Béatrice Lukomski-Joly


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L'orgeuil m'insupporte... aussi je le trace, le file, l'épie, le juge...

Il est le père de tous les défauts, la mère de toutes les erreurs, le fils des comportements, la fille des illusions.

Aux Fantine, Cosette, Ophélie ...

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Illustration originale de Cosette par Emile Bayard du roman de Victor Hugo

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Bayard_(illustrateur)

 

Le malheur ne comporte pas tous les malheurs,

c'est le bonheur du malheur de se contenter de peu !

 

Elle s'en ira un jour fait de n'importe quoi, de matins ou peut-être de soirs, sous les lunes de nos miroirs et des soleils qui n'auront de rayons que dans nos souvenirs lointains. Il n'y aura pas de larme car elle n'aura pas été aimable, se dit-il. Il n'y aura pas de gerbes car les fleurs ne l'aiment pas. Il n'y aura pas de chats sur le marbre couché, car ils ne l'aiment guère plus ! Il n'y aura pas de rose, ni leur éclat, car elle est laide. Elle se brûlera aux vents téméraires des embruns qui n'ont pas de sens, accompagnée de je ne sais quel ami : Victor Hugo ?  pour glacer les meilleures volontés ! Mais qui donc a hurlé dans les marées des océans la beauté des horlas que Maupassant a épousé sous l'ombre d'une ombre voilée à peine ? L'ombre a frôlé l'ombre et la lumière regarde sans sourciller, parce que la lumière n'épouse pas l'ombre, ni l'ombre la lumière . Le saviez-vous ? Le sais-tu, toi ? Le Toi aux veilleurs d'âme qui aimerait réveiller, mais réveiller quoi ?

On dit qu'il y a longtemps un cheveu d'Ophélie a caressé sa joue et que ce même cheveu s'est noyé dans la masse de sa chevelure qui n'a plus jamais été que la lumière de ses ombres disparues ! Ophélie s'est noyée si souvent qu'elle ignore si elle attend encore, suspendue à des branches d'arbre ! Le soleil a brillé, juste un peu, un peu, un tout petit peu, pour qu'il habite sa mémoire, pour qu'il habille sa mémoire avant que la folie s'empare d'un tout petit cheveu de cette belle chevelure qui n'a fait que passer sans s'arrêter sur ses reins ! Les anges y ont cru si fort que les étoiles se sont mises à briller davantage avant que le rêve n'arrive, parce qu'il n'y a pas eu de rêve, jamais ! Les tempêtes l'ont aimée plus que les orages n'aiment leurs éclairs fendant les cieux des Chérubins, paraît-il ! Feues les tempêtes, il manquait les corps devenus trop vieux, qu'ils n'imaginent même plus être corps ! Il parait qu'ils ont été habités dans des caves aux faisceaux tournants, miroitant tels des soleils sans lumière. Comprenne qui peut ? La cécité et la surdité sont parfois des diamants qu'il vaut mieux épouser avant que les hommes bien intentionnés ne rêvent d'habiter des palais ! Puis, lentement, retourner dans les sombres espaces des caves qui tournent, tournent, et encore tournent, craignent-elles ! Faut-il combien de mémoire pour dire aux âmes bien pensantes stop à la laideur ! et béni soit le rêve des espérances !

Mais qui disait donc de l'aimer un peu ? Le glas des vœux a sonné et cette histoire est moche parce que écrire parfois des horreurs qui ont aussi un sens est un arbre qui s'envole, enfin ! peut- être ! être libéré ! C'est le glas de la misère et cloches sonnent dans les cieux à défaut de sonner au faîte des clochers.

 

 

II

 

la mort de Fantine

 

Y a t'il des hommes amoureux ?

Existent-ils les hommes amoureux ?

Aux caves, aux bois touffus dans les rivages des océans noirs, qu'ont ils fait aux femmes riches de  chagrin ? Les astres brillaient pourtant haut dans le ciel sans monde de glaise parce que le terrestre se revêt de désirs, qu'homme impulse sans conscience, qu''il aime élargies dénué de remords.

Les branches des arbres frémissent des mouvements qu'elle n'a pas voulu Ophélie. Eux susurrent des mots plaisir pendant qu'elle n'entend ni ne voit rien. Ils ont engendré la bête ! Les roses fanent et le ciel meurt. L'océan fait des vagues et les bleus à l'âme engendrent une destinée de bleus car c'est ainsi lorsqu'une artère est percée !

Aux hommes indélicats reste l'hémorragie qui ne peut rien de son goutte à goutte incessant.

Alors, elle, la pauvre Ophélie devenue Fantine revêt ses haillons et tourne, toujours tourne, jusqu'au vertige, au son des mémoires du bois ensanglanté de la virginité volée sous douze membres ! Trois hommes !

 

 

III

 

"la mort d'Ophélie" de Delacroix

 

Le vent s'affole, la marée ne sait plus si elle doit monter ou descendre. Il est vraiment minuit dans ce bois noir des ramages que Blanche Neige regarde terrifiée tels des ravages ensorcelés de méandres d'écorce qui font mal sous la peau. Les visages à peine devinés se tordent et convulsent. La bête hurle et Ophélie meurt dans les bras de Fantine. La jupe longue rouge dansera encore sous les alizés fracassant la roche qu'elle pointe de ses semelles. Elle ignore si le ventre enflera, si la jupe virevoltante ne deviendra pas lambeau au rythme des fruits qui grossissent ! Mais non !

Le malheur ne comporte pas tous les malheurs, c'est le bonheur du malheur de se contenter de peu !

Mais qu'avaient-ils osé faire pour que le bois noir brûle sans flamme ? Comment ? Comment un corps presque sans conscience peut-il se retrouver couché sur la mousse ensanglantée de la virginité humaine ? Pas un ange n'a volé autour et à l'entour ! Pas une paire d'aile de plumes blanches n'a frôlé son hymen! Même le diable n'a pas laissé entendre son rire ! Il avait raison d'elles, œuvrant dans le silence des embruns marins, au littoral du Jersey que Victor Hugo n'aurait jamais rêvé de cet autre exil !

L'exil de Jersey, elle venait de l'épouser, tout en portant sa voix vers le Jersey d'Hugo qui aussi a fait le sourd ! Hugo lui a juste murmuré dans la nuit noire du bois marin du Jersey outre atlantique que Fantine n'est morte que d'une tuberculose et qu'il lui offrirait sur un plateau d'argent un petit peu de son destin, et mieux qu'il lui léguerait sa maison d'Hauteville Jerséenne en celle d'Hauteville Bugiste. Il faut bien exécuter comme un criminel les transferts, non !

Pauvre Ophélie ! Elle a rêvé encore se noyer mais l'océan n'avait pas de branches pour s'y accrocher ! Elle a appelé Fantine au secours et l'homme, peut-être bon, dans sa vision de l'amour, l'a cueillie, l'a ramassée dans la boue, sal,e mais le bon-homme n'était pas Jean Valjean parce qu'il savaient qu'il engendrerait à cette Fantine dénudée des douze membres, d'autres Jean Valjean qui la porterait, sans se donner, juste soumise parce que le corps habité d'un viol n'aime plus vraiment le toucher qui heurte, qui blesse, qui creuse les sillons de la mort !

Ophélie hurle de douleur.

Fantine est demeurée soumise, et Dante avait bien dit qu'il n'y avait de béatitude vraie que dans l'après-enfer des jours apeurés !

Excuse-moi, Dante, de t'avoir été infidèle !

Fantine n'a plus de dents, ni de cheveux qu'elle a laissés à Ophélie. Fantine a vu les bêtes de Koch grignoter ses poumons parce qu'il faut bien nettoyer la saleté que Cosette a du mal à dépoussiérer ! Alors ! Alors, elle a régressé pour retrouver le giron des innocences virginales pour ne plus jamais être blessée tout en étant Cosette à vie, parce que porter des seaux lourds, c'est s'occuper l'esprit ; parce qu'avoir peur dans la nuit noire des bois charnus aux douze branches tordues, proche du rivage du Jersey détricoté, c'est se pouvoir un possible envol que l'homme bon ne saura jamais récupérer, parce que là où le corps et l'âme ont été violés, il n'y a plus que ruines invisibles répertoriées au patrimoine de l'humanité violée !

Ophélie a survécu,  là-haut... nul n'a jamais su comment, ni Fantine guère plus,  mais les deux mariées ont pleuré pour ne plus jamais être blessées .

Cosette crie au fond du bois noir :

« Je suis Cosette !

Je suis Cosette et ma mère s'appelait Fantine ! 

Je suis Fantine ! je suis Fantine et je n'ai pas vu d'hommes bons ! »

 

 

IV

 

"la mort d'Ophélie" par Thomas Dodd https ://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Dodd_(artist)

 

Elle a appelé, appelé, puis crié d'une voix presque timide de soumission . Elle lui a dit, mais lui n'a rien dit, ni crié, ni hurlé; Il ne l'a pas crue. Il a souri comme tout homme rêvant du beau fantasme qu'il ne commettra jamais parce que le soleil de toutes les moralités dit qu'il faut respecter le soleil et les fleurs aux pétales virginaux.

"Mais non ! ça ne fait pas mal !"

Ophélie bégaie. Elle ne sait plus si au pays de l'Italie de son ami Dante, elle peut lui dire qu'elle a vu l'horreur et qu'elle ne pourra plus jamais être guide aux rayons de la foi des droitures . Elle n'est pas sa Béatrice !

A trop enseigner l'autre, nous nous brûlons les ailes .

Il ne fallait pas espérer l'hymen sans penser l'orchidée des racines sans lymphe ! se disent les Ophélie et les Fantine au bras des Cosette terrifiées sous les bois terribles des vie qui enlacent sans permission ! Mais comment cela est-il arrivé ? Est ce que l'acte a encore sa mémoire ?

Je me souviens l'avoir vue heureuse dans sa fragile jeunesse, si proche de la candeur que sa virginité aurait pu devenir vierge pour les siècles à venir.

Était-elle belle ? Il se disait que oui.

Je me souviens avoir entendu des bouches des femmes qu'elle était si douce que toutes jalousaient son aura. Je me souviens avoir entendu des bouches des hommes qu'un ange de passage ne se retrouvera plus jamais, et que le rare instant de la rencontre devait devenir le beau rêve qui plus jamais ne se referait. C'est ainsi qu'elle est apparue au fond du bois noir, sous une lune qu'elle a oublié, tant les branches cachaient le ciel qu'elle n'eut pas le temps de l'implorer. Elle n'a rien dit. Ils l'avaient muselée.

Je revois l'or du verre de cristal se remplir d'un sang jaune que le soleil marié à la lune au crépuscule naissant perfuserait ses veines et les méandres des deux lobes sans lenteur au rythme de leurs vœux. la drogue !

Le savait-elle, Ophélie, que son hymen était convoité ? Savait-elle que quelques secondes après, l'or perverti, ruissellerait, nauséabond, entre ses membres sans chaleur ?

Elle leva les yeux, implorante, du haut de sa jeune maturité qui n'avait pas encore réalisé vraiment son âge, puis s'endormit sans se souvenir, revenant à elle, puis retombant dans sa léthargie des moments qui ne servent à rien, ni à l'utile, ni au désir, ni à la volonté, juste au diable qui a regardé satisfait !

Le corps de Fantine était bleu comme un ciel d'orage. Chaque éclatement de la coupe de sang en son corps relevait de l'ignominie vécue. Le Temple n'était plus Temple . Le voile de l'innocence venait de se fendre en deux. Le corps bleu se parait de noir et la virginité demeurait dans son esprit, le corps souillé.

V

 

La mer houle et les vagues cognent le rivage. C'est en images les flots l'emportant au fil de l'écume qui la fait mourir car elle ne voit plus Ophélie.  Elle est devenue sourde Fantine.

Vivre, survivre, le corps démantelé, posé là, sur la mousse.

Les hommes ont trouvé cela beau .

Les hommes ont trouvé beau la laideur.

Ophélie a crié, tout en s'apercevant qu'elle n'avait plus de voix. Fantine a hurlé parce que Cosette n'était pas née. L'homme de cœur n'est pas venu la ramasser, et sur l'écartèlement du corps sans pitié, sans larmes à force de douleur, sans pardon, elle a vu l'avenir, riche de rides, de larmes, de sanglots, qu'elle ne pliera jamais à la volonté de l'homme meurtrier.

"Au secours !" essaie-t-elle de murmurer la voix défaite.

Les Ophélie et les Fantine ont la malchance de n'être jamais crues lorsqu'elles se racontent. On dit d'elles toujours qu'elles en font trop, les plaies s'épanchant aux vents des laideurs que les hommes nient car ils sont hommes et se délectent au viol des femmes parce qu'ils sont hommes et qu'ils renaîtront femmes.

Les Fantine ont hâte de les voir naître femme tous ceux qui auront relégué les virginités aux odeurs des mousses des bois et des lichens des caves !

Moi aussi,  témoin de leurs souffrances !

Elles ont revécu mille fois l'ultime douleur chaque fois que l'homme a dit : " Mais tu le voulais n'est ce pas ? "

Alors j'ai pris les deux amies au creux de mon cou pour les consoler et à leurs oreilles ai murmuré tous les possibles, et je les ai vues mourir chaque jour du geste qui aime sans aimer.

Elles ont essayé cent fois de mourir et la candeur perdue, elles sont mortes enlacées du doute des autres.

La mousse écoulée sur la mousse du bois noir a abreuvé la terre que les élémentaux ont pris pour laver la souillure.

 

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Tchaikovsky - Hymn of the Cherubim

Le maître et la vieille bâtisse

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Gustave Moreau : le poète et le centaure

Il était une fois une bâtisse. La maison était vieille, d’un âge certain, centenaire et davantage, qu’elle avait nécessité beaucoup de travaux. Chaque pièce avait été reprise, embellie, consolidée. Pour cela il avait fallu sur des décennies une grande quantité de matériaux. Ceux, anciens, avaient été stockés dans les annexes toutes aussi nombreuses que l’avaient été les désirs du beau et du presque bien fait. Elles étaient au nombre de cinq : une cave voûtée faisant toute la superficie de la maison, un garage et trois bâtis dont l’usage était courant au siècle dernier : des commodités de cour et l’équivalent d’un poulailler maçonné sur deux niveaux, richement doté d’un paratonnerre. Avait-elle cent-trente ans, qu’elle avait hébergé en ses faux apparats un grand nombre de directeurs : la demeure l’exigeait. C’était ainsi. C’était, cependant, négliger que les temps avaient changé et que les directions meurent comme les civilisations arrivées à bout de course par essoufflement. La façade était sombre au gris presque noir, les volets au bois terni, sa cave humide, qu’il avait fallu se décider à la repeindre pour lui redonner un semblant de santé. Cente-trente ans dans son jus grisâtre et trois petites années dans son nouvel éclat de propreté couleur sable.

Le maître des lieux, nous l'appellerons Jean, lui aussi directeur, avait accumulé et empli toutes ces dépendances, sans jamais se soucier de leur avenir, de leur pourrissement, de leur délitement. Elles étaient devenues déchetterie sans que rien ne soit jamais décidé à être recyclé. Le maître était pourtant disciple du recyclage pour la bonne marche de la planète afin de ne pas polluer, sauf chez soi. Être disciple de la planète n’engage que peu d’actions - c’est principalement une affaire d’État -, alors que chez soi cela engage une force de travail constante que chacun ne peut pas, préférant être dépourvu d’odorat et de clarté visuelle quand l’intérêt du loisir prévaut sur le labeur. Se salir les mains ? Oui, mais à une condition : que les mains s’emplissent de pièces métalliques sonnantes et trébuchantes. Le déchet ne rapporte rien ! Ainsi, les mains restent-elles propres, sans crevasses, sans égratignures. Il y a des mains d’homme plus douces que celles de femme au travail plus intense ; quoi que !

Vint le jour où la vente fut décidée, chacun des propriétaires passés en cette demeure étant parti rejoindre d’autres Cieux que l’on appelle la demeure des morts. De passés, ils en étaient devenus les trépassés. Le maître contempla la somme de sa déchetterie tout en évaluant sa valeur pour que la bâtisse gonfle de ses deniers le ventre de sa bourse. L’homme n’était pas seul ; il avait plusieurs frères avec lesquels il fallait partager : la maison  et la déchetterie. Qui aurait quoi ? Là, était la question qui n’en était pas une pour lui puisque maître aussi de la manipulation. La maison pour lui, la déchetterie pour les frères, celui qui la voudrait vider pour le bien de la planète.Jean se savait déjà garder les mains propres. Tout est question de stratégie. Le silence était sa tactique. Il y a des mutismes protecteurs d’autrui qui sont sagesse et il y a ceux qui manipulent et qui sont l’endurance du mensonge. De trépassés, il ne voyait pas qu’il était le prochain dans la douleur car la vie cueille chacun du bouquet des larcins et faussetés commises. Nul n’y pense. Il est vrai que le malotru pense sa vie éternelle et forte en récompenses matérielles. Seul, le sage se sait mortel et redevable de ses actes en biens célestes. Le premier agit pour le pire se moquant des autres, la calomnie suspendue aux lèvres ; le second œuvre pour le bien dans la peine, le silence arrimé à sa bouche.

Il y avait un notaire dans la ville qui adorait le maître car le maître avait un titre ; pas les quatre frères, si ce n’est peut-être l’un d’eux, complice, un peu mieux loti car il arborait un blason. Les autres avaient vécu leur vie dans l’humilité pendant que Jean,  le porteur de titre, se gaussait sans cesse de sa qualité. C’était, semble-t-il, sa façon de se rassurer sur son pouvoir pour mieux écraser n’importe qui il croisait. Son « je suis » emphatique mouillait ses lèvres d’orgueil pendant que les autres exprimaient leur Je avec humanité. La noblesse réelle d’un verbe peut être défigurée selon qui le prononce. Le notaire mit la demeure en vente et exigea que les annexes soient vidées et nettoyées. Vidées, cela est juste ; nettoyées dépend de la dignité que l’on porte en soi. Chacun le sut. Le notaire avait été clair en ses propos, tout en pointant du regard les frères comme exigeant que cela fut fait par eux et non par le maître de la bâtisse. Les gens bien fortunés s'épaulent toujours regardant la misère comme un fardeau abject dont il faut se débarasser aussi. Aucun ne bougea hormis un seul des frères, Paul. Chacun était mort à l’action avant de l’entreprendre. La mort comporte beaucoup de visages. Elle n’est pas que le trépas physique ; elle est aussi le trépas de l’âme nonchalante qui n’a jamais estimé son prochain.

La date finale de la vente approchait à grands enjambées. La déchetterie restait intacte en ses moult annexes. Il fallait  vite vider ; le temps était compté. Attendre le dernier moment restera toujours une volonté de non-faire, une pensée de fer non maléable, condamnant l'action.

Paul, le plus faible des frères qui était porteur d’un handicap physique lourd, à la station debout difficile, regarda la misère du lieu, la misère des âmes, la misère de l’esprit qui n’a pas fécondé d’humanité les porteurs d’âme et décida de se mettre à la tâche. Le temps pressait. Le nombre de jours à tout évacuer allait être nombreux. Chaque jour achevé, il dessinait un trait sur le calendrier et ainsi, pouvait-il voir le labeur fait. Paul arrivait tôt le matin et repartait à la tombée de la nuit qui s’écrivait en fin d’été. Ses doigts enflaient. Son corps pliait sous la charge. Son bras droit pesait le poids d'un sac de cinquante kilogrammes de ciment, si lourd qu'il ne savait plus comment le bouger. Les cervicales n'osaient plus danser dans son cou ; l'Atlas se figeait comme broyée. Le handicap recommençait à révéler ses limites. Il lui fallait souvent s’asseoir pour mieux continuer. Ah ! Cette douleur qui donne envie de pleurer, parfois de hurler ! Ne pas s’écouter ! Faire confiance en la Providence. Aimer le travail et la beauté, le propre. Avoir un ange gardien et lui faire confiance. Avoir son aide. Avoir la gratitude du ciel qui n’est redevable en rien des actions entreprises pour l’amour de ce qui est fait, de ce que nous faisons. Il regardait le ciel bleu, parfois engorgé de pluie naissante, et se disait qu’il valait mieux un ange heureux d’esprit conscient plutôt que les ombres rampantes de ceux qui ignorent la valeur des mains écorchées dont les égratignures saignaient parfois abondamment sans que cela ne le fasse s’arrêter. Un clou rouillé fiché sous un ongle. Un tesson de verre sur le sol de la cave. Une écharde plantée dans la paume de la main. Une pierre qui tombe sur l’épaule. Une planche qui n’a pas été vue sur laquelle on trébuche. Un bac en métal rouillé qui bascule sur un sommier métallique déposé en bascule sur d’autres bacs empilés. Un bout de poutre inutile jeté là par hasard sans se soucier de son aplomb futur. De la sciure humide sur laquelle le pied dérape tel il glisse sur de la neige damée. Un bocal oublié encore plein de légumes comme s’il venait d’être fait et qui avait pourtant quarante ans, caché entre deux planches tombant en poussière. La vermine est passée par là. Un vieux matelas que l’on agrippe sur le bout de tissu paraissant encore sain et qui se déchire, dévoilant son flot de mousse servant de patinoire. La chute. La douleur. Le cri. Le courage d'être soi.

La dignité regardait la vaillance du sang répandu. Parfois, Paul, s’asseyait-il, volontaire et grave, qu’en le voyant faire on pouvait penser qu’il était méritant. Mais non ! Nous n’avons le mérite que de l’honneur qui observe et voit la grâce de la finalité ; et s’asseyant sur une marche de l’escalier descendant à la cave, sous la verrière cassée et pleurant de pluie qui dévalait les marches une à une, pleurant uniquement de fatigue non de lassitude, qu’il était heureux de faire de l’art : redonner de la propreté à un lieu saillant et disgracieux relève de l’art qui embellit la vie, disait-il. Heureux est celui qui sait voir la transformation lumineuse de la tache et de la tâche. Elle a dans l’invisible l’éclat de la lumière exprimant sa gratitude ce que la cupidité ignore. Parfois prenait-il le temps de se reposer pour mieux recharger sa force à la force d’un Valjean qu’il relisait de-ci de-là une page de « Les misérables » de Victor Hugo et d’un long poème de Khalil Gibran qui lui parlait d’« Orages ». Cela le ragaillardissait et « Jean Valjean » portait des charges devenues soudainement légères car le poids d’un objet n’a que le poids physique de sa masse alors que le poids de la calomnie enténèbre celui qui la profère à l’encontre de la bienséance qui s’active. Quant au poids de l’amour des choses bien faites, il possède la beauté de la légèreté. Ainsi pensait-il, sans pour autant ne pas faiblir à certains moments pour ruminer contre ceux qui se reposaient sur son dos, ses épaules, ses mains, vouant leur temps libre à un bateau pour photographier des cygnes qu’Instagram aime, une maison en Normandie ; ceux qui attendaient la fin de la succession pour rembourser de moitié le nouveau joujou de Noël qu’était cette acquisition nouvelle. Paul regardait à nouveau ses marches de cave, ses doigts, et disait à voix haute à nul qui n'entendait car seul, que même au mieux de sa spiritualité, il était encore bien imparfait. Il ne pleurait plus de fatigue. Il pleurait sur ses imperfections. Cela le redressait. Le dos redevenait droit un temps. Il serrait davantage sa ceinture lombaire, se frictionnait les épaules avec un onguent à base de camphre et de menthe, et recommençait à porter la charge qui n’avait plus de poids tant elle en avait.

Il connaissait bien ce Jean, ce frère riche en titre. Il l’entendait penser, de loin, car il était télépathe au point d’entendre ce qu’un homme malveillant pouvait penser de lui. Il l’entendait rire, glousser comme à son accoutumé car il n’était capable que de ces petits rires qui font froid dans le dos, qui avaient glacé chacun de ses frères sauf un. Il l’entendait.

« Laissons le faire ! Attendons que tout soit achevé. Puis, nous lui dirons que nous ne lui avions rien demandé ; que nous aurions de toutes les façons fait ; que sa présence n’était que supercherie. Sa connerie n’a d’égale que sa besogne à notre service ! Je le hais celui-là. Lui et ses idées ! Lui et sa pensée ! » 

Les déchets remontés des annexes et entreposés dans la cour attendaient désormais d'être enlevés car il fallait après les avoir dégagés s’enquérir de bennes qui pourraient les transporter. Quatre camions-bennes furent évalués pour leur transport. Une déchetterie presque complète ! Comment tant de gravats, de bois pourris, de verres cassés, de bouteilles vides de vin, de bière, de meubles dont personne ne voulait, d’objets divers, pouvaient-ils avoir été entassés sur tant d’années sans que ceux qui les y avaient jetés ne s’en étaient soucié davantage ? « On verra demain ! » Demain n’était jamais venu et demain devenait aujourd’hui du sang versé sur un tesson de bouteille caché dans le sol de la cave.

Des gens du village passant par là au sixième jour virent Paul, le dos courbé, le regard épuisé, la maigreur d'un corps sans défense : Encore là à tout faire seul ! dirent-ils. Combien de jours ?  Nous revenons avec deux camions-bennes et nous vous enlevons la moitié de cette déchetterie ! 

Chaque soir, Paul repartait, fier du travail fait. Aujourd'hui, heureux de l'empathie spontanée rencontrée qui était venue à son secours. Ce qui est fait n’est plus à faire. Seize jours sur deux semaines dissociées avaient été le temps nécessaire à ce vidage : du torchon au gant de toilette qui ne serviront plus, du livre dont personne ne veut à la vaisselle de cuisine, du manteau à l’anorak bleu marine et au pantalon usé, des cadres de photos de famille que nul ne connaît et ne désire, en passant par la somme de détritus des cinq annexes, il avait tout vidé, seul. Il avait fait partir deux bennes à métaux lourds. Il avait décidé de laisser à Jean et ses autres frères le peu qui restait ainsi que le balayage de la cave. Il avait décidé de leur laisser trois seizième du travail ayant fait treize seizième de celui-ci. Il verrait. Il ne demandait pas à voir leurs mains propres, les connaissant épaisses comme des battoirs qui peuvent sans scrupules battre un homme, ces mains d’homme ingrat qui n’ont rien fait de leur vie, l’un d’eux ayant battu sans vergogne de jeunes enfants et mis un autre sur un trottoir de la ville pour une histoire de gésiers de poulet laissés dans une assiette. Ah ! Ces mains ! Il ne les oubliait pas. Paul avait entendu les enfants gémir. Jean  n’avait pas été ému de les entendre hurler sous le poids de ses coups.. Il ne les avait pas regretté, non plus. Un enfant à la rue était pour lui normalité. "Il doit finir ses gésiers !" Ces mains qui aimaient la noblesse, tenir un verre, trinquer, et qui ne supportaient pas la saleté ! Ces mains qui auraient pu renouveler le coup de scalpel à « L’homme qui rit » . Victor Hugo n’avait pas suffisamment écrit sur la misère des hommes que les Javert et les Thénardier encore existaient. Hugo n’avait pas fait moisson de gens bienveillants ni éduqués qu’il pouvait pleurer sur la tombe de Fantine et de Gavroche plus de cent ans après les avoir décrits pour éveiller le genre humain sur l’humanité et les défauts des pires âmes déambulant dans la vie.

Le maître de la maison arriva, toisa Paul, rit de son handicap, ne dit rien, regarda alentour, évaluant le travail fait en bon directeur en titre qu’il était.

- Monsieur est là ! dit Paul.  Il lui demanda : Quelle est la valeur de l’homme ?

- Celle de son porte-feuille et de son compte en banque. Il n’y en a pas d’autres. Répondit-il.

- Quelle est la valeur de la vie ?

- Même réponse ; il n’y en a pas d’autres. Il glousse.

- Quelle est la valeur de la pensée ?

- Même réponse ! Il s’irrite.

- Quelle est la valeur d’un titre ?

- De surpasser tous les hommes ! Répondit-il, gloussant à nouveau.

- Alors, à ton titre et tes valeurs sans valeur, ta physionomie faussement débonnaire pour séduire, apprends que la lèpre déjà te gagne. Elle te ronge de l’intérieur et bientôt, tu en verras la trace sur tes mains sans que tu ne puisses guérir avant que tu n’aies vu la valeur du monde. Dit Paul. »

Vint le jour de la signature. Dans la vieille bâtisse, il restait ces trois seizième que Paul n'avait pas évacué, accablé par la douleur physique de la colonne qui s’affaisse, espérant voir ce que ferait ces deux frères aux mains larges comme des battoirs prêtes à frapper et si propres, aux ongles rongés. Ces mains typiques du côté de la génétique de la mère qui toute sa vie avait été fière d’avoir eu des mains d’homme, sauf que ces mains-là n’étaient pas des mains d’hommes car ce serait oublié la finesse de beaucoup d’entre eux pourtant laborieuses, mais des mains hargneuses, vénéneuses, témoins de leur pensée constante en la laideur de leurs âmes qui n’avaient jamais voulu progresser mais avaient régresser dans le chemin que doit être une vie. De fines, elles s’étaient élargies jusqu’à l’incroyable confirmation de l’étendue vaste d’une déforestation incendiaire. Le frère porteur d’un blason était aussi trapu que ses mains, alors que Jean, long et étiré comme une ficelle grossièrement tordue, maniéré à souhait, envoûté par son arme favorite : l’arc, contrastait avec la largeur de ses mains. Il y avait un franc désaccord visible qu’un pianiste n’aurait pu jouer, pas même Franz Liszt qui avait tailladé les palmes d’entre chaque doigt espérant mieux jouer l’étendue des gammes. Pendant que Jean esquivait le regard de chaque partie présente, l’autre blasé à souhait se mit à hurler d’une voix tonitruante qu’un tsunami terrestre aurait pu engager un raz de marée cataclysmique, en l’étude notariale. Tous furent figés devant cette violence verbale qui aurait pu, au-delà de frapper, envoyer n’importe qui en garde à vue pour motif de leurs seuls regards étonnés comme cela aurait pu être pour l'évocation d'un seul mot qui aurait écorché l'oreille. Nul ne comprit bien ce que ses hurlements avaient signifié sinon que tous avaient compris que ces deux là ressemblaient davantage à deux sangliers chargeant plutôt que deux agneaux doués de sérénité. Paul les avait regardés sans sourciller, les autres frères également. Le notaire souhaitait dès lors mettre la maison sous séquestre pour les critères de compromis de vente non remplis dans leur totalité : les trois seizième restants dans la propriété qui s’avéraient être des charges lourdes même si moins lourdes que n’avait été tout le reste. Certains meubles étaient écrits dans le contrat moral, certifiés par e-mails. La cave devait être balayée, ses derniers débris enlevés. Ils n’avaient pas estimé utile de le faire et avaient emporté les ditsmeubles en région autre, leur propriété nouvelle acquise, ce joujou qu'instagram adore. Les acquéreurs refusèrent la mise sous séquestre, lassés de ce mauvais vaudeville. L’affaire était close. Chacun avait révélé en à peine dix minutes la véritable facette de son visage. Comme Victor Hugo aurait aimé voir ce dénouement ! Le visage de l’agneau était devenu celui d’un loup vorace et ceux présumés loups s’avéraient être brebis. Il est des moments dans la vie ou la justice se rend seule sans aide, sans forces de l’ordre, sans avocat, sans juge ; seulement un notaire qui, peut-être, ne considérerait plus jamais un titre et un blason comme étant la valeur d’une morale. Oui ! les directions meurent comme les civilisations arrivées à bout de souffle.

Paul quitta l’étude notariale, arpenta quelques rues silencieux et introspectif, croisa les fantômes de deux amies d’enfance : Cécile et Claudine, les salua humblement, et vit les fantômes s’évanouir dans l’éther de la vie.

La mort avait décidé d'appeler  les deux hommes titrés car quand la somme de malveillances a été plus grande que la somme de bienveillances, il faut bien prendre la décision de ne plus encrasser la terre, noble corps de toutes décisions pour sa gloire. Ils ignoraient qu'il était porteur d'un crabe que Paul vit, de ces crabes qui assaillent quand l'athéisme et la haine associés sont plus actifs qu'un volcan en action. 

La vieille bâtisse pouvait désormais vaquer à une toute nouvelle destinée sans ne plus jamais voir aucun directeur terroriser la vie. Elle devenait le symbole de la lutte hautement gagnée, un havre de culture où Hugo, Zola, Gibran, Tolstoï, les soeurs Brontë, Goethe, Thomas Mann, Hermann Hesse, Rumi, et tous les amis de Paul et de la nuit, pouvaient enfin voir le jour au travers des persiennes enfin ouvertes. Paul avait serré la main des nouveaux maîtres aux visages bienveillants, aux regards étonnés, pour parachever dans cet acte ultime le transfert de la culture multilingue, des idées ensoleillées, de la pensée régnant sur la vie des idéaux philosophiques, pour faire taire à jamais l'image des contraires qui, tant, avait sali la vie. La vieille bâtisse allait enfin pouvoir renaître. Il le voulut ainsi. 

Paul rentra chez lui, pris ses autres frères en ses bras, les serrant tout contre son coeur, les aimant, disant "c'est fini !", s’assit dans le jardin, vit un papillon blanc voler de rose en rose, sentit l’air chahuter les pétunias et la lavande en fin de floraison, huma le parfum des fleurs que le crépuscule exhalait. Le ciel était si sombre qu’il semblait raconter le tourment des jours passés à travailler, et s’ouvrit dans un nuage, élargissant un cercle superbe que le soleil transperça avec puissance, baignant l’ouvrier de sa lumière, le nappant de son rayon tel un baiser à une fleur épanouie, aveuglant au point de baisser le regard forcé d’être humble, rendant aveugle quelques minutes pour ne pas laisser de doute sur sa puissance et allongea ce frère sur le lit d’herbe pour qu’il se repose. Ses doigts s’allégèrent, dégonflèrent. Les plaies cicatrisèrent instantanément. La peau était redevenue aussi douce que de la soie finement tissée comme pour démontrer que le labeur a sa jumelle dans la rugosité de la peau qui n’a pas écouté la valeur de l’âme volontaire.

Il s’endormit, heureux. Tout était achevé.

 

"Le papillon" Pastel sec : oeuvre personnelle.

 

"Virgile et Dante visitant les enfers" de  Gustave Doré pour l'illustration de " La divine comédie"

au Monastere Royal de Brou - Bourg en Bresse - Ain -

20 janvier 2021 - Alzheimer

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Photos non libres de droit

 

20 janvier 2021


Elle est là... la sanctification du Nom dans l'âme.

Trois heures trente du matin. L’aube est encore voilée, et là où elle vit, l’aube est permanente attendant son midi avant de briller. La lune accapare la lumière. Tout est ombré. C’est semblable à un brouillard à peine délié de son trouble terrestre. La lumière perle au travers d’un rideau qu’elle tente de soulever, le faisant porte pour que je la vois, accompagnée d’une autre multitude ailée qui permet cette visite et sans laquelle, rien ne serait possible. La multitude choisit l’heure, le moment entre deux sommeils qui réanime le sommeil conscient en perçant la limite du rêve et de l’éveil.

J’ai soif, je me réveille, je bois, je me rendors. J’ai froid, je me réveille, je ramène mon édredon sur la poitrine et me rendors à nouveau. Je rêve , je trouve le rêve beau, il me réveille, je l’écris, et me rendors. J’ai à nouveau soif, je me réveille, je tends la main, je bois, je me rendors. Mon chat miaule, il me réveille, saute sur ma hanche, je regarde l’heure, il est quatre heures du matin, je me lève sans savoir pourquoi et me recouche, estimant un peu étrange ma nuit saccadée, mais jamais inquiète. Une demie heure pour ce ballet nocturne inattendu ! Je suis sereine. Mon chat se dresse, se redresse, regarde vers l’entrée, les yeux fixes. Je me relève et me recouche, laissant le chat reprendre sa place sur ma hanche. C’est donc cela le geste de la multitude ailée, préparant une rencontre entre deux mondes pour que la rencontre puisse se faire ! Faire en sorte que je ne sois ni éveillée, ni endormie, juste entre deux mondes, entre deux éthers, consciente, sans rêve, ni étourdie ni pleinement réveillée, juste somnolente, mais là, pareil à l’instant où nous sentons que nous allons nous endormir, le corps tressaillant un peu.

Je connais bien ces moments précis où le corps physique dit qu’il va laisser aller ses corps spirituels avec cette impression que la terre tourne autour de soi dans un vertige impressionnant. Un sursaut comme une branche se détache de son arbre. Je suis confiante et ne m’attends à rien de précis, quoique le chat fixe toujours l’entrée et m’alerte d’une présence invisible qu’il voit. Je laisse le chat à sa contemplation. Il est serein. Je remonte l’édredon sur ma poitrine, pour la troisième fois. Mes deux autres chats fixent aussi la porte. Je leur dis :" oh ! laissez-moi dormir !" Rosalie, grise et striée d'un beau poil lustré, semble plus attentionnée et je réalise que ce chat était le sien et que j'ai vu une seule larme couler de chacun de ses yeux quand je l'ai recueillie, se blottissant dans ma main, ce qui m'avait fort peinée, consciente de son chagrin d'âme animale. Mais, présentement, je n'en fais cas, habituée à ces mouvements de chats qui s'étonnent et réagissent à l'invisible.

Quelqu’un frappe à la porte. La porte s’ouvre en apparence, sans mouvement. Quelqu’un appelle.

"Tu es là ? Es-tu là, ma fille ?

Je reconnais cette voix intérieure que le physique ne manifeste pas, que seule la conscience exprime. Elle franchit la porte, passant à travers. J’écarquille les yeux. C’est bien elle ! Elle est là devant moi et je l’accueille le cœur ouvert comme on ouvre les bras sur terre. Seul, le signe diffère. En bas, nous ouvrons les bras pour accueillir un être aimé ; en haut, nous ouvrons le Cœur et le Cœur chante dans le regard spirituel qui n’a plus d’yeux physiques et pourtant voient. J'ignore si cela est pareil pour chacun, c'est à dire si beaucoup ont le cœur éveillé. Mon Cœur s'ouvre comme deux bras fraternels. mouvement indescriptible en notre langue terrestre. Je me regarde dans mon lit, endormie, souriante, et comprends que je vois avec mon corps spirituel bien éveillé.

Elle me montre en un déferlement d’images tous les moments heureux vécus ensemble ses trois dernières années, disant merci, simplement merci, et pensant à chaque image : « Là aussi, c’était beau ! »

C’est si rapide que j’en ai le vertige. Il me faut penser vite le temps, car le temps n’est pas le même en haut et en bas. Pour moi, c’est un vertige, car je ne suis pas morte ; pour elle, c’est une lenteur. C’est sa nouvelle normalité. Chaque scène s’habille des vêtements portés lors de l’instant-souvenir, et vont à rebours, du plus récent au plus ancien, pour moi aussi ; tous s’ornent des environnements et objets qui ont reçu nos présences. Je pourrais toucher chaque image pleinement animée, profonde comme si l'espace terrestre était semblable à celui spirituel parce que c'est un souvenir terrestre, inversée, si je le voulais, tout en sachant que je n'ai qu'à vivre le moment dans cette nouvelle éternité, et chaque image s’éloigne pour laisser sa place à une autre tout aussi vertigineuse. Je comprends, revenue au matin, que voir inversé n'appartient pas qu'au monde des défunts mais bien aussi au monde de la clairvoyance. Le monde originel ne se manifestera jamais en un langage terrestre, il est le langage des origines.

Le panorama qu’elle voulait que je vois dans sa gratitude manifestée s’efface. Elle s’assoit sur mon canapé rouge, près du piano, et je la vois être telle elle était chez elle, recroquevillée, dans l’attente, triste, le regard éteint dans sa présence semi-consciente. Je n’ai de cesse de lui dire, enjouée, et heureuse, ô combien ma joie est grande de la voir et de la remercier d’être venue, allant jusqu'à lui demander comment elle va, ce à quoi elle ne me répond pas. Elle parle peu. J'ai aussi envie à cet instant de lui demander ce qu'étaient ces voix physiques qui la harcelaient dans ses hallucinations de la dégénérescence cérébrale et me retiens, car ce n'est pas l'heure. Je sens derrière moi la multitude ailée qui ne se montre plus mais qui me laisse comprendre qu’ils sont là. Ils sont les acteurs de l’instant de la rencontre. Sans eux, rien n’aurait été possible. C’est comblée de grâce que je remercie chacun et tous pour cette merveille. Mon sourire est aussi vaste que le ciel ouvert et je lui redis que je l’aime. Elle ne parle pas. Elle ne sait que montrer des images de vie avec leur contenu précis. La multitude ailée pense en moi. Je comprends que la rencontre va s’achever. Le temps rapide de lui manifester encore et encore mon amour, de lui demander de revenir me voir, d’ouvrir la porte, à la multitude ailée de ré-accomplir le processus, et je Les remercie d’avoir permis d’établir le lien, de mes yeux spirituels vu. Je comprends soudainement le processus de la Volonté. le mot devient vie ; il n'est plus concept.

Je regarde mon corps endormi, et sans conscience, regagne mon sommeil. La multitude ailée l’a voulu ainsi.

Elle est là... la sanctification et la Volonté du Nom dans l'âme. Moi aussi.

Au petit matin, je me souviens de tout et flotte comme si sa présence était encore là, elle est là, mais je ne la vois plus. La multitude ailée a fermé la porte, descendu le voile, en attente d'autres moments. Quand ?

Je lis : Rudolf Steiner que je remercie en pensée de m'être laissée éveillée par sa Pensée.

Depuis, Rosalie dort le jour sur l'emplacement où elle s'est assise, et fixe de ses yeux ronds l'invisible, pour revenir la nuit se blottir dans l'édredon gonflé de plumes pour être avec moi.


 

 

 

* la Hire : http://www.jeannedarc.com.fr/centre/vignolles.html

 

La force d'une plume est de permettre à l'oiseau de planer au dessus des nuages...

SME (au nom de Restos Du Coeur); Sony ATV Publishing et 3 sociétés de gestion des droits musicaux

et Autre version officielle

Jeanne, extrait de Lys & Love de Laurent Voulzy, disponible : https://LaurentVoulzy.lnk.to/LysetLoveID

Classé dans : Nouvelles Mots clés : aucun

Lumière et ténèbres

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

https://www.amazon.fr/gp/product/B088LMW7MD/ref=dbs_a_def_rwt_bibl_vppi_i0?fbclid=IwAR2pJKJ3zoGydtuMB5NqFIjiUmBQb6JM-VtpHeNci5rH9R7SkVS0yK0tleY

763 pages reprenant toutes les catégories citées.

Amitiés Béatrice

 

 

Une naissance coiffée...

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Photo personnelle non libre de droit

 

C'était un après-midi de novembre 1957, un samedi que coiffait le soleil. La journée était froide affichant moins trois degrés sur le baromètre.

L'année avait été tourmentée : tempête, rafales, inondations, éboulements, coulées de boue, avaient eu lieu en cette année au climat colérique. La France pleurait ses paysages dévastés. Le peuple réparait les dégâts occasionnés par le temps allergique à son année, pour revoir le désordre venir, et ainsi, inlassablement, réparer les structures éboulées. En février, la surprise des températures estivales avait charmé la France, non habituée à avoir un été en février, et février avait ensuite déclenché, dans la région d'Auvergne, sa première tempête, avant d'abîmer la France.  L'Auvergne !

Beaucoup d'évènements eurent lieu en cette année, la création de l'Europe, et surtout ce qui semblera le moins important, le fait le plus mineur, de ceux qui ne s'inscrivent pas dans les journaux, celui de la création d'un timbre avec son portrait imaginé, celui de Sire Jean de Joinville, que l'on pouvait penser qu'il était l'authentique portrait du sire de Joinville.

 

 

Une mère, en février, allait puiser au seau son eau avant d'apprendre qu'elle attendait son second enfant. Toute heureuse d'attendre, elle était envahie par l'inquiétude du climat qui n'avait de cesse de s'agiter tout à l'entour, poussant ses vents jusqu'à plus de cent-soixante kilomètres heures, roulant dans son jardin seaux et outils au point de labourer le jardin bien avant l'heure. Le père était content ; la terre serait bonne cet été, déjà travaillée, bien meuble, bien arrosée, les légumes seraient beaux ; il pourrait nourrir son épouse enceinte et sa première née. Le printemps ne lui permit pas de planter, car mai fut aussi froid qu'un mois de décembre. Sa joie première s'était envolée et aucun légume ne pousserait. Le jardin et la cour de la maison étaient anéantis. La neige était au rendez-vous de façon si inattendue qu'il observait le ventre rond de son épouse. « Voilà un enfant qui arrive dont les colères contre l'injustice seront immenses ! » dit-il à sa femme. Elle, riait d'entendre cela. Est-ce à dire que tous les nouveaux-nés de 1957 seraient des êtres en colère contre l'injustice ? Elle en doutait, et doutait davantage pour son propre enfant qui était bien calme en son giron , une grossesse sans souci comme toute future mère rêve de vivre. Elle caressait son ventre disant à l'enfant : « Que dit ton père ? Ineptie ! » Elle reçut, alors, un coup de pied déformant sa chair qu'elle le racontait encore lors de sa vieillesse. « Quoi ? Disait-il vrai ? Sentiment de colère contre les injustices du monde ? Comment cela peut-il être ? » avait-elle pensé en silence. Lui, en philatéliste averti qu'il était, ajouta pour la taquiner davantage : " Ah ! Joinville montre son visage cette année ! C'est Joinville qui revient et fend à nouveau le trésor du Temple pour payer la rançon de Louix IX contre l'avis du Temple, des chevaliers et des Prud'hommes  ! On dirait aujourd'hui, le meilleur ami de saint Louis ! Saint Louis ? " L'enfant fit un tour complet en le giron de la mère qu'elle dut s'assoir. " Qui c'est celui-là ? " dit-elle. Le père rit et ponctua d'un " Oh ! pas grand chose en dehors de fracasser le trésor du temple pour libérer son roi ! Il écrivit un superbe Crédo. Il se dit aussi qu'il fut le premier à faire entrer dans le récit, en racontant les faits de son roi, le "je" repésentatif de la volonté individuelle."

L'année ne décoléra pas et France fut balayée par ses tempêtes et son froid pendant que l'enfant grandissait en son sein, tranquille et à peine senti, qu'elle se demandait, parfois, si il n'était pas mort en elle. Elle allait consulter. L'enfant allait bien. L'accouchement devait bien se passer ; enfin, ils l'espéraient, car la première-née était arrivée aux forceps sous anesthésie générale en urgence, ne voulant pas naître. Y a-t-il des enfants qui ne veulent pas venir au monde ? L'extraction de cette première-née avait été si laborieuse que le bébé avait été abîmé, vraiment rebelle à sa naissance. Oui ! Ce nouvel enfant arriverait dans les normes d'une naissance paisible. Tout se passerait bien.

La mère vaquait à ses occupations ménagères dès tôt le matin, regardant, parfois, par la fenêtre sa cour endommagée. Le père et elle avaient cessé de tout maintenir en état. Le ventre lourd, elle ne le pouvait plus, et son époux rentrant du travail ne s'épuisait plus à remettre de l'ordre. 1957 était difficile. Juillet offrit une canicule qu'ils n'avaient plus connue depuis des décennies, et voilà que 1957 continuait à montrer aux hommes qu'affres peuvent être terribles avec un mois d'août aux pluies torrentielles. Le jardin et ses tentatives de croître en végétaux délicieux n'avait pas survécu. La boue remplaçait haricots, pomme-de-terres, poireaux, betteraves. Rien ! Les lapins dans leurs clapiers avaient froid. Le père avait doublé le lit de paille afin que les lapereaux survivent, et les poules continuaient de gambader dans la cour, heureuses de tant de boue dans laquelle elles se roulaient , puis regagnaient  le poulailler pour se coucher dans la paille fraîche changée tous les jours. Les œufs étaient le seul aliment viable, bien gros, bien jaunes. Les villageois s'étaient entraidés devant le carnage causé par le climat et les femmes enceintes recevaient une aide alimentaire. L'épicier, même, avait reçu l'orde de donner partiellement ce qu'il pouvait et d'accorder un crédit alimentaire, pour le reste, aux familles attendant un enfant, car le ravitaillement du village était difficile. Des voisines offraient ce qu'il restait de leur marmite, de leur soupe, car  attendre un enfant est à haut risque quand les légumes ne pousseront pas dans la terre sacrifiée par sa volonté d'offrir des difficultés. Le nouveau-né allait être bien portant contre une mère épuisée par l'année qu'ils qualifiaient tous de terrible. L'enfant premier-né, au premier rayon de soleil, jouait dehors et rentrait couvert de salissures boueuses jusqu'au bain préparé d'une eau puisée, en baquet de zinc que la mère faisait chauffer dans une lessiveuse sur son fourneau à bois qu'elle alimentait lorsque son mari travaillait. Lui, prenait le relais pour qu'elle se repose, dès qu'il rentrait, s'affairant au jardin, un peu, aux poulaillers, aux clapiers, au ramassage du bois, à l'alimentation du fourneau brûlant. Le bien-être de son épouse était primordial et la voyant épuisée, il redoublait d'attention dans son propre épuisement. Il allait travailler à bicyclette, bravant le vent, la tempête, la pluie, la boue sur les chemins, les routes encore délabrées par la récente après-guerre. Ils habitaient à trente kilomètres de la grande ville où elle accoucherait. L'arrivée du bébé approchant, des amis éloignés vinrent chercher la première-née et la gardèrent deux mois pour secourir les futurs parents, heureux d'être avec cette fille qu'ils aimaient comme leur petite fille, la choyant comme un enfant a le droit d'être choyé. Elle était reine. Elle était si belle qu'on l'aurait crue sortie d'une rose blanche. Elle ne portait pas les stigmates de sa naissance difficile. Il l'avait habillée d'organdi et de nœuds en velours chatoyant bleu marine. Sa sœur ou son frère pouvait naître.

ll était midi lorsque la mère ressentit ses premières contractions. Un voisin se chargeât de faire prévenir le père au travail et s’occupât du transport vers la maternité à trente kilomètres du petit village auvergnat. Eut-elle le temps de s'allonger qu'elle sentit que l'enfant poussait fort, si fort, que rien ne ressemblait à la naissance de son autre enfant. Il faisait froid sous le soleil de l'hiver, déjà revenu, habitant pleinement son novembre, volant son décembre.

« Il arrive ! » cria la mère, ressentant une pression aussi violente que le temps dehors. L'enfant était là, sans effort de poussée. La sage-femme n'avait eu que le temps de s'asseoir pour recevoir l'enfant, sorti comme une étoile filante propulsée à la vitesse de la lumière, déchirant tout sur son passage. La mère cria terrifiée : « Mais qu'est-ce que c'est ? Ce n'est pas un enfant ! C'est un monstre ! ». La sage-femme cria en réponse : « Madame, votre enfant est né coiffé ! Votre enfant est né coiffé ! C'est si rare, quelle bénédiction pour elle et vous ! Il a le voile de la chance sur lui. Il en est recouvert, il n'a pas même percé ! Il est intact ; c'est incroyable , Madame !  Oh non ! ce n'est pas un monstre, c'est un enfant né coiffé ! »

L'enfant reposait comme dans un ballon gonflé d'eau, une vaste  bulle d'eau que l'expulsion n'avait pas rompue. La sage-femme cria encore dans la salle d'accouchement : « Docteur ! Venez vite, nous avons une naissance coiffée ! Vite ! » Le médecin arriva, prit l'enfant dans ses bras, toujours recouvert de ses poches et de son eau, et versa une larme. La mère ne comprenait pas, répétant : « J'ai fait un monstre ? Dites-moi ! ».

- Je vous ramène votre enfant, Madame, et nous allons enfin savoir si c'est une fille ou un garçon ! N'ayez crainte Madame ! »

Il perça la poche, enleva les amnios, les mit à, sécher pour ensuite les plier, dit-il,  pour les conserver.

« J'ai un enfant coiffé entre les bras ! » dit-il, émerveillé.

La sage-femme se fit verbalement molester, car elle laissa seule la jeune parturiente qui, à la vue d'une naissance exceptionnelle, risquait la plus formidable hémorragie qu'une naissance comme celle-ci pouvait engager. Elle avait, de plus, posé un drap sur les jambes de la jeune maman pour la réchauffer. Elle saignait, largement déchirée par cette propulsion incroyable. La naissance de cet enfant lui avait fait oublier les gestes les plus élémentaires de la sécurité post-natale. La mère pleura jusqu'à ce qu'on lui rapportât sa... fille qui était aussi lumineuse qu'un soleil éclairant le jour. Le premier cri s'éleva dix minutes après la naissance. D'abord, le voile, ensuite le cri ! La protection absolue dans le premier cri. Le fils attendu n'était pas au rendez-vous. Tant pis ! Le prénom de garçon choisi serait son second prénom.

- C'est donc un vrai bébé ! dit la mère toujours en larmes.

- Madame, observez bien votre enfant toute la vie ; écoutez-la quand elle sera en âge de parler. Vous avez reçu un enfant rare. Ne pleurez plus. 

La mère ne comprenait toujours pas. Elle n'osait pas poser de questions, juste soulagée que cette fille soit normale. Elle la mit au sein, mais le sein ne donnait pas de lait, tellement appauvri de tout dans cette année 1957. Seul, l'enfant avait profité et portait fièrement ses trois kilos quatre-cent-cinquante à l'heure du goûter, heure de sa naissance.

À un mois de vie, en ce mois de décembre si cataclysmique, l'enfant eut la terrible grippe, dite asiatique, peu de temps après son baptême, que 1957 enterra ses morts nombreux. L'enfant était précaire. Le médecin dit à la mère « Ayez confiance Madame, on n'enterrera pas votre fille, elle est protégée, elle est née coiffée. Elle a en elle toutes les ressources pour survivre et vivre. »

La mère ne comprenait toujours pas. Voilà que le mot coiffé revenait et qu'elle ignorait tout ce qu'il signifiait sinon qu'elle se souvenait d'une naissance gravée pour toujours en sa mémoire. Comment oublier ? Elle avait gardé ce souvenir, ainsi que le père, sans savoir à qui demander ce que cela signifiait vraiment. Pourquoi les médecins et la sage-femme avaient été aussi heureux de tenir leur fille dans leurs bras ? Pourquoi avait-il dit : « Observez et écoutez la bien ! » ?  Tout était obscur.

La petite fille grandissait sage, loin d'un comportement colérique que le père avait prédit. Lorsqu'elle sut parler, elle parlait en sagesse, reprenant les adultes aux paroles amères. Les parents écarquillaient les yeux, se taisant, abasourdis. Parfois, lui répondant. Jusqu'au jour où de la hauteur de ses deux ans, alors que sa mère la sermonna sur ce qu'elle pensait être un caprice d'enfant, elle lui dit : « Arrête tes enfantillages ! Cesse ça tout de suite ! » La petite fille ne voulait plus être prise pour un bébé et  lui répondit dans un français parfait, montant sur le lit pour être à la hauteur du visage de sa mère : «  Ce ne sont pas des enfantillages, maman ! Je suis plus vieille que toi, le sais-tu ? Tu fais ce que je te dis. Tu ne me parles pas comme on parle à un bébé ! Oui, je suis plus vieille que toi.» Et pendant le temps de son enfance, faisait partout le bien dans ce qu'elle percevait d'injuste pour consoler.

La mère avait plié. Le père avait ri aux éclats, fier, si fier de sa fille, ce petit bout de chou d'à peine deux ans et demi. Comment cela pouvait-il être possible ? Ils commençaient à comprendre : «  Observez la, écoutez la ! » mais ne comprenaient toujours pas ce qu'était cette coiffe que les médecins et la sage-femme avaient adulée, honorée, le jour de la naissance.

Le temps s'était écoulé et l'enfant passait son temps à cueillir des fleurs, disant que les fleurs étaient une des plus belles créations de la nature, parmi tant d'autres paroles. « Les fleurs sont des êtres vivants, disait-elle, il faut les écouter chanter. Il faut les cueillir, car elles chantent quand on les cueuille, Je l'entends.». La mère la regardait étonnée, persuadée que sa fille n'allait pas bien, jusqu'à ce que l'enfant lui dise : «  Maman, tu devrais aller à tel endroit, une de tes amies est malade et a besoin de toi. » et que la mère constata que l'enfant lui avait annoncé avant tout le monde la réalité de cette amie hospitalisée. La petite fille lui avait dit : « Elle est dans la chambre au fond du couloir de la clinique, au premier étage ; elle dort mais, elle t'appelle. Je l'entends. Je ne sais pas quel est son nom, mais une de tes amie a besoin de toi. Elle souffre. » La mère n'avait pas cru sa fille, et n'avait appris qu'en rencontrant cette amie des mois après, la récente intervention chirurgicale en urgence. « Oh ! chère amie ! Je n'avais aucun moyen, de vous prévenir. Vous ne pouviez pas savoir le pourquoi de mon silence et de mon absence. » La petite fille de deux ans et demi sourit en coin, regardant sa mère d'un regard qui pour la première fois toisait la dictature de la pensée qui ne veut rien croire si rien n'est vérifié. C'était son chagrin et sa première colère. «  Je te l'ai dit ! Tu ne m'as pas cru, pensant que j'étais quoi ? » dit-elle. La mère prit peur. Le père était enchanté. Quel enfant ! On les avait prévenus ! et pas n'importe qui ! Mais de médecins et sage-femme de ces savoirs qui se savaient encore en ces temps là.

La mère posa parfois la question : «  C'est quoi naître coiffé ? » Jusqu'au jour où elle rencontra un homme âgé, musulman, de puissante sagesse qui lui dit : «  Madame, coiffé signifie dans notre religion naître avec le voile de la Vierge. Vous savez, pour nous aussi, Marie est importante et nous savons qu'elle donne des signes et choisit ceux qui la serviront pour des actes que nous ignorons. Cela n'enlèvera pas toutes les douleurs que votre fille aura à vivre, mais elle les traversera toujours avec élégance même dans le sanglot. Nous ne disons pas « coiffé » , nous disons naître « voilé » dans notre religion. Elle a donc un voile invisible dont la naissance dans ses amnios  mouvants d'eau protectrice est le seul signe. Voilà ce que signifie naître coiffé. Comprenez-vous mieux ? Elle est bénie et vous avec, par elle, car elle vous a choisis, vous et son père, pour la recevoir. N'ayez plus peur d'elle ! Personne ne saura, ne verra ; on la prendra pour une naïve, une simplette, tout droit venue de la lune, mais elle vient du soleil.

La mère répondit - Mais ! vous ne croyez qu'en la lune ! Je n'y comprends rien ! 

- Non ! répondit-il, le soleil se lève du couchant. Son gîte est le Trône divin. Vous ne savez plus rien de tout cela.

-  Êtes-vous la vérité ? demanda-t-elle.

- Non ! Nous sommes tous la vérité, dit le vieillard.  Voyez mon épouse ! elle est chrétienne et nous vivons d'heures  harmonieuses, car  nul n'a pensé un instant que si il y a tant de divergences entre toutes les confessions, seule la Vierge nous réunit, n'aviez-vous pas remarqué ?

- Je l'ignorais ; dit la mère au vieux sage. Et le Christ ? 

-  Je ne peux pas vous en parler, je suis musulman, je ne peux que vous parler de Marie. Demandez à ma femme pour le Christ ! Cherchez ! votre fille est là. Elle aura la parole du sage, l'Amour de son voile et la colère des Dieux. 

- Colère ?

- Oui ! Colère face aux injustices venues des hommes ; elle n'épargnera pas l'injuste, pourtant souffrant comme nul ne souffrira, les jours enfilés comme autant de perles brillant au soleil. Vous verrez. Ses mots au quotidien seront : " ce n'est pas juste !" mais il vous faudra entendre  en cela, non pas une gaminerie, mais un appel à la relation juste. Il lui arrivera même de répondre à des pensées, car elle les aura entendues comme sorties de la bouche qui remue ses lèvres. Il lui faudra apprendre à être vigilante et aussi à se taire dans ce qu'elle percevra. N'avez-vous pas déjà remarqué sa différence ?

- Oh si ! répondit la mère, les yeux levés vers le ciel. Ce n'est pas facile à vivre. Elle m'a dit ... elle m'a dit qu'elle vivrait ... elle dit effectivement sans cesse "ce n'est pas juste !" nous disant ensuite ce qu'il faut faire.

- Oui, je sais ! Ne le dites pas ! C'est à vous qu'elle l'a dit pas aux autres !  Son voile la protégera ; ce que vous nommez, vous, coiffe. C'est cela que vous ont dit les personnes qui ont accueilli votre enfant le jour de sa naissance dans le cri de la joie. Oui ! ses rares colères pourront être tonitruantes pour la justice de ce monde et la vérité, et elle aura aussi la douceur et l'Amour de la Mère voilée. Qui la contrera dans la vérité, le bien et l'amour qu'elle porte, verra un évènement difficile arriver en sa vie. C'est ainsi et ne sera pas autrement. Ce ne sera pas elle qui en décidera.  Elle le sait déjà.

- Savaient-ils  cela ceux qui l'ont reçue à sa naissance, la recevant entre leurs bras ?

- Pas forcément ! répondit le vieillard. Ce que nous savons, cependant, est de tous temps ce que chacun a su et ce que signifiait naître coiffé. Cette connaissance s'est perdue. Chaque fois qu'il y a une naissance coiffée dans le monde, c'est un être particulier venant aider le monde. Ils sont très rares.»

La mère garda sa peur, car sa fille pouvait lire en elle. Elle eut deux autres enfants et ne vit aucun naître car endormie. Sur les quatre de ses enfants, elle n'avait vu que l'arrivée de cette fille. 

Le père l'adorait, la nommant souvent "mon petit philosophe !"

L'enfant, disait : " C'est par la force de la destinée que j'apporte le soleil."

Personne ne comprenait. Le Soleil était sa force en la Sophia qui la couronnait.

La mère, âgée de presque quatre-vingt-dix ans, continuait de raconter, à qui écoutait, la naissance extraordinaire de son enfant né coiffé, et aussi qu'elle n'avait, de sa vie sur quatre-vingt-dix ans, jamais vu quelqu'un aussi affublé de douleurs que les raconter ne semblerait pas crédible, tant dans les drames de vie, que les maladies accumulées. Elle disait : " Elle prend sur elle le monde et son voile rachète les destinées qui l'accablent." Demandez à la mère si le doute vous surprenait. Elle vous le dira. Et fait encore plus impensable, la mère priait sa fille comme on prie un saint, pour avoir son aide, disant : " je savais que je serai exaucée."

http://www.meteo-paris.com/chronique/annee/1957

 

 

Final de "Parsifal" de Richard Wagner

" PARSIFAL " ( Finale I ) Coro e Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino / Dir Semyon Bychkof / Maestro del coro Jose Luis Basso / Stagione 1997

 

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