C’était un dimanche, par une chaude journée de printemps, que nous pouvions voir se promener un homme, les mains croisées dans le dos. Il semblait attendre quelqu’un, sans attendre vraiment, car il regardait le cours de la rivière au niveau de l’écluse ouverte qui laisserait une péniche passer. Le ciel était haut tout en étant en lui, comme indivisible de sa clarté en son regard qui le reflétait aussi large que profond. Sous la lumière puissante de midi, il semblait invisible par moment, comme disparaissant à cause de trop de clarté diffusée à cette heure. Parfois, on le voyait se retourner et s’accroupir près d’une fleur à laquelle il semblait raconter son instant pour l’éphémère d’une floraison venue trop tôt, comme pour ralentir le saut qu’elle devait faire pour se faner. On le voyait se relever lentement et, sans comprendre son mouvement, nous pouvions apercevoir qu’il était déjà à scruter la coulée émergeant du déverrouillage de l’écluse, sans l’avoir vu se retourner. On le voyait encore lever un doigt comme si, sans lui, l’écluse ne pouvait laisser passer le bateau, et que son geste était le processus fondamental pour cette ouverture. Personne ne le regardait vraiment tant il était présent dans son absence physique qu’on ne pouvait que le deviner. Puis, un oiseau venait à se poser sur son épaule, un autre en sa main, et encore un à ses pieds. Il les saluait après avoir écouté leur chant pour les laisser repartir comme ils étaient venus. Des promeneurs allaient, le frôlant d’un pan de leur veste, inconscients de sa compagnie. Il semblait être âgé, les cheveux blancs, tout en arborant une jeunesse et une force puissantes.
Alors que badauds passaient à côté de lui sans le voir, trop absorbés par leurs pensées se souciant de leur quotidien davantage que de sa présence, elle le vit, lui chuchotant un bonjour d’une voix timide, puis retourna à sa contemplation sur les images que la dentelle de l’écume donnait à voir. Ils voyaient chacun les mêmes tableaux dans cette eau dansant dans leur espace réfléchi par le soleil. Longtemps, ils ne se parlèrent pas, unis tous deux au mouvement de l’eau. Un rayon de soleil vint à coiffer la chevelure et les yeux de l’homme, puis se posa de la même manière sur le regard et la chevelure de la dame. Elle le regarda, sembla le reconnaître sans se souvenir pour autant de l’endroit et du moment ou elle avait pu déjà le rencontrer. Lui, il savait ; il se souvenait mais n’en disait rien. Elle vit ses yeux semblables à l’étincelance d’un diamant. Ses yeux à elle étaient d’une profonde tranquillité qu’elle avait rarement connue, encore opaques d’une vie aussi lourde que pénétrante et, pourtant, déjà transformés par le rayonnement solaire. Ce fut le baiser du rayon à leurs âmes qui éveilla le moment de leur rencontre. Il se tourna, la regardant fixement d’un regard doux, en baissant les paupières, parfois, pour ne pas l’effrayer et dit :
- Nous nous connaissons, vous et moi.
- Je connais votre visage, répondit-elle, mais je ne me souviens pas où j’ai pu vous rencontrer.
- C’était il y a longtemps, Madame. Il doit y avoir quatorze ans écoulés depuis cette rencontre. Je suis venu vers vous et je vous ai proposé mon aide sans que vous n’y ayez répondu. Vous souvenez-vous ?
Elle ne se souvenait pas. Quelqu’un était venu lui offrir de l’aide sans qu’elle n’ait relevé ni accepté, et pour quelle raison ?
- Non ! Vraiment ! Je ne me souviens pas, dit-elle. Je me souviens seulement de vos traits.
- Puis-je vous aider à vous souvenir ? demanda-t-il. Voyez le mouvement de l’eau, il n’est jamais semblable au précédent et pourtant il porte la mémoire de tous ses mouvements. C’est ainsi que je suis venu vers vous, comme le geste de l’eau qui a baigné mes pieds et vient d’épouser les vôtres. C’est pourquoi, je vous ai trouvée, attendant cette nouvelle heure qu’il y a longtemps, vous n’avez pas vue, tellement ancrée dans votre quotidien, ajouta-t-il, et pourtant, à cette époque, je voulais entrer en relation avec vous.
- Je crains que ce ne soit une énigme, Monsieur, car vraiment ma mémoire n’a pas enregistré votre signe.
- Puis-je vous donner quelques détails qui vous aideront ? Car je suis certain que votre souvenir est aussi présent que l’eau jaillissante en face de nous, affirma notre visiteur sur le saut de ces quatorze années réalisées.
- J’accepte quelques confidences sur ce passé oublié, dit-elle. Oh ! Ce rayon qui n’en finit pas de rendre votre vêtement transparent !
- Comme sur les pétales de cette sauge rouge de Graham devenus aussi translucides qu’un plomb anobli à l’heure ou le soleil les traverse ! poursuivit-il, le sourire complice de leur transparence. Puis, avec prudence, il ajouta : C’était en hiver, un froid et sombre jour de novembre.
- Cela ne me dit rien. Combien de jours froids et sombres en novembre, y a t-il ? Tant !
- Celui-là était particulier et n’avait pas son jumeau en automne. Souvenez-vous, enchérit-il. Vous aviez froid et pourtant vous étiez à l’abri du vent, mais pas du vent intérieur qui crée la tristesse des jours qui se voudraient ensevelis pour toujours.
Elle ne répondit pas. Elle se souvenait bien qu’il y avait eu des nuits et des jours d’une grande tristesse qui ressemblaient au froid intérieur qui ne peut se raconter à personne sans que la personne qui ne les reçoive ne s’effondre à son tour de tant de chagrin.
- Souvenez-vous ! insista-t-il. Je veux que vous vous souveniez, sinon à quoi bon que je sois là, à votre côté ? Je vous donne un autre détail ? Vous buviez une tasse de chocolat chaud pour réchauffer votre corps et aussi votre cœur en déshérence. Tant de tristesse et personne pour vous secourir. Vous souvenez-vous ? j’étais là, à vous tendre la main. Vous l’avez vue et vous n’avez pas osé la saisir, votre âme en secret qui espérait que sa mort vienne pour que tout s’achève naturellement sans que vous n’ayez décidé de la hâter. J’étais là. Je vous regardais, assis en face de vous. Nous étions à trois pas l’un de l’autre. L’eau a coulé sur vos pieds, depuis. La glace de l’hiver engendrait la pluie de l’été qui abonde en la rivière. Souvenez-vous de la neige tombant du toit, voulant vous ensevelir... presque trente ans avant ces jours. Je vous avais sauvé la vie, physiquement sauvée; et cet autre jour, c'est la vie de la pensée que je venais sauvée.
- Quatorze ans ! Je me souviens. En effet, les jours étaient froids et sombres comme l’enfer qui veut happer la vie. Vous étiez là, et je ne vous ai pas répondu. J’ai vu en vos yeux un rayon tel un baiser à ma vie que c’est ce rayon que j’ai reconnu sans vous reconnaître. Le corps n’a pas cette transparence que nous espérons telle vous l’aviez, tel vous êtes.
- Je ne vous ai pas dit mon prénom ; je vous ai juste tendu la main et je vous ai donné ma carte pour que vous m’appelliez, espérant que vous le feriez parce que j’étais venu pour vous. Vous deviez dire mon nom et vous n’y avez pas pensé, trop accaparée par vos jours pour lesquels j’étais venu afin que vous les traversiez avec moi, ensemble, en ce rayon qui vous aime et que j’avais reconnu à des lieux lumière de votre présence. Vous ne m'avez pas reconnu. Vous le pouviez cependant. La première fois, j'étais descendu de si haut que vous n"avez pas douté de mon nom, mais la seconde fois en mon habit physique, vous ne m'avez pas reconnu dans mon habit de ciel.
- Vos seuls mots furent : « Madame, vos yeux ! Tant de souffrance en eux ! » Oui, c’était vous. Je vous avais oublié. Pardonnez-moi ! tant d'indignité en moi à votre égard ! Oh Jean ! Ô Jean !
- Vous vous souvenez. C’est bien, dit-il, le regard habillé de chaleur et d’Amour que, seuls, la nature, l’animal, et l’homme, témoignent des bois entrelacés. J’étais déjà venu, il y a trente trois ans, vous secourir, et vous m’aviez reconnu ce jour, pourtant aveuglée par le soleil qui dardait sa lumière de janvier à l’invisibilité du froid de l’hiver. Ne dite ce secret à personne. Sage est ma troisième visite en votre vie. Venez !
Ainsi, l’eau baignant la nature et l’écluse près de la sauge fleurie venaient de révéler à la fontaine des destinées les âmes qui ont leurs pieds baignés. Avant de quitter la rivière et ses chaloupes, ses arbres et ses fleurs, il s’inclina devant elle, puis ensemble, ils s’inclinèrent devant l’oiseau venu sur un épi de blé, s’inclinèrent ensuite devant la Nature endimanchée, resplendissante de vie, et s’inclinèrent devant la terre et ses minéraux qui brillaient pareillement au cristal enfin advenu en leurs chemin liés pour leur éternité. Il lui tendit une rose rouge qu’elle effeuilla pour que sept pétales ornent ses cheveux, tel il l’avait souhaité quatorze ans en arrière et fait trente ans avant.
BL

écrit sur la musique de Neil H from his Album Mermaid
Photo issue du site :
https://www.societe-acp.fr/differences-syllogomanie-syndrome-diogene/
Quarante-cinq ans ! Quarante-cinq ans que la maladie la tenait à la gorge et à l’âme ! Terrible, perverse, envahissante, castratrice, persécutante, indélébile ! Elle, elle, était atteinte de schizophrénie. Elle, elle était la dernière-née d’une grande fratrie qui n’avait pas eu la chance de vivre dans l’amour témoigné.
La grippe, la sclérose en plaques, le cancer, la paranoïa, et tant d’autres pathologies avaient le même profil avec les mêmes symptômes du début à la fin de la maladie, mais pas la schizophrénie, si ce n’était le premier symptôme commun à chacun, le dédoublement, être deux en soi, être habité par soi qui est un horrible ennemi et dont la laideur n’a pas de rémission vers la beauté du monde, mais évoluant sur des modes différents selon la personnalité de l’âme. Elle, cette maladie avec un nom défini n’avait pas sa semblable dans les pathologies psychiatriques. En cela, elle trompait son monde ; elle était difficilement perceptible comme une constante en tous ses signes. Elle, elle pouvait passer inaperçue comme elle pouvait être tonitruante, voire assassine. Méchante en son essence, elle, la schizophrénie ne montrait jamais d’équilibre entre ses mêmes symptômes. Un jour mythomane, le lendemain agressive, le surlendemain prévenante comme l’air du printemps parce que la peur est son habit et que c'est son appel au secours, puis un autre jour, fidèle à l’existence du double qui s’est reconnu tout en s’attaquant inlassablement à soi et à l’âme de l’autre : la maladie qui terrorise d’abord celui qui la porte et la vit au quotidien, heure après heure, puis qui terrorise le proche les jours qui ne conviennent pas aux normes sociales du double pathologique.
Quarante-cinq ans envahissants galopaient comme galope un cheval devenu fou parce qu’il s’est emballé apeuré par le serpent qui l’a piqué à la couronne du sabot ou au paturon, et s’est détruit en heurtant un arbre ou un mur. Blessé, il boîte à vie quand il ne meurt pas de sa folie en s’étant jeté dans le vide, tellement hanté par le souvenir de sa morsure. Oui, hanté par soi-même. Le double !
Elle, elle, amie parmi les amies qui font une vie, je l’avais connue au détour de la vie, mise sur ma route une nuit de démence pure. Cette amie mordue par la maladie ! Les nuits de démence s’étaient répétées comme un geste devenu toc parce qu’il n’a plus de solution pour être. Je l'avais aidée autant que je l'avais pu quand aide elle demandait. L'aide improbable dans laquelle on se perd malgré tout l'amour que nous portons. L'amitié est un leurre dans ces cas pathologiques. Elle et elle profitaient plus qu'elles n'aimaient ses amies. Elles étaient utiles jusqu'à un certain point de non-retour.
Qui était-elle, elle ? Elles deux ! L’une et l’autre indissociables dans la pensée et jumelles dans les actes. Elle, elle, étaient toujours deux pour n’être qu’une sans jamais dire laquelle nous avions en face de soi. Une seule personne qui est double et dont nul ne savait qui agissait vraiment à aucun moment de la vie. La caresse ou la giffle, le mot tendre ou l’injure, la vie ou le risque de mort sur soi ou sur l’autre. La terreur incarnée en s’accommodant à être deux pour toujours. Elle, elle, ne savaient jamais laquelle en elle allait parler, agir, aimer, haïr. Elles étaient elle. Schizophrène !
Comment avait-elle su qu’elle, qu’elle, était deux ? Elle avait soudainement vu sa tête se déporter face à elle, accrochée à son cou, la regardant féroce, ricanant. Elle s’était regardée effrayée d’être deux. L’autre ne la quittait plus, toujours en face d’elle, la scrutant et la guidant : « Ha ha ! Fais ceci, cela ! Je suis toi. », la plongeant dans l’abîme dans lequel n’habitaient que des démons qu’elle et elle voyaient partout où elles allaient. Son double lui avait dit qu’elle était la nouvelle Vierge Marie et qu’elle portait un prophète en son sein. Elle était devenue Marie sous le ricanement de son double, mais une "Marie" dont la méchanceté n’avait d’égale que le diable, que son double avait réinventé. Ce double menteur devenait paranoïaque si quelqu’un tentait de lui affirmer que Marie n’était pas l’image qu'il lui disait être. Dans ces moments de tentative de raisonnement, elle aurait tué qui tentait de lui montrer la réalité. Elle, elle, avaient agressé souvent, souvent en mots, plus rarement en actes. Cependant, elle, elle, avaient tenté de démolir un enfant qui ne lui plaisait pas, une sœur qu’elle jalousait, une mère pour avoir de l’argent, sans être parvenu à aboutir ses actes contenus en sa main guidée par le double. À ces moments, les crises violentes étaient apaisées par des neuroleptiques nombreux, la couchant, qu’il fallait lui donner pour qu’elle et elle ne récidivent pas, car l’autre en elle lui disait de ne pas les prendre. Elle dormait quinze heures par jour et ensuite elles sortaient ensemble. Lui, son double, avait été jusqu’à lui conseiller de ne plus voir de psychiatre et elle s’était conformée à la demande de son sosie ténébreux. Elle et elle ne voyaient plus personne, quelques amies rares qu'elle et elle aidaient parce qu'elle et elle les avaient aidées.
Elle et elle avaient cependant parlé ensemble pour accepter de prendre le traitement à vie car l’une d’elle ne voulait plus revoir l’ignoble face, seule décision sage que la plus sensée avait écouté sans jamais dire à son généraliste de quoi elle souffrait. Elle avait changé de médecin pour que personne ne sache et se contente de recopier l’ordonnance, fine manipulation du double qui avait coopéré : « Je te fiche la paix si tu tais ma présence. Tu ne me verras plus accrochée à ton cou si tu fais ce que je te dis.» Elle et elle vivaient ensemble en s’étant adaptées l’une à l’autre, forme terrible de la schizophrénie que nul ne pouvait voir si ce n’était l’anormalité du comportement enfantin dans un corps adulte et parfois avec quelques mots qui interpellaient, elle, semblant donner le change car l’autre elle savait manipuler avec art. " je vais porter plainte contre toi et je gagnerai car je suis handicapée." était de ses mots favoris. Cet autre était extrêmement intelligent, d’une intelligence machiavélique, mais intelligence ! En cela, nous pouvions constater et vérifier, quand cela était possible, que tous symptômes psychotiques ne sont pas forcément obscurs et inconscients. Nous pouvions remarquer que l’aspect psychotique ne concernait pas la schizophrénie en tant que telle, soit le dédoublement qui lui est conscient, mais les symptômes associés que la maladie engendrait : la paranoïa, la kleptomanie, la manipulation, le mensonge, la saleté - elle ne se lavait pas -, le syndrome de Diogène, le syndrome du sauveur - elle et elle avaient quantité de chats enfermés dans un logement insalubre qu'elle et elle avaient ramassés dans la rue, disant qu'on les lui avait donnés - façon de restructurer l'amour non eu dès la prime jeunesse, façon de se remplir par tous les moyens. Elle était leur maman, disait-elle, puis, l’absence de morale vraie déguisée en morale de circonstances.Toutes ces dérives s’étaient mises en place, l’une après l’autre, elle et elle heureuses d’être tout cela car entrées dans une nouvelle normalité de la vie qui stabilisait le conflit intérieur mais sans être exempt de dangers pour l’autre et plus pour elle et elle. Dangereuse, elle l’était. Violente, elle l’était. Ne pas mourir sous ses mots et ses actes invitait à se retirer souvent quand un proche montrait trop de volonté d’aide qu’elle et elle ne pouvaient pas supporter au-delà d’une certaine limite. Nul ne devait toucher à cet égo déporté qui était devenu son ami sans plus le voir, mais dont elle savait la présence. " Il me guette ! Il revient si je diminue mon traitement."
C’est ainsi qu’un jour, après que ses parents furent morts, elle et elle s’étaient reportées sur des membres de la famille selon ce qu’elle et elle en attendaient : de la condescendance, de l’adhésion à sa maladie, et surtout de l’argent pour acheter tout ce qu’elle et elle voulaient, sauf acheter de quoi se sustenter, ce qu’elle trouvait partout en proposant son aide, principalement chez les plus faibles. « J’aide, tu vois ! Et on me donne à manger. Je peux acheter tout ce que je veux comme ça. » On aurait dit « abus sur personne fragile » mais elle était aussi fragile bien que plus forte dans sa fragilité. « Je te coupe les cheveux et tu me donnes dix euros, je suis moins chère que le coiffeur mais, surtout, tu dis que je l'ai fait gratuitement, que je suis gentille. Tu sais, je pleure quand on me dit gentille. Ce n'est pas souvent. » disait-elle. Elle avait appelé sa soeur " maman" pour s'autoriser tous transferts et la soeur avait dit avec colère : " Non ! Jamais ! je ne suis pas ta mère !" ce qu'elle et elle avaient très mal pris et vécu comme une offense et une attaque lourde. " Les mamans, c'est fait pour nourrir les enfants toute la vie." disait-elle.
Elle et elle achetaient tout en double, en quadruple, parfois davantage mais toujours en nombre pair, un objet pour elle et le même pour son autre elle. Elle et elle avaient ainsi une vingtaine de statues de la Vierge Marie qu’elle et elle contemplaient comme se voyant dans le miroir de sa démence acceptée et autant de Père-Noël et de poupées que ses rêves avaient souhaités avoir. Si elle achetait une simple chemise de nuit, elle l’achetait aussi en double pour son autre, son parfait sosie resté accroché à son cou. C’était ainsi pour chaque achat ; deux, quatre, six, huit, dix, douze objets semblables pour les satisfaire toutes deux. Elles deux pouvaient superposer plusieurs tapis acquis les uns après les autres comme entasser les boîtes et les papiers d’emballage parce qu’ils étaient précieux. Quiconque venait, peu de personnes ! marchait alors sur des tonnes de détritus parmi foule d’effets qui brillaient parce que briller était l’ordre de son ami accroché à son cou. Ainsi, on voyait moult couronnes scintillantes derrière des vitrines de buffets qui étaient tout aussi nombreux au point de n’avoir que l’espace d’un corps menu pour s’y faufiler. Elle avait été obèse nourrie par tant de personnes assurées qu'elle avait faim, déambulant chez elle, nul ne saura comment, et maigrit au jour du décès de ses parents qui ne l'alimentaient plus. Un oncle avait aussi cessé de lui envoyer de l'argent car il avait appris la présence de nombreux chats : " Je ne nourris pas des chats ! tu m'avais dit que tu avais faim !" Il n'y avait plus personne qui acceptait de toucher les chèques de l'oncle pour lui redonner en espèce la gloire du chèque. L'argent gagné par la mendicité avait acheté ses marbres, ses tentures d'Aubusson. Elle ne mangeait que si on lui posait une assiette devant elle ou mis un sandwich dans les mains.
Démasquées un jour d’hospitalisation, elle n’eut pas d’autre choix que de commencer à vider son logement lorsqu’une infirmière ne put pas placer un simple extracteur d’oxygène. Un membre de sa famille avait alerté mais nul ne l’avait pris au sérieux : « Quoi ! Mais elle est chez elle ! nous veillons à son bien-être et son appartement est correct ! » prouvant par là qu’elle n’avait aucun suivi dans ses drames de vie. Elle et elle avaient veillé à ce qu’aucune visite ne se fasse en sa tanière non éclairée, sale, dangereuse, au grand nombre de chats ajoutés. Sauver le monde des félins, peu importe les hommes ! La schizophrénie avait bien des visages conscients que l’inconscience des intervenants ne pouvaient pas démasquer. Aucun ne venait donc la voir chez elle ou de moins en moins.
Elle et elle avaient requis de l’aide auprès d’un proche qui devait lui donner des ordres selon elles, comme le sosie le faisait. L'infirmière et le médecin l'avaient exigé. C’était acté. L’appartement repris un peu vie ses détritus jetés à la benne, les quadruples, les sextuples d’objets donnés à une association. Les immondices jetés, il avait été découvert que tout était cassé : chambranles de portes, serrures, WC, chauffe-eau, gazinière rouillée, frigidaire ne fonctionnant plus, lit effondré, canalisations bouchées, tant les objets et les meubles avaient été accumulés et déposés n’importe où jusqu'à des vitrines dans la cuisine et dans l'entrée. Aussi, parce que lors de crises de panique, elle avait fracturé les serrures persuadée qu’on lui voulait du mal. Les mots étaient souvent interprétés, voire inversés dans leur sens, provoquant drame sur drame, et la panique engendrait ces actes de violence sur les portes. Un inconnu avait tenté de mettre le feu plusieurs fois à sa porte d'entrée à l'aide de papier journal bourré au niveau de la fente, affirmait-elle, sans qu'il n'y eut, jamais, de traces de flammes à la base de la porte. Pas une ombre, pas une noirceur de suie. Il fallait la croire parce qu'elle l'affirmait. Elle disait avoir porté plainte contre l'incendiaire sans que la police n'ait pris la plainte au sérieux. C'était-elle déplacée ? Nul ne sut la finalité de ces incendies de porte.
Elle et elle regardaient, disaient-elles, ce décor tel un paradis sur terre. La vierge le lui avait dit. Beaucoup se demandait comment elle et elle avaient pu acheter autant, et dans ce vertige de matières dont des effets de valeur : bronzes, marbres, tableaux, et ces fameuses tentures authentiques d’Aubusson, chacun, peu ! apprenait qu’elle mendiait auprès d’un grand nombre de personnes, famille comprise, arguant toujours qu’elle avait faim. Chacun y croyait car peu entrait chez elles, quelques voisines qui l'aidaient en la nourrissant quand elles avaient trop cuisiné et aidaient les chats. De bien aimables dames.
L’appartement presque remis en conformité avec l’aide de tierces personnes ; la schizophrénie se débarrassa des personnes qui l’avaient aidée car elles avaient été témoins de l’innommable et qu’elle ne supportait pas les témoins. Elle les jugea dangereux selon la face rusée à son cou et les jeta comme tout le reste qui avait été jeté, affirmant que les aidants lui voulaient tous du mal, car l’un avait découvert qu’elle avait hébergé durant quatre ans un sans-papiers pour être nourrie et celui-ci retourné en son pays natal faisait des transactions via une banque internationale dont les SMS attestaient ces transactions venues d'Afrique. Il lui avait laissé aussi ses chats pour qu'elle s'en occupât. Ni vu ni connu, malgré tout ! L’invalidité faisait foi, disait-elle. Elle avait rendu service pour manger. " Il ne me gênait pas. Je dors tout le temps. Il me donnait à manger. Il faisait ce qu'il voulait. Je ne manquais de rien. Il faisait des voyances par internet. Il gagnait bien sa vie. Mon appartement n'était pas aussi encombré quand il était là. Puis, ça ne le dérangeait pas ; il voulait une place sur le canapé pour travailler et dormir. Il revient ; il a obtenu un visa." La schizophrénie ne s’embarrassait pas de savoir si tel ou tel fait était juste ou un délit.
« Casse-toi ! Casse-toi ! Compris ! Casse-toi ! » une, deux, trois quatre, cinq fois, dans une violence verbale rare et assassine que se sauver est l’unique alternative. La schizophrénie avait parlé, avait émis un verdict. Elle pouvait reprendre sa vie comme elle l’avait toujours vécue. Diogène pouvait revenir cohabiter avec elle. Elle n'avait à nouveau plus d'obstacle. Elle dit que l’autre était hypocrite, qu’il voulait sa mort, tout cela en sanglots encore et encore.
La schizophrénie est multiple. Elle n’a pas de témoins. Elle a la parole du non-doute. Elle est la certitude du mensonge et de la manipulation, de la puissance et de l’influence. Chacun est aveugle, peut-être parce que c’est arrangeant ou parce que la puissance d’intention est plus forte que tout le reste. Lorsqu’elle vole dans les magasins, la schizophrénie montre sa carte d’invalidité pour ne pas être poursuivie. Le double sait faire. Il est maître dans l’art de cacher la vérité. Lorsque la schizophrénie veut un objet neuf, elle le cache loin, le déclare volé, porte plainte, fait beaucoup de bruits avec beaucoup de sanglots souvent, et ensuite va le rechercher. Elle a eu ce qu’elle voulait : un objet similaire, quasi semblable sinon mieux. Un portable traçable que nul ne trace. L’invalidité a dit et l’invalidité a été accréditée dans son mensonge. Tant de visages pour une seule maladie ! Tant de symptômes pour elle-seule ! L’incendie et son feu brûlant, la noyade et l’étouffement, le diable est l’autre, pas le soi suspendu au cou. Le double est roi. Décalage entre les deux têtes, l’une visible, l’autre invisible, que l’une d’elles parfois dit qu’elle doit être accrochée à un objet cassé pour lui redonner vie.
Jung avait perçu le mouvement de l’âme qui défaille, pas Freud ni Lacan qui n’ont vu que du sexe dans la tête parce que selon eux la tête ne pense pas mais n’est que l’image d’un utérus ou d’une verge, mais aucun des trois n’avait pensé l’âme comme dissociée d’une réalité triple – la pensée- en ne la voyant que double – corps-sexe et sentiments-sexes. Aucun des trois n’avait vécu avec un porteur de la schizophrénie ne pouvant pas estimer la réalité des vécus passant inaperçus. Certains cas étaient exempts de sexualité car "être la Vierge" excluait cette possibilité bien qu'ayant un ami d'argent. La maladie n’était plus qu’un mot creux sans expérience vraie, leurrant chacun, assujettie à des traitements stabilisants pour les crises et jamais ne guérissant, car le double aime se balader des uns aux autres tant son invisibilité est grande. Sa joie est immense lorsqu’il abîme celui qui le porte et celui qui vient à aider son porteur. Il est roi, sans maître ni lois. Il joue ; il prend ; il use ; il tue psychologiquement ou physiquement avant de se tuer soi-même lorsqu’une crise est plus intense qu’une autre. Ajoutons humblement qu'il y a autant de personnes schizophrènes dans la schizophrénie qu'il y d'individualités différents dans le monde ; Il y a des symptômes identiques pour chacun puis ces symptômes évoluent avec l'âge et la personnalité vraie de la personne malade. Ce qui peut donner l'impression authentique de jouer à cache-cache avec ces gens.
Appeler au-secours pour cet autre et n’être pas entendue. La lassitude et aussi parfois la colère prenant notre quotidien comme témoin qui ne peut plus aider au-delà de ce qui a été fait sur quarante-cinq ans. Ne pas mourir usé, non pas d'avoir aidé mais d'avoir été lynchée, jetée, insultée.
La démence a encore de beaux jours devant elle quand manquant de certaines prises en charge et de connaissances physiologiques, car elle est physiologique avant d'être psychologique puis psychiatrique, agissant en trois temps, ou quand celles-ci arrivent trop tard devant l’inéluctable. Il avait fallu partir, décider de ne pas la revoir, une fois l'appartement remis en état, le dossier médical ancien retrouvé et transmis à son médecin. La sécuriser et se sécuriser.
La brume est venue un matin blanc
déposer son drap blême sur son flanc,
et à ses nuits lassées sur le lin, elle court
nappé de nuages tissés de secours.
De quelques mots et de quelques douleurs,
elle a annoncé de sa mousseline sa pâleur,
la fin d’un destin, enfin au seuil,
que l’attente en est terrible pour ce deuil.
Caressant la pulpe muette des fleurs
quand l’or du soleil attend son heure,
elle a enveloppé le lointain firmament
d’une opale irisée d’un feu bienveillant.
Rose parmi les roses, chardon aussi,
lors de l’étendue de la rosée, tel un glacis,
elle œuvre d’une infinie recouvrance
que sa croyance en Marie en est flagrance.
Puis s’étalant parfois sans fin sur la vie,
elle raconte le froid de sa veine trahie,
lui parti, elle arrogante, moi déliée,
aux embruns projetés de l’Allier.
Blonde, châtain aussi, double et fragile,
un jour altruiste, l’autre cruelle et en péril,
elle vogue dans l’air, espérant le matin,
qui de retour, s’étourdirait d’humains.

Johann Heinrich Füssli (1741-1825)
La Folie de Kate, 1806-1807
Huile sur toile - 91,8 x 71,5 cm
Francfort-sur-le-Main, Frankfurter Goethe-Haus
Photo : Ursula Edelmann - Artothe
https://www.latribunedelart.com/spip.php?page=docbig&id_document=16713&id_article=4338
https://fr.wikipedia.org/wiki/Johann_Heinrich_F%C3%BCssli
Illustration originale de Cosette par Emile Bayard du roman de Victor Hugo
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Bayard_(illustrateur)
Le malheur ne comporte pas tous les malheurs,
c'est le bonheur du malheur de se contenter de peu !
Elle s'en ira un jour fait de n'importe quoi, de matins ou peut-être de soirs, sous les lunes de nos miroirs et des soleils qui n'auront de rayons que dans nos souvenirs lointains. Il n'y aura pas de larme car elle n'aura pas été aimable, se dit-il. Il n'y aura pas de gerbes car les fleurs ne l'aiment pas. Il n'y aura pas de chats sur le marbre couché, car ils ne l'aiment guère plus ! Il n'y aura pas de rose, ni leur éclat, car elle est laide. Elle se brûlera aux vents téméraires des embruns qui n'ont pas de sens, accompagnée de je ne sais quel ami : Victor Hugo ? pour glacer les meilleures volontés ! Mais qui donc a hurlé dans les marées des océans la beauté des horlas que Maupassant a épousé sous l'ombre d'une ombre voilée à peine ? L'ombre a frôlé l'ombre et la lumière regarde sans sourciller, parce que la lumière n'épouse pas l'ombre, ni l'ombre la lumière . Le saviez-vous ? Le sais-tu, toi ? Le Toi aux veilleurs d'âme qui aimerait réveiller, mais réveiller quoi ?
On dit qu'il y a longtemps un cheveu d'Ophélie a caressé sa joue et que ce même cheveu s'est noyé dans la masse de sa chevelure qui n'a plus jamais été que la lumière de ses ombres disparues ! Ophélie s'est noyée si souvent qu'elle ignore si elle attend encore, suspendue à des branches d'arbre ! Le soleil a brillé, juste un peu, un peu, un tout petit peu, pour qu'il habite sa mémoire, pour qu'il habille sa mémoire avant que la folie s'empare d'un tout petit cheveu de cette belle chevelure qui n'a fait que passer sans s'arrêter sur ses reins ! Les anges y ont cru si fort que les étoiles se sont mises à briller davantage avant que le rêve n'arrive, parce qu'il n'y a pas eu de rêve, jamais ! Les tempêtes l'ont aimée plus que les orages n'aiment leurs éclairs fendant les cieux des Chérubins, paraît-il ! Feues les tempêtes, il manquait les corps devenus trop vieux, qu'ils n'imaginent même plus être corps ! Il parait qu'ils ont été habités dans des caves aux faisceaux tournants, miroitant tels des soleils sans lumière. Comprenne qui peut ? La cécité et la surdité sont parfois des diamants qu'il vaut mieux épouser avant que les hommes bien intentionnés ne rêvent d'habiter des palais ! Puis, lentement, retourner dans les sombres espaces des caves qui tournent, tournent, et encore tournent, craignent-elles ! Faut-il combien de mémoire pour dire aux âmes bien pensantes stop à la laideur ! et béni soit le rêve des espérances !
Mais qui disait donc de l'aimer un peu ? Le glas des vœux a sonné et cette histoire est moche parce que écrire parfois des horreurs qui ont aussi un sens est un arbre qui s'envole, enfin ! peut- être ! être libéré ! C'est le glas de la misère et cloches sonnent dans les cieux à défaut de sonner au faîte des clochers.
II

la mort de Fantine
Y a t'il des hommes amoureux ?
Existent-ils les hommes amoureux ?
Aux caves, aux bois touffus dans les rivages des océans noirs, qu'ont ils fait aux femmes riches de chagrin ? Les astres brillaient pourtant haut dans le ciel sans monde de glaise parce que le terrestre se revêt de désirs, qu'homme impulse sans conscience, qu''il aime élargies dénué de remords.
Les branches des arbres frémissent des mouvements qu'elle n'a pas voulu Ophélie. Eux susurrent des mots plaisir pendant qu'elle n'entend ni ne voit rien. Ils ont engendré la bête ! Les roses fanent et le ciel meurt. L'océan fait des vagues et les bleus à l'âme engendrent une destinée de bleus car c'est ainsi lorsqu'une artère est percée !
Aux hommes indélicats reste l'hémorragie qui ne peut rien de son goutte à goutte incessant.
Alors, elle, la pauvre Ophélie devenue Fantine revêt ses haillons et tourne, toujours tourne, jusqu'au vertige, au son des mémoires du bois ensanglanté de la virginité volée sous douze membres ! Trois hommes !
III

"la mort d'Ophélie" de Delacroix
Le vent s'affole, la marée ne sait plus si elle doit monter ou descendre. Il est vraiment minuit dans ce bois noir des ramages que Blanche Neige regarde terrifiée tels des ravages ensorcelés de méandres d'écorce qui font mal sous la peau. Les visages à peine devinés se tordent et convulsent. La bête hurle et Ophélie meurt dans les bras de Fantine. La jupe longue rouge dansera encore sous les alizés fracassant la roche qu'elle pointe de ses semelles. Elle ignore si le ventre enflera, si la jupe virevoltante ne deviendra pas lambeau au rythme des fruits qui grossissent ! Mais non !
Le malheur ne comporte pas tous les malheurs, c'est le bonheur du malheur de se contenter de peu !
Mais qu'avaient-ils osé faire pour que le bois noir brûle sans flamme ? Comment ? Comment un corps presque sans conscience peut-il se retrouver couché sur la mousse ensanglantée de la virginité humaine ? Pas un ange n'a volé autour et à l'entour ! Pas une paire d'aile de plumes blanches n'a frôlé son hymen! Même le diable n'a pas laissé entendre son rire ! Il avait raison d'elles, œuvrant dans le silence des embruns marins, au littoral du Jersey que Victor Hugo n'aurait jamais rêvé de cet autre exil !
L'exil de Jersey, elle venait de l'épouser, tout en portant sa voix vers le Jersey d'Hugo qui aussi a fait le sourd ! Hugo lui a juste murmuré dans la nuit noire du bois marin du Jersey outre atlantique que Fantine n'est morte que d'une tuberculose et qu'il lui offrirait sur un plateau d'argent un petit peu de son destin, et mieux qu'il lui léguerait sa maison d'Hauteville Jerséenne en celle d'Hauteville Bugiste. Il faut bien exécuter comme un criminel les transferts, non !
Pauvre Ophélie ! Elle a rêvé encore se noyer mais l'océan n'avait pas de branches pour s'y accrocher ! Elle a appelé Fantine au secours et l'homme, peut-être bon, dans sa vision de l'amour, l'a cueillie, l'a ramassée dans la boue, sal,e mais le bon-homme n'était pas Jean Valjean parce qu'il savaient qu'il engendrerait à cette Fantine dénudée des douze membres, d'autres Jean Valjean qui la porterait, sans se donner, juste soumise parce que le corps habité d'un viol n'aime plus vraiment le toucher qui heurte, qui blesse, qui creuse les sillons de la mort !
Ophélie hurle de douleur.
Fantine est demeurée soumise, et Dante avait bien dit qu'il n'y avait de béatitude vraie que dans l'après-enfer des jours apeurés !
Excuse-moi, Dante, de t'avoir été infidèle !
Fantine n'a plus de dents, ni de cheveux qu'elle a laissés à Ophélie. Fantine a vu les bêtes de Koch grignoter ses poumons parce qu'il faut bien nettoyer la saleté que Cosette a du mal à dépoussiérer ! Alors ! Alors, elle a régressé pour retrouver le giron des innocences virginales pour ne plus jamais être blessée tout en étant Cosette à vie, parce que porter des seaux lourds, c'est s'occuper l'esprit ; parce qu'avoir peur dans la nuit noire des bois charnus aux douze branches tordues, proche du rivage du Jersey détricoté, c'est se pouvoir un possible envol que l'homme bon ne saura jamais récupérer, parce que là où le corps et l'âme ont été violés, il n'y a plus que ruines invisibles répertoriées au patrimoine de l'humanité violée !
Ophélie a survécu, là-haut... nul n'a jamais su comment, ni Fantine guère plus, mais les deux mariées ont pleuré pour ne plus jamais être blessées .
Cosette crie au fond du bois noir :
« Je suis Cosette !
Je suis Cosette et ma mère s'appelait Fantine !
Je suis Fantine ! je suis Fantine et je n'ai pas vu d'hommes bons ! »
IV

"la mort d'Ophélie" par Thomas Dodd https ://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Dodd_(artist)
Elle a appelé, appelé, puis crié d'une voix presque timide de soumission . Elle lui a dit, mais lui n'a rien dit, ni crié, ni hurlé; Il ne l'a pas crue. Il a souri comme tout homme rêvant du beau fantasme qu'il ne commettra jamais parce que le soleil de toutes les moralités dit qu'il faut respecter le soleil et les fleurs aux pétales virginaux.
"Mais non ! ça ne fait pas mal !"
Ophélie bégaie. Elle ne sait plus si au pays de l'Italie de son ami Dante, elle peut lui dire qu'elle a vu l'horreur et qu'elle ne pourra plus jamais être guide aux rayons de la foi des droitures . Elle n'est pas sa Béatrice !
A trop enseigner l'autre, nous nous brûlons les ailes .
Il ne fallait pas espérer l'hymen sans penser l'orchidée des racines sans lymphe ! se disent les Ophélie et les Fantine au bras des Cosette terrifiées sous les bois terribles des vie qui enlacent sans permission ! Mais comment cela est-il arrivé ? Est ce que l'acte a encore sa mémoire ?
Je me souviens l'avoir vue heureuse dans sa fragile jeunesse, si proche de la candeur que sa virginité aurait pu devenir vierge pour les siècles à venir.
Était-elle belle ? Il se disait que oui.
Je me souviens avoir entendu des bouches des femmes qu'elle était si douce que toutes jalousaient son aura. Je me souviens avoir entendu des bouches des hommes qu'un ange de passage ne se retrouvera plus jamais, et que le rare instant de la rencontre devait devenir le beau rêve qui plus jamais ne se referait. C'est ainsi qu'elle est apparue au fond du bois noir, sous une lune qu'elle a oublié, tant les branches cachaient le ciel qu'elle n'eut pas le temps de l'implorer. Elle n'a rien dit. Ils l'avaient muselée.
Je revois l'or du verre de cristal se remplir d'un sang jaune que le soleil marié à la lune au crépuscule naissant perfuserait ses veines et les méandres des deux lobes sans lenteur au rythme de leurs vœux. la drogue !
Le savait-elle, Ophélie, que son hymen était convoité ? Savait-elle que quelques secondes après, l'or perverti, ruissellerait, nauséabond, entre ses membres sans chaleur ?
Elle leva les yeux, implorante, du haut de sa jeune maturité qui n'avait pas encore réalisé vraiment son âge, puis s'endormit sans se souvenir, revenant à elle, puis retombant dans sa léthargie des moments qui ne servent à rien, ni à l'utile, ni au désir, ni à la volonté, juste au diable qui a regardé satisfait !
Le corps de Fantine était bleu comme un ciel d'orage. Chaque éclatement de la coupe de sang en son corps relevait de l'ignominie vécue. Le Temple n'était plus Temple . Le voile de l'innocence venait de se fendre en deux. Le corps bleu se parait de noir et la virginité demeurait dans son esprit, le corps souillé.
V
La mer houle et les vagues cognent le rivage. C'est en images les flots l'emportant au fil de l'écume qui la fait mourir car elle ne voit plus Ophélie. Elle est devenue sourde Fantine.
Vivre, survivre, le corps démantelé, posé là, sur la mousse.
Les hommes ont trouvé cela beau .
Les hommes ont trouvé beau la laideur.
Ophélie a crié, tout en s'apercevant qu'elle n'avait plus de voix. Fantine a hurlé parce que Cosette n'était pas née. L'homme de cœur n'est pas venu la ramasser, et sur l'écartèlement du corps sans pitié, sans larmes à force de douleur, sans pardon, elle a vu l'avenir, riche de rides, de larmes, de sanglots, qu'elle ne pliera jamais à la volonté de l'homme meurtrier.
"Au secours !" essaie-t-elle de murmurer la voix défaite.
Les Ophélie et les Fantine ont la malchance de n'être jamais crues lorsqu'elles se racontent. On dit d'elles toujours qu'elles en font trop, les plaies s'épanchant aux vents des laideurs que les hommes nient car ils sont hommes et se délectent au viol des femmes parce qu'ils sont hommes et qu'ils renaîtront femmes.
Les Fantine ont hâte de les voir naître femme tous ceux qui auront relégué les virginités aux odeurs des mousses des bois et des lichens des caves !
Moi aussi, témoin de leurs souffrances !
Elles ont revécu mille fois l'ultime douleur chaque fois que l'homme a dit : " Mais tu le voulais n'est ce pas ? "
Alors j'ai pris les deux amies au creux de mon cou pour les consoler et à leurs oreilles ai murmuré tous les possibles, et je les ai vues mourir chaque jour du geste qui aime sans aimer.
Elles ont essayé cent fois de mourir et la candeur perdue, elles sont mortes enlacées du doute des autres.
La mousse écoulée sur la mousse du bois noir a abreuvé la terre que les élémentaux ont pris pour laver la souillure.
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Tchaikovsky - Hymn of the Cherubim
Connaissez-vous le comble du maltraitant ?
C'est celui d'affirmer face à ses victimes et à qui veut l'entendre en presque pleurant qu'il est la victime de sa -ses- victimes.
Il ose le pire de l'indécence. Assassin est-il.
BL
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Il était une fois une colombe et un corbeau. Le corbeau avait grands biens et plusieurs niches en ses murs et la colombe n’avait qu’un arbre fleuri pour se poser. Le corbeau aimait agacer la colombe et tournait sans cesse autour de l’arbre où se reposait l’oiseau blanc. Il avait en vue de prendre l’arbre qui avait une roseraie pour amie et d’agrandir son domaine. Il pensait que la roseraie pouvait lui appartenir également. Pour ce but, il volait sans répit autour de l’arbre. La colombe ne bougeait pas. Elle n’avait que faire du corbeau qu’elle trouvait bien laid dans ses vœux et ses actes. Elle le regardait tournoyer autour de l’arbre fleuri de roses, paisible, mais ne doutant jamais qu’un coup de bec du corbeau pouvait détruire ses ailes. Le corbeau avait appelé en renfort les corbeaux de son lignage alors que la colombe était seule en ce lieu. Tous attaquaient la colombe en sa roseraie. Les corbeaux sont foison ; les colombes sont rares.
Le corbeau croassait fort et parfois imitait le roucoulement de la colombe. C’est un mimétisme que possèdent tous les corbeaux. La nature l’avait doté de ce pouvoir alors qu’elle n’avait donné à la colombe que le pouvoir de roucouler. Injustice dirons-nous, mais c’est ainsi que la nature est faite. Nous pouvions nous demander si dans cette capacité à imiter, la création n’avait pas voulu signifier qu’un oiseau noir pouvait ressembler aux hommes néfastes et par là, s’en méfier.

Le corbeau était tout juste sorti du nid et savait déjà imiter les attitudes apprises par ses pairs. La colombe ne ressemblait qu’à elle-même, unique parce que pure en son intelligence d’oiseau blanc.
Jours et nuits, il épiait l’arbre et la roseraie. Un jour, il agressa avec un de ses semblables une branche fleurie. Les griffes acérées balafrèrent le bel arbre. La branche tomba. La colombe gémit. Le corbeau revint à l’attaque. Il renversa l’abreuvoir d’eau pour que la colombe ne put plus boire ni se laver. La colombe alla à la rivière pour boire et se laver, loin de tous regards, pour que sa pureté demeure. Le corbeau ne l’ignorait pas et fut satisfait. Le corbeau vit un chien se promener dans la roseraie. Il lui donna un coup de bec, comme à son habitude, et envoya le chien dans un refuge. Il fit de même avec tout ce qui se promenait dans la roseraie, amis de la colombe. Il la toisa et et lui dit : Le béton siérait mieux à cet endroit, je m’en fais le garant. Il dit encore : Ici vivent des gens sales et malotrus, en parlant de la colombe et du peuple des oiseaux. La colombe appela le peuple des moineaux et demanda à ce que cette infamie soit mise sur le compte de ses actes et paroles malveillants. Ce fut acté. Le corbeau ne lâcha pas prise. Il y avait un mur près de l’arbre. Il décida de le détruire à coups de becs et de griffes, et d’agrandir, ainsi, son territoire. Le mur gémissait au sol. Il fit venir un ouvrier qui se servit des pierres pour bétonner sa cour. Le corbeau put ainsi entrer chez la colombe. Et ne s’en privait pas. Nul ne le voyait.
Hors de son domaine, il avait curieusement bonne réputation car, avec ses amis sombres plumés, il embauchait corbeaux et corneilles de la campagne pour s’enrichir. Lorsqu’il croassait, il exigeait que la colombe point de bruit ne fasse, point ne se montre. Son chant lui était insupportable. Les oiseaux de la roseraie pleuraient, car il avait aussi volé une carabine dans un champ voisin et d’un coup tiré, sans que nul ne s'en aperçoive, il tua un pigeon qui volait au dessus de ses nids. Il s’attaquait inlassablement au peuple des tourterelles nouvellement arrivé qui veillait sur le lieu. Le corbeau travaillait dur à ses niches, les embellissait avec des moyens dont nul ne savait d’où ils provenaient et payait ses congénères avec des plumes noires mais, laissant croire d’une belle écriture, que la plume noire était une plume blanche cachée sous son ventre, il paradait, or chacun sait qu’aucun corbeau n’a de plumes blanches sur le ventre.
Le peuple des oiseaux nichait dans une haie de thuyas plantée près de ses alcôves ténébreuses. Ils chantaient si fort que les matins heureux louaient les rouge-gorges, les mésanges, les moineaux, les rouge-queux, les merles, les pigeons et la colombe dans son arbre. Un jour les oiseaux tinrent conseil. Les pigeons décidèrent de salir les niches pour que le corbeau comprenne que la laideur n’est pas de l’âme pure. Plus personne ne vint voir l'oiseau noir. Il s’en alla un temps pour trouver refuge ailleurs. Son oeuvre n'était qu'une grande faillite. A force d'acculer la colombe, il avait tout perdu. Ses mangeoires délaissées s'abîmèrent. L'une de ses niches s'écroula, preuve que l'on peut vouloir déloger une colombe, la vie vient en aide au bel oiseau affublé de tristesse. Il décida de revenir chez lui et d’embellir à nouveau son bien, clamant au peuple des oiseaux et à la colombe qu’il avait changé et qu’il avait compris la leçon, qu’il serait désormais leur ami. Mais le corbeau reste un corbeau, sombre et envieux, inquisiteur et épiant la mort. Il redevint lui-même et décida de tuer la colombe puisque telle était sa nature. Le peuple des oiseaux pendant son absence s’était multiplié dans le jardin. Ils avaient connu la paix et dans leur sérénité construit leurs nids. Le corbeau ressortit sa carabine trouvée dans un champ. Il avait appris à la manier comme tous les corbeaux font pour se nourrir de cadavres. Voyant parfois un des leurs gémir au sol, un autre agonir avant de rendre l’âme, le conseil des oiseaux se réunit une nouvelle fois. La colombe écoutait. Les moineaux en plus grand nombre dirent : il nous faut déménager de cette haie car la haie va périr, ainsi sera juste la sentence. Le corbeau comprendra que sa laideur n’a d’égal que la mort de ses arbustes proche de ses niches.
Il nous faut nous en aller, dirent les oiseaux. La colombe approuva, tout en étant triste, car elle serait seule en son arbre, sans plus avoir d’oiseaux près d’elle si la haie venait à mourir. Le corbeau avait entendu cela et ne comprit pas leur intention. Il dit : pourquoi devraient-ils partir, je ne pourrais plus jouer avec la mort, mais je veux bien raccourcir les branches pour que la plupart quitte cette demeure que je n’aime pas, salissant la mienne. Au diable la roseraie ! Alors, il vint sur l’arbre de l'oiseau blanc, visita son jardin. La colombe le poussa dehors, lui affirmant que son arbre était sien et que nul ne la délogerait par la volonté démoniaque d’un corbeau mal- embouché.
Le jardin des oiseaux était si beau que la colombe aimait y vivre. Le jardin du corbeau était devenu un vaste plan bétonné dont la mémoire des pierres du mur abbattu racontait encore qu'elles n'étaient pas de ce lieu. Il croyait que nul n'avait compris mais beaucoup se souvenait qu'avant d'y avoir une terrasse bétonnée, il y avait eu là un mur fait des même pierres. La vie est juste et la mémoire des uns et des autres est intacte. Nul ne lui disait que la situation était claire. Le corbeau s'illusionnait et la colombe observait. lI aimait cela. Il trouvait beau la laideur. Deux mondes différents se côtoyaient. Le corbeau fit venir un jardinier qui élaguerait sa haie en plein hiver. La colombe comprit que là était le signe attendu du dépérissement du massif et du départ de ses amis pour une autre maison. La colombe resta chez elle. Elle regarda le jardinier tailler la haie en plein janvier. Le jardinier n’avait pas nettoyé ses outils avant d’œuvrer. Il apporta aux résineux une foule de parasites nichés en ses lames. Les oiseaux virent cela. La colombe sut que le signe attendu était là.. Elle le dit aux oiseaux qui commencèrent à déménager. Elle, occupait toujours son arbre et son jardin fleuri. Le corbeau ne sut pas, pas plus qu’il ne vit, que sa haie avait commencé à dépérir. Les branches commencèrent à roussir, symptôme d’une défaillance engagée. Bientôt le massif n’existerait plus.
La colombe était âgée. Ses pattes la portaient désormais difficilement. Elle tombait de plus en plus souvent de sa branche, fragilisée par l'âge et les actes des oiseaux noirs. Le corbeau était jeune. Il était dans l'espérance d'avoir un jour gain de cause. La colombe, à force de le subir, commençait à sentir la défaillance de son coeur. Elle volait de moins en moins souvent. Le peuple des oiseaux continuait à chanter pour lui donner courage et la roseraie devenait de plus en plus belle pour émerveiller son regard. Le corbeau continuait de nettoyer ses niches, toujours avide, toujours utilisant ses plumes noires pour qui voulait l'aider sans plumes blanches à offrir. Il attendait que la colombe meurt d'épuisement pour, enfin, qu'elle libère ce jardin et cet arbre qu'il voulait toujours abattre.
Si un jour vous passez près de cet Eden et que vous entendez dire que sa colombe est décédée, pensez au corbeau qui n'aura eu de répit dans sa nature propre à détruire.

Les oiseaux se réunirent une dernière fois voyant leur foyer rougir aux brindilles cramoisies.
« Bien ! Il nous reste encore deux à trois ans avant que cette haie ne soit disparue, et au corbeau de comprendre qu’il peut continuer à faire le mal qu’il ne lui sera pas donné de temps pour réaliser que la malveillance le le condamnera. On ne peut vouloir tout tuer de son environnement sans que la sagesse n'oublie cet affront." La colombe décida de rester en son jardin et d’attendre le retour des oiseaux quand le corbeau serait défait, quand sa propre mort pointera la fin de son chant.
C’est ainsi que la sagesse œuvre pour que le mal se transforme. Le corbeau pourra revenir s’apitoyer, disant qu’il a à nouveau compris la leçon, que le peuple des oiseaux n’en croira rien, la nature du corbeau n’étant pas de changer. Ainsi partira-t-il car son départ et sa misère sont écrits dans le livre du monde. Le temps est donné aux colombes paisibles et bienveillantes alors que celui des corbeaux est toujours mesuré.

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