, et simultanément, il est rassuré dans sa grande ambiguïté. Veut-il attaquer, qu'il espère des hommes leur réveil pour que son ventre blanchisse. Ce qui l'agace profondément est que les hommes se fichent complètement de sa délivrance, aussi pique-t-il toujours davantage pour éveiller les hommes à sa nature qu'il espère voir transformer. Qui voudrait ramper sans cesse ? Personne ! pas même lui ! Sa colère est magistrale. Voulez-vous me comprendre, semble-t-il nous raconter à chaque morsure, qu'il vous faudra accepter d'être mordu cent fois, avant que je ne devienne bon, parce que vous l'aurez décidé ! Je vous ferai pleurer tous les flots de la terre pour que je puisse, un jour, relever ma colère que vous n'avez pas voulue voir. Ma liberté choisie pour être le mal fut un cataclysme d'opposition que j'en suis resté serpent. Je rampe à l'infini jusqu'à ce que les hommes me reconnaissent. Qu'ils ne me reconnaissent pas et je resterai serpent. Je deviendrai dragon. J'aurais autant de têtes que mon maître dans le mal.

Le saviez-vous ? Il est l'anti-tout que vous combattrez avec moi, la sueur au front, la transpiration coulant le long de votre dos ; celui qui nous veut semblables à la roche qui n'a pas de cœur étincelant ; la seule qui est creuse s'emplissant de la haine des uns, des autres. Oh ! Je vous dis anti-tout ! Mais que dis-je ? Faux ! Il est l'anti-Amour ; c'est cela l'anti-tout ! Là, où Amour n'est pas, meurt votre monde. Soyez prudents lorsque nous serons dans la fosse, car je n'aurais pas le temps de vous parler ni le temps de vous voir  ! Je vous aime.

Le serpent déguerpit et regagne son rocher. Je marche seul. Ah ! pas vraiment, vous me suivez, curieux de savoir.

Je dois vous dire qu'en marchant seul, j'ai perdu l'organe de ma voix sur le chemin des arbres, des clochers, des vertes vallées, des plages blondes, car mon autre ami aux cheveux mordorés ne s'est pas re-manifesté depuis que j'ai heurté ce caillou. À ne pas parler, nous réfléchissons mieux que lorsque nous nous perdons dans le brouhaha de la vie. Il faut se racler la gorge pour pouvoir émettre un son quand nous nous sommes tus longtemps. Les cordes vocales inactives entament la lente descente vers l'impossibilité de les utiliser. Je marche. J'ai perdu ma voix, à force de marcher seul, sans parler à un homme. Nous ne sommes pas faits pour marcher seuls. Je rêve de parler avec quelqu'un sur mon chemin. Personne d'humain ! Seuls, mes guides ! La voix de l'Esprit. Quand verrai-je un homme, une femme, venir à moi ? Quand déciderai-je de renouer avec mes enfants pour leur révéler tout ce que j'ai vu et appris ?

Pourquoi votre silence ? Pourquoi ne me répondez-vous pas ? Vous lisez ! Je lis ce que vous lisez chaque fois que je suis en haut.

Où sont allés mes enfants qu'ils n'ont pas voulu me suivre ? Je les ai perdus de vue. J'ai perdu ma voix et j'ai trouvé ma voie. J'ai perdu mes enfants, et mes enfants m'ont trouvé dans leur vieillesse. Je suis si vieux ! Ils sont vieux. Ils n'ont pas encore pris le chemin qu'est mon sentier. Je sais qu'ils le prendront plus tard. Je sais déjà que ce sera pour leur vie prochaine quand le ciel aura vendangé leurs âmes pour qu'esprit jaillisse. Y en a-t-il un qui entrevoit ce long parcours ? Victor, à cause de la canne sculptée par ses mains altruistes. Je les aime. Je les aime tant. Ils sont mon sang. Le sang des joyaux éternels, de ceux que l'amour charpente de joie. Leur ai-je dit combien je les aime ? Oui, je l'ai dit. Ils ne l'ont pas cru, car nul n'entre dans le sein spirituel s'il n'a d'abord quitté le giron maternel et l'aura du père terrestre qui n'est pas celle de mon ami au zénith solaire.

Je me souviens qu'à ma parole et à sa volonté de dire la sagesse, les hommes se détournaient, se confortant dans l'extrême amère insouciance de l'ordinaire souterrain à force de subir et non pas d’œuvrer. Il me fallait me mettre à leur niveau. Je l'ai fait, car je ne voulais pas être seul. Je désirais être habité de solitude intérieure pour crier en pleine lumière : Je suis, et n'être plus seul. J'étais capable de me mettre au diapason de chacun, mais aucun ne le pouvait avec moi. Guère davantage mes enfants ! J'étais triste. Je me souviens que mon ami, aux cheveux bellement mordorés de la lumière solaire, me dit au départ du sentier qu'à une élévation, il fallait savoir comprendre la chute. Je fus attristé, car s'il faut voir chuter un ami ou son enfant pour s'élever vers les hauteurs de l'Esprit, j'ai une immense clémence à leur égard. Ils me manquent sans me manquer. C'est ainsi. L'Amour dans Sa présence n'a plus besoin d'exiger la présence de l'autre. C'est cela quitter sa femme, ses enfants, ses amis, pour aller vers la cime qu'offre le chemin. Je suis leur futur piédestal. Je suis la voie qui deviendra leur voix. Ils parleront, car dans mon silence, mon larynx créera leur avenir qui créera le son de ce que nous n'entendons pas encore, et qui accouchera de la vie. Je les aime ; qu'ils le sachent ; jamais qu'ils n'en doutent ! Je les aime.

Je vous aime aussi, pourtant ne vous ayant jamais rencontrés. Aujourd'hui, est notre première vrai face-à-face et je vous verrai, au futur, lire, assis dans votre lit, avant de vous endormir.

Le cœur épris de liberté, l'esprit endolori, je sens mon front perler une suée pour la civilisation que j'observe décadente. Je suis triste pour son agonie, et heureux de savoir qu'elle renaîtra, sous une forme que je ne parviens pas à imaginer, mais dont je suis certain qu'elle sera spiritualisée. Le genou à terre, mon baiser à sa glaise, le ciel a sa patrie qu'il enfante de son labeur dont je suis le futur hiérophante comme je le fus sur l'ancienne Atlantide. J'ai dû tout réapprendre. Mes pieds nus m'ont laissé entendre ses pleurs et sa joie. Ô Jupiter ! Ô Vénus ! Ô Vulcain ! Futures incarnations de ma Terre ! Je vais vers vous.

Je marche, marche, marche, le teint délavé, les bras croisés dans le dos, les pieds nus sur les cailloux, dans le roulis des eaux qu'aiment les océans. À leurs lits, j'ai laissé couler mes larmes, et les rivières les ont prises en elles, pareilles à la vasque pleine de la sève versée pour l'humanité. Et par la sève répandue, je la bois chaque jour avec allégresse.

Je suis devenu poète pour témoigner. Seuls, les poètes révèlent la vie.

Pourquoi être poète si, vous, les regardant et vous taisant, vous observez ce que serait la mort d'un cygne qui n'a eu que le vent dans ses ailes, un cri d'amour dans sa gorge, en son cœur, pour un geste, un battement puissant de l'aile que le temps voudrait briser ? Savez-vous qu'un oiseau blessé chante encore l'allégresse de ses vols effleurés dans le vent des ondes le marquant de son encre lumineuse, ayant cessé d'être opaque ? Je suis là. Avec vous, vous avec moi. Vous en mon âme, moi en la vôtre. Nous sommes bien ensemble. Dites-moi que vous vous sentez bien !

Chantre de la douleur et de la félicité dans l'Esprit qui me tiennent jusqu'à la peine des travaux renouvelés, toujours reconduits au faîte de la volonté qui me tenaille, sans flancher, je lave d'une plume la parole pour en garder, jusqu'à sa combustion, la pureté de la pensée. Je vole dans l'or céleste du monde qui me blesse quand je ne veux pas voir sa beauté au temps des amours dans l'Esprit que j'aime, jusqu'à la finitude de l'abondance en mon ciel si lumineux, que j'en parle tel d'un ciel glorieux. Que m'arrose le soleil dans ses rayons chantants et je dis le serment dans son allégeance aux hommes manquant de lumière que l'Amour châtie pourtant de son noble éclat.

C'est dans la peine rassasiée de sa liesse, le visage glorieux de douleurs, que je parle du monde et de ses affres, sans écourter la valeur des ministères inscrits à la plume du phœnix sur mon cœur pétri d'un sentiment que les hommes ont peine à accomplir : l'Amour. Pourquoi ? Aimer est plus facile que haïr bien qu'il se dit la contraire, et que le contraire affirme que haïr est plus simple !

N'êtes-vous pas de mon avis ? Je vous invite à aimer une seule journée sans une critique d'autrui, sans rancune, sans blessure impardonnée. Vous le pouvez. Je sais que vous le pouvez. J'ai confiance en vous.

Alors, tout poète que je suis, sans certitude d'écrire pour la multitude, avec la certitude de mon pouvoir d'éloquence, je me mets à errer d'heures transies que j'offre au mouvement des océans, des montagnes, des prairies, qui aiment mon ami. Je me demande, les bras toujours croisés dans le dos meurtri par la vie, que l'amour porte sans fin, si pour autres que moi, le cœur est mouvement, ou s'il est vidé de son essence.

Aimez-vous ? Cela me taraude. Pardonnez cette intrusion dans ce que vous ne pourriez pas ! Je voudrais tant que ce mot prenne vie et ne soit plus l'ombre d'une méconnaissance.

Ai-je mal que personne ne voit mon désarroi, car toujours, je m'attache au sourire pour être au lierre de ses vrilles l'incommensurable lien de la pierre à la feuille, du ciel à la terre, de la terre au ciel, dont l'oiseau ne sait se passer. Écris-je le courage d'être soi dans ce grand hymne de la vie sans détour, pourtant parfois fatigué, que je me cache souvent face au souffle qui me fait naître, chaque matin, chaque soir, parce que je ne comprends pas encore tout à fait le monde, et que son voile reste posé sur son visage. Pourquoi être poète quand la poésie n'a plus d'amis en la modernité sentencieuse qui bafoue l'élan et la vérité ?

Si je veux marquer d'un pas de petit brave la force inouïe qu'il faut pour raconter le verbe dans le Verbe, c'est de plénitude que j'éclipse la vue du petit nombre sans but, et m'offre à l’œuvre de la connaissance pour laquelle je suis le sempiternel travail d'architecture : l'ogive et l'arc-boutant, la colonne et le vitrail, l'autel et sa nef.

Je n'ai encore rien vu du cygne, soumis à la discipline la plus pure pour ne jamais le raconter d'erreurs, car à quoi servirait sa mort au rondelet du fleuve si son trépas n'était qu'une mort sans sa survivance dans le souvenir d'un acte grandiose ? Qui peut vouloir occire ce si bel oiseau ignore que c'est dans la mort qu'il vole le plus haut et peut le plus dans le plus bel horizon des hommes, car il revient chargé de ses ailes en plumes lactées, écrivant chaque vie comme l'ultime de la beauté et de la vérité incarnées !

J'ai tant marché, tant et plus, que je suis passé sans être vu, tout en écrivant en lettres de feu rougeoyantes, la fleur-mère qui me secourt de gestes épanouis. C'est ainsi. Et si au soir venant, je me couche, incliné à la lumière des brumes épaisses qui disparaissent, c'est d'enlacements au monde que je transporte le mouvement et le sentiment qui sauvent.

J'ai froid de la forfaiture des hommes. J'ai chaud dans le manteau du monde. Je marche pieds nus, et mes pieds épousent la forme de la terre pendant que ma pensée se marie au plus élevé des mondes. J'effleure l'origine que ma pensée commence à comprendre. Je pressens le grandiose, le sublime, l'ineffable, la vue, qui me paralyseront le corps sous l'impulsion mouvante et géante de l'Amour dans sa chaleur, qui n'a aucun commencement, ni aucune fin, juste parce qu'il est. Ô, nuit des Temps !

C'est alors que je devine mon futur, que je vois sur ma route se dodeliner dans l'air porteur de la force des nuages un champ de fleurs calligraphié de narcisses, de jonquilles, de boutons-d'or et de coucous. Les voyez-vous ? Je ne sais pas où marcher sans prendre le risque d'écraser leurs tiges solides que la légèreté des fleurs honore de leurs pétales aériens. Il y a toujours un espace entre les fleurs pour que l'homme puisse marcher sans écraser une seule d'entre elles. L'avez-vous remarqué ? Il n'y a qu'entre les brins d'herbe que nous ne pouvons pas marcher sans en écraser un qui, néanmoins, se relèvera. Je regarde où je pose les pieds, silencieux comme nous pouvons l'être lorsque nous voulons prendre soin d'un objet ou d'un être que nous aimons de toute notre âme. Je meurs d'envie de cueillir un narcisse se présentant à moi, ourlé de grâce, blanc comme la neige, le cœur édifié par le soleil. Je ne souhaite pas revivre ma rencontre ratée avec mon caillou, aussi lui dis-je avant de le respirer et de le cueillir :

-Bonjour fleur !  quand soudain, elle me répond d'une voix séraphique.

- Bonjour Jean Christophoros de Lebenkreutz ! Je t'ai vu venir vers moi, et je me demandais si tu allais me discerner de toutes mes consœurs dans ce pré. Elles se sont toutes posé la même question.

- Oh ! tu parles, narcisse !

- Je te parle en Esprit, Jean ! Mes sœurs savent que tu as enlacé leur vie d'un unique regard, et combien tu es émerveillé par notre majesté que nous déployons d'ondes sans cesse reflétées de l'animé pour la vie. Nous aimerions, toutes, emplir tes bras, car nous savons que tu ne laisseras pas faner une seule d'entre nous sans nous avoir aimées avant que nous ayons achevé notre destin de t'enchanter et de te parler de nos desseins. Oh ! non ! pas comme les filles-fleurs qui enchantèrent Parsifal pour mieux le perdre, et n'y sont pas parvenu, mais comme des fleurs célestes adorant notre credo !

- Vous ne deviendrez pas une pierre noire, promettez-moi ! dis-je, semblable à un enfant pur d'innocence.

- Pas, si tu nous cueilles ! Mais nous t'en prions, Jean ! ne fais pas de nouvel affront à ton charbon qui perpétue notre existence parce que nul ne nous a vues. Si nous devenions semblables à ta pierre, nous maintiendrions malgré tout l'ordre de la nature ! Nous sommes si nombreuses que les hommes ignorent que le monde porte plus de fleurs que d'hommes dans son nid. Te sentiras-tu redevable de nos vies dansantes dans l'air du temps ? Moi aussi, je suis une abnégation pour que tu vives. Comme la pierre, je me suis sacrifiée pour toi. Le monde n'est tissé que de sacrifices volontaires. Ton ami te le dira.

- Je demande pardon à ma pierre d'avoir été à nouveau, offensif. Qu'elle me blesse un autre orteil si elle le veut ! J'accepterai ma blessure dans la joie d'un karma immédiat, car je ne peux rien connaître sans avoir souffert ce que l'autre endure, qu'il soit homme, fleur, arbre, pierre, falaise, rivière, océans, et célestes volontés de la création et que c'est juste.

- Cueille-moi ! me dit-elle, impatiente d'aimer mes mains dont les doigts ne sont plus noués depuis cette présente incarnation.

Je pressens à cet instant que ma conscience se scelle à l'éternité. Je ne sais encore de quoi ; je sais seulement que c'est l'acte de la cueillir qui me le dévoilera. Pourquoi m'aurait-elle demandé de la cueillir si elle n'avait pas un fait d'importance à me divulguer ? J'approche ma main d'un silence recueilli, comme nous le faisons dans le courage de prendre en soi une communion-source qui va bouleverser une vie, la mienne.

L'homme aux cheveux mordorés apparaît assis dans mon pré. Il n'a plus les cheveux mordorés ; ils sont devenus blancs éclatants comme la dentelle de l'écume épousant le sable sous le soleil de minuit. Son visage est moins austère. Il penche toujours la tête sur son épaule lorsque me regardant, et je suis alors pénétré de son entière confiance.

- Cueille cette fleur puisqu'elle t'approuve avec cœur dans son amour enthousiaste pour ton âme ! Que je ne te trouble point, Jean ! Ne sois jamais troublé par ma présence !

- C'est que je ne m'attendais pas à te voir ! pas à cette heure du jour !

- Je sais ! Je vois quand tu es évaporé et distrait. Ce n'est pas de ta faute, Jean ! Au début du sentier, les hommes ne peuvent jamais tenir leur pensée éveillée. Ils vaquent à toutes sortes d'occupations qui les maintiennent loin de nous. Ils aiment le futile, et ce qui est futile éteint la réalité. Tout est maya sous le voile.

J'approche ma main d'un silence intérieur que je décide, et cueille la fleur blanche comme la neige, blanche comme l'écume, blanche comme les cheveux de mon ami.

Qu'entends-je à ce moment précis de la blessure de sa tige qui déverse sa sève entre mes doigts ? Une note de musique ! Un chant ! Une source jaillissante ! Mon ami me sourit, ému par l'écarquillement de mes yeux. Il aime ma stature que je relève pour mieux entendre. Mes oreilles s'ouvrent au chant de la terre. La note est brève. L'envie me saisit de renouveler l'expérience et je préviens, d'un mot délicat, les fleurs de ma volonté de les accueillir pour les entendre chanter à nouveau.

- Fais !  me répondent-elles ensemble, identiques à une bouche formant un cœur pour mieux entonner le chant de l'univers. Une flûte, une harpe, une lyre, un violon et un hautbois, laissent entendre la plus subtile des mélodies que musiciens n'ont pas encore créée. Arrivent les cuivres endimanchés pour se marier à la symphonie, et un tonitruant coup de gong applaudit la cueillette. C'est donc cela cueillir des fleurs ! Une symphonie que le Cosmos engendre ! Les nuages s'écartent. Le vent sifflote légèrement dans l'herbe des tiges coupées que le sol rend à l'homme aux cheveux mordorés, devenus blancs, pour qu'au printemps prochain, elles puissent renaître d'avril. Splendide, est leur genèse ! Goethe me l'avait dit.

Ah ! Si vous aviez connu Goethe ! Si vous aviez connu cette excellence de l'Esprit que j'ai côtoyée des heures le long de l'Ilm ! Passons !

- Bel hommage pour toi que cette musique ! dit mon ami. C'est mieux qu'un hommage, ajoute-t-il, c'est une adoration, car tu as entendu, vu et reconnu, le pouvoir de la fleur, son essence et son appartenance.

- Quelle musique céleste ! Je n'ai jamais rien entendu de semblable auparavant ! Je n'ai pas de propos pour vous la décrire ! Mais, voulé-je des mots pour la dépeindre, finalement ? Puisque j'entends ce que la fleur raconte en esprit, pourquoi utiliserais-je un vocabulaire qu'elle ignore si ses verbes ne sont que des notes de musique ?

- C'est, là, effectivement, une invraisemblance. Si un oiseau chante, vas-tu lui demander de parler ? Non ! si un chien aboie, vas-tu lui suggérer d'apprendre ton langage ? Non ! impossible ! Aussi, tu ne peux demander à la fleur de transposer ses notes de musique en mots dès lors qu'elle a souhaité te révéler son être profond, de celui qui n'est perceptible que par les personnes prenant un sentier et quel sentier ! Veux-tu t'arrêter là ?

- Uniquement pour me reposer un moment et réentendre en mon esprit cette musique divine, car se baigner dans l'eau de la création est un repos utile ! Je ne souhaite pas arrêter mon sentier. Je veux simplement me reposer pour savourer ce que je découvre, non plus me reposer pour me reposer.

- Bien ! Je te suis ! Je ne te quitte jamais, souviens-t-en !

La fleur terrestre a un tout autre visage dès que nous percevons sa grâce, et sa grâce est musique. C'est là le mystère du chant que les hommes n'entendent pas. Et ce chant est de l'Amour manifesté.

- Pourquoi existe-t-il des gens qui n'aiment pas les fleurs ? demandé-je à mon ami, car j'en connais.

Aimez-vous les fleurs ?

- Oh ! c'est une question juste. Ma seule réponse sera qu'ils ont perdu tout contact avec la nature et que la nature ne leur parle plus, car ils sont tombés si bas dans la matérialité qu'ils ne perçoivent plus l'essentiel. Ils vont, aveugles, avec des yeux larges ouverts qui ne voient plus la vie.

La voyez-vous ?

- Comment aider à leurs retrouvailles avec leur nature propre ?

- Tu ne le peux pas toi-même, Jean ! Tu n'as pas le droit de les obliger à ouvrir les yeux ? Non ! nul ne fait atteinte à la liberté individuelle ! Le faire engagerait ta chute, Jean ! Ils renaîtront aveugles pour apprendre de la gravité de leur regard dans la sagesse. Ils n'ont pas choisi de naître avec des yeux ; c'est la genèse de l'homme qui les leur a donnés. Ce qu'ils font ensuite de leurs yeux leur est personnel. C'est la seule liberté autorisée : le choix. Ils choisiront de naître non-voyants pour comprendre ce qu'ils auront délaissé dans la satire et l'irrévérence à l'univers. Ne pas voir leur sera une telle souffrance, espérant voir ce que les autres voient, qu'ils apprendront de leur infirmité. Ils ne sont pas prompts à entendre ce que tu as entendu par la grâce de ton regard. Ils peuvent dire que c'est folie, ignorant que la folie les tient par son collier. Folie possède plusieurs perles noires.

- Je pleure sur eux. Je sanglote. J'ai si mal pour leur cécité que ma douleur est aussi large que haute, longue qu'étendue.

- Pleure sur eux ! Les larmes sont une saignée blanche qui rédempte le malheur.

Je m'assieds. Je m'assieds parmi les fleurs, les narcisses, les jonquilles, les coucous, les boutons d'or, que je n'ai pas pu cueillir, faute d'avoir les bras assez grands. Ma symphonie est inachevée. Cependant, viennent des hommes qui cueilleront des fleurs pour emplir leur vase et la terre chantera sans relâche avant de se métamorphoser dans son déclin, car il ne leur appartient pas de décider où elle doit aller.

Je reprends ma route, mon bâton sculpté à la main qui me conduit davantage qu'il ne me soutient parce qu'il aime être pour moi la branche vers l'avenir. Je comprends alors que tout est amour, et que je n'en ai perçu que sa surface. Mon bâton m'aime ; j'aime mon bâton. Les fleurs m'aiment ; j'aime les fleurs. Ma pierre m'aime ; j'aime ma pierre. Mon ami m'aime ; j'aime mon ami. Je suis riche de ce que l'amour me donne et je donne à l'Amour mon amour sans rien attendre en retour. Quand pensant cela avec intensité, je pose la question soudaine qui s'impose à moi : est-ce que l'Amour se voit ? Est-il aussi audible que la musique de mes fleurs ? Oh ! qu'ai-je donc encore à marcher pour le savoir ! Il me faut user le cuir de mes pieds pour tout connaître. Je suis fatigué. Cette question m'assoupit. Je tombe sans fracas sur le sol et les fleurs tissent une couverture pour me couvrir, afin que je n'aie pas froid lorsque la nuit se lèvera. J'ai jeté mon manteau de laine dans la futaie. J'ai maintenant une couverture de fleurs. Je dors. Je dors d'une joie absolue. J'ai entendu le chant de la terre. Il fallait, pour cela, que je jette mon manteau dont je n'avais pas tondu la toison sur la brebis afin que je la tisse de mon désir ardent.

Ma fleur est devenue bleue comme l'azur, striée de rayons jaunes, le temps que je pense l'Amour. Le champ de narcisses s'est paré de la plus belle couleur garance dorée parce que mes larmes étaient de sang marié à ma source. J'ai commencé à comprendre le ciel jaune strié de rayons bleu-azur et pourquoi la robe de mon ami est de ces teintes radieuses.

J'ai pleuré des rus grâce aux épines, et les rus ont dit que ce n'était pas assez. C'est pour cela, aussi, que je suis parti marcher pieds nus. J'ai alors pleuré des rivières et les rivières ont dit que ce n'était pas assez. J'ai alors pleuré des océans et les océans ont dit : cela suffit, tu as assez pleuré ! C'est bien ! ton visage est lavé. C'est beau, car tes mains aiment. C'est bien, car ton corps est mon témoin. C'est bien, car ton âme s'éveille. Repose-toi ! Jean !

L'homme aux cheveux blancs me borde de la couverture du monde, tissée des fleurs que je n'ai pas cueillies. Je m'endors proche de son cœur qui est vaste comme l'onde, comme son ciel azuré, comme ses étoiles étincelantes, comme sa barbe fleurie de pétales, que je découvre, parce que je les lui ai offerts et qu'il les a pris pour lui. Je suis épuisé. Je m'endors le cœur léger et les yeux assainis de mes larmes. J'ai renoué avec ma voix que mon ami entend. Quand l'heure de mon réveil advient, je serai dans une roseraie d'étoiles constellée de roses bleues.

Pendant que je dors, le serpent lève sa tête, me regarde et passe son chemin. Il dit : cet homme a pleuré sur la misère du monde. Mon ventre blanchira un jour.

Voir une fleur s'épanouir l'été, à midi,

Sourire quand elle se donne d'organdi ;

Écouter sa voix, ce murmure sourd

Lors de son envol joyeux alentour,

De l'avoir reconnue en ma présence.

Libérez son âme éclose au petit matin,

Inouïe clarté du soleil tissant le satin !

Rendre à ses yeux sa vue, et clamer sa noce,

Caresser son âme vive offerte au Logos,

Tel, on aime un enfant de transparence.

Lui dire des mots veloutés, tout le jour,

Avec elle, les offrir aux belles de jours.

Dans sa lumière, humer son parfum !

L'aimer avant qu'elle n'épouse un Séraphin,

Regardez son être danser de révérences !

La prendre contre son cœur d'amertume,

Lui rendre son sacrifice dans l'écume,

Dessiner son astre en ciel bienveillant,

Percevoir sa lyre et son pipeau au vent.

Cueillir sa musique de déférence,

Reconnaître son destin pour un ciel bleu,

Sa flamme ardente pour un seul vœu,

Et lui parler d'elle pour voir son ciel

D'une simple abeille sur un arc-en-ciel.

Éperdument légère de résilience,

La voir étendre ses pétales de soie

Telles nos mains ouvertes pour un Roi,

Vers nous se tendre la chance de l'espoir.

Libérer une fleur au jardin, un soir,

Sur le chemin, avec vigoureuse patience,

L'aimer au-delà de la mesure, l'aimer

De cet amour secret parlant de son bien-aimé

Que les oiseaux honorent par tous les temps,

Les ailes entre deux mondes, en sept instants.

La voir s'unir au monde d'opalescence.

Croire en elle, voir sa joie frémissante

Quand libre, elle vole et vole finissante,

Joignant ses pétales en offrande à sa coupe

Pour les hommes sensibles dans sa chaloupe.

Créez l'avenir du monde dans sa confiance,

Devenir son esprit et célébrer son courage,

Agenouillés devant sa grâce en partage,

Puis, partir léger de son héritage en fleur

Qu'elle dépose en son vase de couleurs.

Ne cueillez que son miel d'alliance,

Pour lui dire tout l'amour d'avril après la pluie,

En l'an nouveau qui la coiffe de fruits

Et suivre son vol de pétales ailés.

Au firmament des étoiles renouvelées.

Elle était fleur, elle est esprit de vaillance.

Libérez les roses, le muguet, les mimosas,

Les myosotis, les giroflées et les lilas,

Libérez, enfin ! l'arbre en fleurs au printemps

Pour éclore l'humanité sans pleurs ardents

Et prendre en son verger sa pensée d'assistance.

Cueillez l'infini trésor du tournesol ;

Ajourez ses perles d'eau posées sur sa corolle ;

Avec sa parole, saisir son nombre d'or,

L'offrir à la bonté de son horizon d'effort,

Et s'allonger sur sa liberté, notre naissance.


- Voilà une bien belle allégorie pour nos vies, témoignent les fleurs.

- Car je peux dire que jamais je ne vous ai blessées.

- Nous t'avons vu pleurer, néanmoins, à cause de nous...

- Oh oui ! Je me souviens ! J'ai pleuré en cachette de tous.

- Nous nous souvenons.

- Vous avez vu ce qui s'est passé ! C'était dans mon jardin ! Comment pouvez-vous m'avoir vu ?

- Nous ne sommes qu'une en notre âme céleste. Ne sommes-nous pas nées de la fleur primordiale ?

- Goethe me le disait, à Weimar. Je n'ai pas douté de sa parole.

- Aussi, apprends qu'au-delà de la fleur première, nous avons conscience de tout ce qui se passe sur terre pour l'une d'entre nous. Conscience n'est pas vraiment le mot juste, c'est un vécu partagé, dirons-nous.

- Qu'avez-vous ressenti ce jour-là ? demandé-je.

- C'était l'hiver, un de ces hivers doux, que tu avais laissé tes géraniums dehors, espérant encore les voir fleurir, et priant qu'ils durent jusqu'au printemps suivant. Tu avais pressenti que le grand froid pouvait surgir. Tu as voulu rentrer tes pots en ton salon sans que tu ne puisses les porter, car des douleurs aux épaules t'accaparaient, t'empêchant de les protéger. Puis, le gel est venu une nuit, inattendu et téméraire. Tu as regretté de n'avoir pas fait l'effort de rentrer tes jardinières. Tu avais choisi entre sauver les fleurs et prendre soin de tes épaules. Ce fut ta douleur, plus grande encore que celle de ton corps endolori. Lorsque au matin, tu découvris tes géraniums épuisés d'infortune, au froid mordant qu'ils n'avaient su combattre, ils étaient éteints, la vie désertée. Tu as passé ta journée à les pleurer, regardant par ta fenêtre leurs tiges étiolées et leurs feuilles jaunies, t'accusant de négligence terrible.

- Oui, j'ai pleuré pour mes fleurs. J'ai pleuré sur ma négligence, honteux.

- Nous voyons tes yeux perler de larmes qui sourdent.

- Ils étaient d'une telle superbe qu'ils s'étalaient de l'est vers l'ouest, du nord au sud, de la terre vers le ciel. J'aurais pu les porter et je ne l'ai pas fait ! Lorsque mes larmes coulèrent, mon chat blanc vint lécher mes yeux, tendant sa patte qui, de ses coussinets, caressait mon visage comme un être humain l'aurait fait dans son empathie grandissante. Il me regardait, épousant ma misère intérieure, compatissant à ma douleur.

Pendant que jaillissent mes sanglots, le serpent me regarde et passe son chemin. Il dit à nouveau : cet homme pleure sur la misère de sa négligence. Mon ventre blanchira un jour.

 

Vous souhaitez l'acquérir, c'est ici, suivez le lien : 

https://www.amazon.fr/dp/1081981881/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=le+sentier+beatrice+lukomski+joly&qid=1563865017&s=gateway&sr=8-1&fbclid=IwAR2LyLe3RQc49rDkVPjJo6QRRgSYGttvtZi0XOphBvIJzcm6XfJZFG_fwPY

 

https://www.facebook.com/beatricelukomskijoly/

 

Cinquième chapitre ( sur douze ) ...

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

 

Je marche pieds nus. J'ai jeté mes couverts en argent dans le bosquet de verts feuillages sous l'arbre dans lequel le gui épouse la branche, là, juste au-dessus de ma tête que les années ont vieillie de joie, d'humour aussi, car il est bien d'avoir de l'humour dans la douleur et que je n'ai plus besoin de fourchettes, de cuillers, de couteaux. Un pétale de rose se pose sur ma langue. Je suis rassasié. Je marche à découvert, le cheveu fin comme un fil de soie, sans manteau, sans mes sandales de cuir. Je marche pieds nus. C'est la fin de l'été. C'est mon cinquième jour de marche.

Les hirondelles volent au-dessus de ma tête. Elles ont construit leurs nids dans les arbres de la forêt que je traverse. Non ! ne croyez pas que j'ignore où les hirondelles construisent leurs nids ! Elles bâtissent toujours leurs nids dans les encoignures des fenêtres ; mais, les miennes, mes hirondelles, m'ont suivi parce que je leur suis fidèle depuis des années. Elles n'ont pas voulu me laisser marcher seul sur le sentier ; ce sentier qu'elles connaissent bien pour le survoler chaque année lors de leurs pèlerinages vers autre terre. Elles sont sept à avoir façonné leurs nids proches de ma maison. Elles sont sept à être parties pour me suivre. Sept, parce qu'il faut sept lois pour arriver au terme du chemin. Sept depuis Saturne jusqu'à Vulcain. Sept, nombre fidèle à l'évolution, que la terre adore de sa valeur. Avec elles, j'ai appris la langue des oiseaux, et chaque année elles me saluent à leur arrivée. Elles m'honorent avant de repartir de sept battements d'ailes sur sept notes chantées.

C'est de ces petits cris aimables qu'elles me racontent leur félicité à voltiger de ces danses que les hommes méconnaissent. Elles ont tant trissé à mes oreilles que j'entends encore leur appel sur mon chemin qui semble n'avoir aucune fin. Veulent-elles me dire que leur présence est un remerciement à mon dévouement sans fêlures que je suis émerveillé de leur compagnie dans la forêt que je traverse. J'ai quitté ma plage. La vue est moins dégagée, certes ! mais je vois. Je les vois. Nous nous aimons. C'est ainsi lorsque l'amour habite nos jours, nos nuits. L'amour circule entre elles et moi parce que l'amour n'a pas de limite, n'a pas d'espace, n'a pas de temps, n'a pas de préférence. Il est. C'est tout ! Mes hirondelles sont ! Si l'amour n'a pas de limites ni d'espace, il a une couleur qui m'éblouit. Il a une forme que je sais enveloppante, un espace qui n'est pas une distance et qui, pourtant, l'est, tel un édredon gonflé de plumes blanches immaculées qui n'a de cesse de nous réchauffer le corps et l'âme, les froides journées d'hiver, et aussi les chaudes journées de tristesse, quelle que soit la saison. Alors, me suivent mes hirondelles parce qu'elles me chérissent et aiment le monde dans l'air chaud qui les porte, le chant, le cri de joie, dans le ciel jaune qui n''est pas bleu dans leur monde. Elles savent que je n'ignore pas cela.

Et, oh ! surprise ! Elles ne sont pas parties seules pour accompagner ma longue route. Elles ont invité les cygnes, blancs comme la pureté de l'amour, blancs comme l'écume de mes vagues, blancs comme mon écume dentellière sur la plage, blanc comme mon ami du sentier, les jours de soleil et aussi les jours de pluie. Et, oh ! surprise, elles ont invité mon saint Bernard que je retrouve dans la forêt sur mon sentier. Je verse des larmes de bonheur que nul ne voit, sinon mon ami et son compagnon au zénith de l'amour qui me couronne. Je le sais. Et, surprise ! Elles ont invité tout le peuple des oiseaux à voler avec moi parce qu'elles savent que je parle leur langue.

Est-ce que je vole aussi ? Je marche pieds nus. Je vole ailes légères. Je vais sur terre. Je vole dans les airs, passant d'un pas à un étirement d'ailes. Mes oiseaux disparaissent de ma vue, ainsi que mon chien et mes cygnes. Seul au monde !

Je suis en haut d'un arbre. Je regarde tout à l'entour de moi. Le vide ! Je suis seul. Mon ami et son compagnon au zénith ne sont pas là. Je ne les vois plus. Je ne m'en inquiète pas puisque ce n'est pas la première fois. Cette solitude-là, seul en haut d'un arbre perché, m'est d'une étrange fugue, presque musicale, qui engagerait pour ainsi dire la peur, car je n'ai pas d'ailes, et pourtant je vole vraiment ! Je regarde en bas. Que vois-je ? moi ! Je dors sur la terre, à plat dos sur le sol, enveloppé de mon édredon de plumes blanches. Je me regarde, muet d'étonnement, courroucé aussi de voler consciemment sans l'avoir décidé. C'est lorsque je réalise que je vole sur place, et que mon mouvement ne peut prendre son envol faute d'avoir des ailes que j'aurais dessinées, tissées, cousues d'esprit, semblables à des ailes d'anges, que je me donne l'ordre puissant de rhabiter mon temple ; c'est à dire mon corps ! C'est donc cela dormir profondément ! Voler si haut que la conscience ignore qu'elle vole jusqu'à ce que le sommeil devienne conscient. C'est mon cas. C'est donc cela voir de nuit comme en plein jour ! Oh ! je m'étais bien senti léger comme un filet de vent traversant quelques feuilles dans les arbres, sans me rendre compte que je m'étais assoupi profondément, faute d'avoir pris un réel repos et pour cause !

Les roses de la roseraie bleue striée de rayons d'éclairs jaunes m'accordent une halte, tant j’ai souffert de leurs épines après m'être défait des souillures de ma pensée manquant d'abondance, de clarté et de rigueur. Elles m'alitent sur leur lit de pétales, doux comme la soie, doux comme du velours, parce que je ne peux plus aller sur mon sentier sans que je ne prenne un infime repos conscient. Je dois le décider et non plus le subir. Elles ont vu combien la leçon me secoue et, en conséquence, a enseigné sa quintessence. J'avais relevé la tête. J'avais réussi ce parcours difficile vers la source brillante, comme les étoiles au-dessus d'une aurore boréale venaient d'épouser l'éther de la rose que des poètes ont déposée en mon âme avant que je naisse. Me souvenant de ce don, la pensée lumineuse s'accouche d'elle-même et me dit d'un tire-d'aile en vol combien je suis inatel, et aussi immortel. Je ne nais pas au monde. Je suis. Je ne meurs pas au monde. Je suis. Je suis en haut comme en bas, et en bas comme en haut. Incarné ; désincarné ! Je préférerais dire ex-carné ; c'est plus juste mais moins poétique. Et cependant, je dois renaître sur mon sentier pour ne plus voir de nuit dans le jour. Mon visage est neuf. Mon esprit doit être.

Les hirondelles volent si haut dans le ciel que je vois une colombe arriver et déposer sur leurs habits de gala ce rameau qui a une mémoire dont j'ai peine pourtant à me souvenir. C'est donc cela voir de nuit en plein jour ! Mais ! J'y étais ! oui, j'étais là ! moi, Jean Christophoros de Lebenkreutz !

- Jean Christophoros ! Trois notes s'élèvent.

- Oui ! Qui me parle à cette heure ? Je dors !

- Jean ! Jean ! réveille-toi ! Je suis le cygne qui te couvre de l'envergure de ses ailes. Sept autres notes s'envolent.

Je me frotte les yeux, ramassant avec délicatesse les grains de sel qui se sont figés le long de ma paupière, tout juste sous les cils, là où ma joue s'amuse de ma paupière. Je regarde le grain fin et blanc que je viens de récolter de mon sommeil et pense à mon caillou que j'ai laissé au début de mon chemin. De même nature ? Un minéral qui fond après s'être figé en sortant de mes yeux sans que j'aie pleuré, à moins que je n'aie pleuré lors de mon sommeil et ne m'en souvienne pas ! Oui ! J'ai pleuré en dormant, car j'aime mes oiseaux venus à mon secours pour que je m'aperçoive que ma solitude n'est que l'illusion de mon ego éthéré ! Le sel me le rappelle ; me remémorer que même en dormant j'ai des émotions, une vie. Je vis en dormant. Je suis seulement ailleurs, et cet ailleurs est mon monde inatel, celui de l'Esprit qui me veille, me réconforte et m'aime sans réserve. Il est d'une telle profondeur enlaçante que je me fige sur mon séant lors de mon réveil, le corps appesanti par la superbe de l'Amour. Il me faut un long moment pour remuer une main et accueillir la beauté d'une de mes hirondelles qui me fredonne son inlassable émoi de me reconnaître son ami, tout en me disant merci d'exister. J'existe pour elle, pour moi, pour lui, lui, mon ami aux cheveux blancs mercuriels de lumière, et aussi son compagnon au zénith du firmament éclatant, dans un ciel jaune qui n'a pas son semblable dans le ciel de la terre, que les hirondelles savourent de petits gestes du bec au repos, comme mon cygne déployé en son sein.

Je me lève lentement, très lentement, pour ne pas froisser la soie de mon sentiment nouveau-né, amplifié jusqu'au sommet qui n'est pas encore le mien, et qui est moi en lui et lui en moi parce que c'est ainsi. Je ne sais si je dois bouger davantage ou rester ainsi figé. Je n'ai pas envie de remuer un cheveu, ni de bouger mes yeux qui voient l'aura de l'Amour terrestre et céleste dans mon giron d'homme à venir. Enrobé de cette infinie majesté indicible, je demeure en sa dévotion aussi longtemps que ma conscience me le permet. Comme ma maison première est loin ! Comme elle a changé en quelques pas pieds nus ! Je lève un doigt, pointant le ciel ; et la vie me dit de repartir. Il me faut trois années avant de faire un pas de plus. Un pas me prend trois années de ma vie. Pour vous c'est peut-être moins, c'est probablement plus. Vous seuls le savez. Pour certains, une vie est égale à un seul pas.

Observez-vous ! Le faites-vous ? Où en êtes-vous dans le nombre de pas faits pour devenir meilleur ? Ecoutez-vous votre voix intérieure ? Seule, elle, peut vous le dire. Pardonnez-moi de m'être peu adressé à vous, mais avouez que les expériences vécues ne m'ont pas laissé grand choix ! Cependant, je devrais pouvoir penser à vous quand je souffre. Cela viendra. Retournons voir les cygnes ! Les cygnes et les hirondelles ! Les hirondelles et mon saint Bernard !

- Il ne t'a été donné de vivre que ce que tu veux parce que tu le peux.  me dit le cygne épanoui en cet instant. « Viens ! Je t'offre une aile, et sur une plume assieds-toi pour que je te porte aussi loin que tu le pourras, jusqu'à ce que ta plume tombe pour autre destinée. Le veux-tu ? 

- Je le veux ! parce que je sais que je le peux et que plus rien n'égarera ma volonté. Je t'ai vu aujourd'hui, de nuit. Je t'ai vécu le jour.

Mon saint-bernard dodeline de la tête, léchant ma main de sa fidélité insondable parce qu'il m'aime. Il me veut aimé. Il veut que je le sache. Je secoue mes épaules, réalisant que je vois cet ami mort il y a longtemps. Je le prends tout contre moi. Il me cerne de ses ébauches de bras qu'il veut que je vois et j'en suis bellement étonné.

- Ainsi, toi aussi, tu vas vers le sentier ! lui dis-je.

- Oui ! répond-il, enjoué. Vois comme mon astralité débonnaire est devenue lumineuse ! Je suis avec toi. J'ai veillé sur toi, tant d'heures !

- Qu'est-ce que tout cet amour se mouvant entre tous, invisible, et que je vois comme nous voyons l'écume épouser le sable, le jour, cependant jamais un soir de nuit sans lune ? Mes petits amis en vol m'éclaboussent de pluie distillée en perles de nacre que je recueille dans mon amphore. Chaque perle brille au soleil et me chante la note de la création d'un mi qui retentit dans l'harmonie des sphères.

- C'est ce que tu es ! chante le peuple des oiseaux d'un seul accord, ajoutant leur musique à la symphonie des fleurs que le monde joue chaque jour. Nous t'aimons parce que nous t'avons élevé au faîte de nos destinées.

L'impression immense de l'amour ineffable se meut des oiseaux aux hommes, des hommes aux oiseaux, et tous les animaux de la terre se souviennent à cet instant de ce qu'ils ont laissé derrière eux pour que l'homme soit sur leur sentier, en vol, ou marchant sur terre.

Mon cygne relève le cou et montre fugitivement comment ses ailes deviennent de feu chaque fois qu'un homme aime le monde. Le serpent n'a pas trouvé sa place, aujourd'hui. Il s'agace. Il s'impatiente et murmure à une ombre que son drame vient du fait que j'ai vécu trop de vies pour lui, et que cela l'empêche d'avoir une approche, sans pourtant vouloir lâcher prise , puisque je ne suis pas au bout du chemin.

Le temps me crée une place sur le sentier sur lequel je n'ai pas marché aujourd'hui, car j'ai vu le rayonnement de l'Amour et que ce fut un pas immense sans empreinte marchée.

J'ai jeté mes sandales de cuir, mon manteau et ma montre, car ils sont de la terre et que je les reprendrai dans autre vie pour marcher sur la route.


Ô forêt ! Sombre abbatiale de siècles infinis,

De sa singulière liberté me raconte sa vie aimante !

Douce, savante, humble, calfeutrée à minuit,

Me dit l'épitaphe des temps anciens qui chantent.


Auguste arbre, me révèle-t-il de son règne

Son immortelle demeure, qu'immuables

Saisons jamais ne la pétrifient ; est-il châtaigne

Qu'il est le témoin des vies qui passent semblables.


D'hivers en printemps, respire-t-elle douce, et hiberne

Qu'en l'art de ses bourgeons, elle me transforme.

De la mort rôdant à l'entour n'a ni crainte ni cerne,

Et pour la grâce de l'homme, sanctifie sa forme.


Elle veille sur toutes les métamorphoses titanesques.

Elle dit : si des caduques et des feuillus, vous pénétrez

Vies et leçons éternelles, comme nous, belle fresque,

Vous saurez que je suis de connaissance brodée.


 

Meurs et deviens à moi, comme aux humains !

Meurs et deviens ! Qui l'a compris de sagesse ?

Va de ces trois verbes ! Être, meurs et deviens !

Foulez-la, sobrement, volontaires et sans paresse. 

Pour acheter ce récit, c'est ici, ouvrez le lien

https://www.amazon.fr/dp/1081981881/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=le+sentier+beatrice+lukomski+joly&qid=1563865017&s=gateway&sr=8-1&fbclid=IwAR2LyLe3RQc49rDkVPjJo6QRRgSYGttvtZi0XOphBvIJzcm6XfJZFG_fwPY

https://www.facebook.com/beatricelukomskijoly/

Au hasard ... chapitre six sur les douze.

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Je marche pieds nus. Je les regarde. Ils sont tout couturés de blessures cicatrisées. Que ma marche est longue ! Qu'ai-je encore à marcher ? Je marche pieds nus. Ai-je déposé mon orgueil à l'abîme que je découvre, enthousiaste, avoir construit six arches à mon pont. J'ai gravi six marches et j'ai construit six arches. C'est toujours le printemps. Je regarde mes arches. J'admire ce qu'elles sont de force, bien ancrées sur le sol, prenant magnifiquement appui sur les rives où je me suis reposé si souvent dans la vigilance. Elles surplombent l'abîme dont je refusais, avant ce jour, de regarder le fond, et dont j'ai, ensuite, témoigné du reflet des forces obscures. Mes arches scintillent sous le soleil ardent.

Six marches, six arches, deux colonnes et cinq sceaux, sont dans mon bagage, non pas de celui que j'ai jeté et repris sur mon sentier, mais de celui qui est brodé d'Amour. Mes marches sont resplendissantes. Leur marbre blanc reflète la perfection du ciel azuré bleu, strié d'éclats du feu rougeoyant des aurores et des crépuscules, qui m'ont servi de piédestal sur mon sentier. Mes arches réverbèrent tout l'Amour vécu et surtout donné. Elles sont semblables au cristal chantant leurs arpèges. Je touche presque le firmament.

Ma ville, aux dômes chatoyant de la couleur or, semble s'approcher. Je la vois de plus en plus distinctement, quoique je l'aie vue avec tant de précisions que j'en avais été stupéfié. Elle est le but et l'achèvement de mon sentier.

J'ai trente-trois ans. Tout se joue à cet âge. C'est ainsi. Mon âge est d'une telle intensité que mon ami, aux cheveux mordorés de lumière, me rend visite, pour m'offrir la rencontre avec trois de ses amis les plus fidèles.

Je marche parmi les roses pourpres intenses de parfum quand, respirant l'une d'entre elles, Ariel habille mes épaules et ma chevelure, d'un voile de soie qui n'est pas celui de ma naissance. Je le sens. Je ne le vois pas. Je le sens me coiffer. J'en aime sa légèreté. Il est si caressant que le vent pourrait être jaloux de partager son souffle avec cet autre que lui. Mais le vent est le vent, et le voile est le voile, et aucun ne se jalouse. Le souffle, que je ressens sur mes cheveux, appartient à la grâce qui jamais n'éteint la vie quand bien même nous quittons la terre pour le grand ailleurs sans ténèbres. Je suis impressionné car je le sens sur mes cheveux et non dans mes cheveux. Là est la différence avec l'esprit du vent. Mon ami m'entoure de ses ailes filigranées dans l'empreinte de mon corps. Je les perçois. Elles resplendissent dans mon aura. Elles aveuglent. Ma fille avait raison de demander si les hommes avaient besoin d'avoir les yeux ombrés pour nous regarder, afin de ne pas être aveuglés par l'Amour, tant il est puissant et consumerait tout sur le passage des hommes inconscients de sa perfection et de son infinitude en majesté. Je L'ai vu de nuit. Alors qu'affirmant cela, je me demande ce qu'il est, lorsque je le verrai en plein jour. Le voile déposé sur ma tête doit être soulevé. En attendant, mon ami de l'azur blanc de lumière me dit qu'il m'est offert par la volonté de sa mère. Je n'en crois pas mes oreilles. Un si beau cadeau ! «  Il te protégera dans les épreuves. Il ne t'épargnera rien des douleurs, mais il te protégera en ce sceau que tu viens de sceller avec moi, en moi, l'Amour. » me dit-il.

Deux voiles invisibles m'habillent maintenant. Celui de ma naissance me fut offert par la grâce de mon ciel bleu et par la Sophia en souvenir d'actions édifiées pour l'amour témoigné depuis des vies. Le second vient de m'être offert pour que je le soulève sur mon sentier. Les illusions doivent mourir, et aimer doit être au-delà du consentement, lequel n'est plus un tiraillement pour moi. Je suis. J'ai tout dit en disant cela. ô doux nom ineffable ! exprimé chaque fois que nous parlons de soi !

Prenant conscience de mon nom dans l'être qui se nomme, Ariel m'invite à la table du roi céleste et dit d'une voix si douce qu'elle en est presque imperceptible : « Viens et vois ! » Levé-je la tête que mon regard embrasse l'apparition de trois êtres dont la stature se confond dans l'univers. Sont-ils grands ? Ils se confondent dans l'espace comme je viens de le dire, m'obligeant à cambrer la nuque, pareil à un nouveau-né découvrant le monde, ou entendant une note de musique s'élevant dans l'air pour traverser douze éthers.

- Raconte !  dit Ariel. Je fais silence. Je me concentre sur ma rencontre.

- Comment dire ce que je vois sur mon chemin sans que mots ne paraissent fades ? Tu les as invités en ma demeure et ma demeure les reçoit.

- Témoigne pour les hommes, Jean ! dit ce que tu as vu !

- C'était hier. Hier et aujourd'hui se fondent. Ils étaient trois, majestueux. Je me sentais, face à eux, semblable à un nouveau-né. Ma taille était comparable parce que j'étais réellement un nouveau-né pour leur monde. Je les voyais me scruter l'âme comme s'ils se concertaient pour me reconnaître digne de mon entrée en leur ciel. Ils étaient trois, revêtus d'amples robes aux larges manches, recouvrant leurs pieds. Leurs robes étaient de la couleur bleue pour l'un, rouge pour le second et jaune pour celui qui est au centre. Ils m'observaient, me jaugeaient, sans rien dire que je n'entendais. J'étais simplement intimidé face à ces trois rois parce qu'il me semblait qu'ils étaient rois. Un seul portait une couronne aussi large que haute, emplissant la vie dans son espace. Quand ils eurent fini de me jauger, ils disparurent de ma vue sans que je ne puisse leur demander leur présence visible plus longtemps. Ils sont partis comme ils étaient venus, discrètement, sans bruit, silencieux, introvertis, les visages impassibles et austères, baissant leurs têtes vers l'homme que je suis. Tu le sais, Ariel ! Tu les as invités.

Peu de temps après, un autre vint, cuirassé de bleu, le cheveu ondulé blanc comme neige, volant tel un oiseau, balayant le ciel d'un vol rapide, semblant foncer sur moi. Je fus très impressionné. Je le vis estomper sa présence dès qu'il fut à la hauteur de mes yeux. Son regard était d'une autorité sans égale et je me savais jaugé une nouvelle fois. Je compris qu'ils ne jugeaient pas qui j'étais, mais celui que j'allais être sur leur sentier, car le sentier est leur architecture, leurs colonnes, leurs nuits, leurs jours, pour l'homme. Te dirais-je que j'étais troublé ? Je le pense. Etais-je apeuré ? Pas le moins du monde. Étais-je étonné de leur présence ? Oui, je l'étais.

J'ai su qu'ils étaient là pour me regarder monter mes six dernières marches sur le grand escalier de marbre blanc. J'ai compris qu'ils observaient comment je bâtissais ma part du pont au-dessus de l'abîme. J'ai réalisé combien ce pont leur était essentiel. Un petit d'homme est en train d'accomplir l'Amour qui est le nom de leurs robes et ils sont là à regarder comment l'homme devient Homme par le dur labeur de la connaissance dans la douleur. Ont-ils béni mon chemin ? Je le pense. Ils m'accompagnent. Tu le sais. Ils te regardent aussi.

- Qu'est-il arrivé après ces rencontres ?

- Le temps et l'espace ne sont plus qu'un. Je ne saurais te donner exactement la durée des faits vécus, mais il me semble que le temps était comme condensé d'un instant dans l'éternité. Je me souviens d'un acte étrange qui a estampillé son nom en ma maison.

- Comme j'aime t'écouter, Jean ! Continue ! Je ne me lasse pas de t'entendre. J'ai tout vu mais, j'aime que tu mettes en mots ton sentier, car sans mots, que peuvent les hommes saisir de notre réalité ? Sans toi, que serai-je ? Un ange tombant dans l'abîme ? Non ! Un ange mourant d'amour dans l'extinction de ton âme qui ne m'aurait pas vu ni contemplé ! C'est pour cela que je t'adore, Jean ! Tu me connais. Tu me parles. Jamais, tu ne m'ignores. Je suis important pour toi autant que tu l'es pour moi. Aussi, j'aime t'écouter, bien que je t'aie vu.

- Alors, entends ! J'étais accompagné par trois jeunes enfants. Ils étaient venus me rendre visite. Je leur avais préparé un goûter. J'avais cuisiné quelques confitures et confectionné quelques biscuits de décembre, bien que nous soyons au printemps.

- Oui …

- C'est fort étrange, Ariel ! car mon souvenir a lieu en décembre, alors que nous sommes encore au printemps !

- N'as-tu pas dit que l'instant était devenu éternité ? N'as-tu pas dit que le temps et l'espace ne sont plus qu'un dans cette rencontre ?

- Oui !

- Qu'est-il arrivé ?

- L'hiver était rude et le gel abondant. Je me souviens. La neige recouvrait les villages et la nature. Les montagnes suintaient la froidure. Il avait neigé trente jours ininterrompus. Tout paraissait dormir, à la vie, rompu. Le ciel était bas, blanc, sourd et si lourd. La terre libérée des fortes contractions hivernales, la chaleur estivale accumulée dans les strates virginales, je vis la neige se liquéfier, invisible sous le soleil du Poisson. Entre les tuiles et le tapis blanc, elle dégela sa toison. Je m’apprêtai à entrer en ma chaumière. Les trois enfants me précédaient avec ardeur, heureux que je les aie invités à venir savourer quelques biscuits. Moi, si solitaire d'ordinaire !

C'est à cet instant que le fait étrange survint. Une voix impérative se fit entendre. Je reçus l'ordre de m'arrêter et d'attendre. « Arrête-toi ! Ne bouge plus! » entendis-je. Oh ! ces mots ! Oh ! cet ordre ! nous unîmes intimes. Je m'exécutai ; à mon tour ordonnant, immobilisant les trois enfants.

Ariel ! Je le vis, venant sur ma gauche, soudain derrière moi, dessinant une ébauche d'avenir. Un être immense se tenait dans mon dos, qui du ciel s'était hâté, de ma vie étant le garant. Il prit la tombe annoncée. Il me lesta au sol. Je ne pus avancer. Je le sentis, debout, derrière nous, comme nous cernant de toute part,  nous protégeant avec tant d'amour que nous ne pouvions plus bouger un doigt. Tout fut extrêmement vertigineux. Un drap neigeux s'évapora crapuleux. Une chape de neige gelée glissa du toit, nous espérant sous son drap glacé, et s'effondra. Les étais se brisèrent. Les tuiles se fracassèrent au sol. Les gouttières de zinc plièrent. Les stalactites cassèrent. À nos pieds, nous narguait le bloc de glace. Nous regardions, médusés, l'effroyable fracas. Le rosier jaune qui coiffait un étai n'avait pas plié une seule de ses branches. Les piliers étaient restés intacts alors que tout le reste était détruit. C'était comme un signe donné. Mon rosier et mes colonnes était indemnes. Je faisais attention à tous ces détails.

L'être, qui se tenait derrière nous et qui nous avait immobilisés, lâcha ses mains pour nous laisser enfin aller. Le sentir partir me fut simultanément joie et tristesse. Nous franchîmes le porche, intérieurement secoués. Nous ressentîmes du bonheur, étrangement délivrés. Le soleil, haut dans le ciel, scintillait, diamantant chaque flocon qui miroitaient. Je pus percevoir les étoiles qui racontaient l'interstellaire vie que les flocons révélaient. Curieuse émotion qui plus jamais ne me lâcha ! Le sceau final d'un acte gravait sa vie en mon âme et me recréa. L'a-t-il gravé en leur âme d'enfants ? Je le pense. Seuls, eux le savent. Ils l'ont vu. Ils l'ont vécu. Ils dirent que tout était étrange. Ils dirent encore qu'ils avaient été comme paralysés. Spontanément, je remerciai l’être de volonté secourable. Une conscience sourde m'indiqua son dessein aimable, sans que premièrement, je comprisse sa volition. Je me sentis d'appartenance à la création. Je me souviens avoir dit aux trois enfants qu'une grâce divine était intervenue, nous obligeant, chacun au remerciement. Nous devions nous incliner. Les enfants étaient intempérés d'allégresse et se mirent à chanter. Quel solo à trois voix ! Comme ils étaient beaux ! Comme j'aimais les entendre chanter ! Leurs rires furent des sons les plus cristallins que j'ai pu entendre, Ariel ! oui, je pense que l'acte a aussi gravé en eux sa mémoire.

- Et...

- Non loin de mon logis s'élevait un belvédère. En haut de la colline, une allégorie de la Vierge que les pèlerins avaient adorée au passé, se tenait droite dans l'azur. Une statue lui avait été élevée, là, belle de bronze doré. Aux siècles consommés, avait été édifié une forteresse cuivrée qui abritait les pénitents en chemin pour Compostelle. Elle était forte érigée et longue de sentes autour de ses stèles. Je la vis, elle, l'invisible citadelle détruite par le temps dominant la gracieuse vallée de l'Albarine depuis sept cents ans. Un des enfants la vit et me la montra. Les deux se plurent d'une image que l'un, vite, renia. Il me dit « Tu as vu, Jean, le château ? » ce à quoi je lui répondis que j'en connaissais son existence passée et que j'en voyais les traces forgées dans le sol, mais que je ne le voyais pas comme lui le voyait. Il était seul à le voir. Je demeurais dans la grâce de cette aide. Je lui demandai qu'il me le dessine quand adulte, il serait, et qu'il devait en garder le souvenir. Il était heureux de voir ce qui ne se voit pas, humblement content d'être estimé de ce grand pas et surtout que je ne doute pas de sa parole. Voulais-je que l'on doute de la mienne ? Je ne doutais pas de la sienne. C'est celui, qui vieux devenu, sculpta ma canne pour soutenir ma marche, m'affirmant qu'il la taillait car j'en aurais besoin. Ô doux enfant à la destinée si lourde ! ! Victoire reste son nom. Le passé laisse ses empreintes que nous voyons si nous prenons le temps d'observer.

La petite fille précédait nos pas dans la neige ; elle, disant qu'elle était maintenant l'éclaireur de ma route. Elle l'était. Ai-je vu plus tenace volonté dans la protection que je n'ai rien vu d'actes terrestres. Je lui faisais confiance. Je savais que je pouvais compter sur elle. L'âme n'a pas d'âge sinon l'âge de sa création lors la nuit des Temps.  Aussi, ne doutai-je jamais qu'elle était une aide.  Regardez un enfant, écoutez le parler et vous saurez d'où il vient, quelle est sa force, s'il est en avance sur son temps, habillé de conscience, ou simplement dans l'air du temps.

Nous rendre en haut de la colline s'avéra fondamental. Nous voulions vivre du geste le principal. Nous nous enfonçâmes jusqu'aux genoux dans la neige intouchée du pas des hommes. Les enfants s'enneigèrent, harassés, car leur petite taille leur faisait lever haut les jambes. C'était amusant à voir. Nous rîmes alors comme jamais nous ne le fîmes auparavant. Nous vécûmes à ce moment une communion intense en nos âmes. Celui qui avait vu le château ne lâcha pas ma main une seule seconde. Eux et moi, pour toujours liés, fut une faveur que personne ne sut en cette singulière heure. Nous parvînmes à la statue de la Vierge. Elle semblait nous sourire. De là, nous pouvions contempler la vallée vêtue de blanc. L'immensité du monde souriait à nos pieds, et devant nos âmes s'étalaient nos futurs reliés. Une mer de nuages nous cacha la longue combe. Nous étions dans les hauteurs, au-dessus de la vallée, et la vallée était cachée par les nuages. J'aime être au-dessus des nuages, là où la lumière n'est jamais cachée. Cela me fait mesurer combien l'invisible pour certains est visible pour d'autres. Personne ne peut le nier. J'ai toujours pensé, Ariel, que le monde donnait autant de preuves que nous en voulions.

- Et...

- Seuls, au-dessus de l'onde moutonnée, et dans l'ombre encore de nos jeunes années, nous savions ce qu'elle contenait de secrets. Nul ne connaissait nos vies récemment recréées. Il me prit de les aimer, vaste comme un océan, profond, profond, profond, d'un cœur rose sang, en la fleur parée d'innombrables pétales de soie que le mot amour ne suffit pas à décrire. L'Amour emplit mon espace de jour en jour, grandit volontaire, tout autour. Il se créait dans ma poitrine pour rayonner. Je sentis sa force contenir tous les hommes. À la nuit naissante, je voulus remercier la providence. Je sortis, scrutant l'immensité du ciel en résidence, du sombre bleu noir, je le vis à nouveau évoluer vers l'émeraude, tel je l'avais déjà vu. Le vert émeraude s'irrigua de la couleur orangée en tâches chaudes. L'étoile en jaillit, douée d'étincelance majestueuse. Ne la connaissais-je pas déjà ? Elle se mit en mouvement, entreprenant une croissance respectueuse, dans la vallée, et entre les montagnes avançait, resplendissante de mille rayons.

Le corps fatigué suite à l'effondrement de la toiture de l'auvent qui aurait pu nous tuer, sans fatigue de l'âme, et la conscience vive, je me couchai. Inconsolable sur mes faiblesses, je pleurai, car une telle aide nous fait mesurer nos faiblesses et notre valeur aussi.

Apparut un être immense, tout de jaune lumineux. Point de pieds ni de mains caché par son habit soyeux brodé de fils d'or. La robe ample de lumière m'aveugla alentour. Je fermai les yeux. Mes paupières closes n'enlevèrent pas l'apparition. C'est un constat étrange de voir les yeux ouverts et de continuer à voir les paupières baissées. Je vis deux couronnes posées sur la noble vision. L'une semblait appartenir à un roi terrestre, et d'elle, s'élançait un diadème éternel céleste. La tiare semblait n'avoir point de limite dans l'univers. Je suis, me murmura-t-il. Je ne le nommai pas. Il sécha mes larmes, me rassurant de sa présence. Toutes mes illusions périrent en ce jour. Enfin, presque ! 

- Tu es aujourd'hui le créateur de tous tes actes, proclame mon ami.

- L'homme nouveau naîtrait-il en moi ?

- En ces jours, sur ta trente-troisième année, tu es né. Plus rien ne sera comme avant, dorénavant ! 

Mars dans son hiver annonce son printemps. Je le sus ce jour à l'aube de ma vie, car la neige avait dégelé sa nappe cristallisée à l'aurore d'avril. Je venais de prendre conscience que lorsque nous croyons être seuls, sans aide, nous ne le sommes jamais.

Maintenant je suis vieux. Mes trente-trois ans sont passés et sont restés le témoignage de mes jours. Ils sont restés si vifs en mon souvenir que je n'ai pas vieilli. J'ai seulement le corps plus lourd, plus souffrant et davantage ancré dans le corps de la terre. C'est tout. C'est ainsi. J'aime mes rides. J'aime mes cheveux blancs. J'aime ma voix devenue plus grave. J'aime mon âge qui me dit vieux pour ma vie terrestre. J'ai soixante ans. J'ignore combien de temps il me reste à vivre sur terre, mais j'aime cette durée qui m'attend. Je regarde le temps et le temps me dit que de nombreuses années arrivent pour me gratifier de leurs semailles pour ma moisson, et mieux que cela, semer pour d'autres moissons qui ne sont pas les miennes. Aucun pont ne peut se construire sans la volonté d'un ou plusieurs hommes qui s'attellent à cet accouchement. « Tu es l'un d'eux ! » entends-je.

J'ai soixante ans. Je quitte mes saisons. Je vais. Je vais vers le printemps, la saison de tous les renouveaux, la saison où les roses fleurissent sur leurs bois noirs. J'ai, encore, quelques illusions à écimer, comme nous étêtons les branches mortes avant la floraison des fruits et des fleurs. Mes arbres ne sauraient avoir de beaux fruits, forts et vigoureux, si je ne regarde pas la forme de leurs branches dans l'arbre qui les porte. Je dois tailler la plus forte de mes illusions, et que dit-elle devant ma serpe ?

Je regarde un cerisier enveloppé de fines fleurs blanches que mon ami, aux cheveux blancs comme la neige de l'hiver écoulé, me montre. Ses fleurs s'étalent dans l'air, semblable à une multitude de petits papillons blancs en vol, après être sortis de leur chrysalide. J'aime la blancheur auréolée de la lumière en cette saison. Elle est la seule lumière qui vibre et tinte de toutes les saisons, pareille à une multitude de grelots suspendus dans l'air. L'avez-vous remarqué ? Je regarde mon cerisier.

- Bonjour Jean ! dit l'arbre, courbant ses branches fleuries jusqu'à mes pieds pour m'accueillir.

- Bonjour cerisier aux mille fleurs ! Mes cheveux ont beaucoup blanchi cet hiver ! Ils sont aussi blancs que ta parure. Je te ressemble.

- Je vois cela ! Ça te va bien. Qu'es-tu venu chercher auprès de moi ? Puis-je t'aider, si je le peux ?

- Disons que j'ai encore quelques illusions et que je cherche le moyen de n'être plus soumis à leur triste réalité. Je me disais que tu pourrais me guider.

- Tu as choisi la bonne personne si je puis m'exprimer ainsi !

- Je crois qu'il n'y a pas de hasard. Sais-tu que bien souvent ce sont les éléments de la nature qui m'ont apporté quantité de réponses ?

- Oui ! je le sais car cela doit être ainsi ! Tu cherches comment tuer tes illusions si j'ai bien compris !

- Oui !

- Alors, écoute ! c'est, en fait, très simple...

- Simple ? Je t'écoute !

- Tu es en face de moi, n'est-ce pas ? Que vois-tu ?

- Toi, avec tes branches ouatées de petites fleurs blanches.

- C'est tout ?

- Cela ne suffit-il pas pour tuer mes illusions ?

- Que nenni ! regarde bien !

- Je te vois tel que tu es.

- En es-tu certain ? Je ne crois pas ! pas du tout !

- Tu es bien un cerisier, chargé de fleurs blanches, dont toutes les branches sont fleuries et alourdies de fruits futurs ?

- Je le suis, oui ! Fais un pas ! Arrête-toi ! Regarde-moi ! Fais encore un autre pas, arrête-toi ; regarde-moi à nouveau. Continue ainsi à chaque pas ! Que vois-tu ?

- Ciel ! Qu'est-ce que cette branche pleine de mousse qui enlaidit ton visage ? dis-je, ahuri.

- Elle est celle que les hommes ont créée lorsqu'ils me trouvent laid ou passent à côté de moi, sans me voir. C'est une branche d'hommes. Ce sont les hommes qui ont enlaidi ma ramure dans leurs illusions. Comme toi ! Ne crois pas un instant que tu es parfait ! Tu m'as blessé de moisissures sous la mousse. Cette branche est en train de mourir. Tourne encore autour de moi ! Que vois-tu ?

- Je vois un nid d'abeilles à la croisée de tes branches, au faîte de ta cime. Je ne le percevais pas de l'autre côté !

- Non, vraiment ? Tu le découvres maintenant ! Heureusement que ces abeilles ont élu domicile sur mon corps, sinon, je serai mort à moi-même avec toute cette mousse humide qui pourrit mes fleurs ! Il n'y aurait plus de cerises pour ton plaisir. Peux-tu tailler cette branche et donner de la lumière aux abeilles ? 

Je grimpe dans l'arbre qui assure mon escalade, branche par branche, comme je le fais sur le grand escalier en marbre blanc dans l'azur de mes amis qui m'attendent. Je prends ma serpe qui est dans ma sacoche et que j'ai toujours avec moi pour couper herbes et plantes qui me soignent lorsque je suis blessé. Avant de tailler la branche, je demande aux abeilles si je peux me nourrir d'une coulée de leur miel, et si je peux en récolter pour ma coupe sertie d'émeraudes et de rubis dont je n'ai jamais voulu me séparer puisqu'elle me sert à anoblir mes expériences. Je bois le miel. J'emplis ma coupe. Je taille la branche. Je crie de douleur. Je tombe au sol, fracassé, venant de chuter après un grand coup de serpe donné. J'ai basculé sans prendre garde à mes gestes et sans penser vraiment à ce que je faisais. Je le faisais machinalement. J'ai l'épaule droite fracturée. Je ne peux plus bouger mon bras, mais la branche est taillée et me recouvre. J'ai appris à ne plus pleurer à chaque douleur. Je ramène mon bras vers la poitrine et décide d'utiliser le miel dans ma coupe pour badigeonner la nouvelle vilaine plaie à ma gorge qu'un fétu a touché avec puissance, tel le fil d'un rasoir. Le cerisier me regarde, tout en ayant une forte émotion à la vue de mon sang qui épanche sa terre pour sa sève circulante de bas en haut, de haut vers le bas. J'ai si mal ! Je vois le serpent, endormi sous une pierre que je n'avais pas vue, tellement obsédé par mon arbre et mes illusions, glisser jusqu'à moi. La douleur est si vive ! J'ai envie de pleurer. « Non ! ne pleure pas ! » me dis-je intérieurement. « Le serpent sera content si tu pleures et tu ne pourras pas te servir de ses anneaux pour construire ta onzième marche afin de la gravir. » me dis-je encore.

Je ravale mes pleurs. Je regarde mon cerisier. Je comprends enfin ce qu'il a voulu m'enseigner. Tant que je ne le regarde pas de tous côtés, je ne connais pas son essence ni sa nature, moins encore ses blessures et ses forces. Je suis l'illusion de ma perception qui croyait qu'il était d'une seule beauté, sans savoir qu'il pouvait être malade. Je comprends que je dois voir tous les aspects d'une chose pour en avoir leurs vérités et leur connaissance exacte. Je comprends qu'il n'y a pas qu'une vérité mais une foule de vérités qui construisent la vérité. Je comprends que je demeure dans l'illusion la plus complète, tant que je n'ai pas voulu voir tous les aspects d'une réalité. Je reste alors dans ma nuit, et en conséquence je ne peux pas soulever le voile des événements. Ma fracture, c'est cela ! Je fracture mes illusions. Je fracasse mes illusions. Oh ! ce n'est pas sans vivre d'une douleur effroyable ! Croyez-moi ! Une illusion brisée est aussi forte qu'une fracture d'épaule. Il nous faut tout repenser comme nous devons consolider notre articulation. Ce n'est pas sans remise en question profonde. Mon épaule est fracturée mais mes jambes ne le sont pas. Encore une fois, je me dis que dans mon malheur, j'ai été préservé du pire. L'arbre n'a pas voulu que mes jambes soient fracturées. Je peux donc toujours continuer à marcher, rayonnant, car c'est ainsi. Le serpent regarde l'herbe trempée par ma blessure et s'en va, m'offrant quelques-uns de ses anneaux pour que je finisse la construction de ma sixième marche, me disant en ricanant :" je t'attends ailleurs, bougre !

Je le vois luisant sous le soleil de mon matin que mon midi du printemps aime. Le cerisier me remercie pour sa nouvelle beauté, car sans lui, je n'aurais pas perçu sa blessure. Je vais sur le sentier. Je vais le corps et l'âme reprisés de blessures, heureux et confiant.

Suivez le lien pour acquérir ce récit 

https://www.amazon.fr/dp/1081981881/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=le+sentier+beatrice+lukomski+joly&qid=1563865017&s=gateway&sr=8-1&fbclid=IwAR2LyLe3RQc49rDkVPjJo6QRRgSYGttvtZi0XOphBvIJzcm6XfJZFG_fwPY

 

 

Fil RSS des articles de cette catégorie