Béatrice Lukomski-Joly


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Ainsi sont les hommes

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

 

Ainsi sont les hommes,

tous se voyant parfaits,

même assis sur les bancs d’églises,

trempant l’index dans le bénitier,

pliant genou sans vraiment croire,

puis mangent l’agneau un jour de Pâques.

 

Arguant le fléau des guerres

comme seul salut de leurs attaques

qu’ils engendrent et ont réponse,

ils prient le diable croyant prier Dieu,

et le front huilé de jasmin fané,

ils appellent aux armes, le ventre plein.

 

Le ventre plein avant qu’il ne soit vide,

dans l’oubli du bien perdu à jamais,

relégués au passé qu’ils appellent avenir,

se trompant de voie, la croix de fer

ornant leur poitrine noircie d’encre,

ils ne rêvent que de mort pour leur confort.

 

Se plaignant de tout, pensant le temps

tel un ennemi envahissant,

après avoir tant quémandé l’aide utile,

après avoir tant pleuré et angoissé,

ils se lèvent fiers de leur pouvoir

d’avoir humilié et blessé comme à la guerre.

 

Sont-ils prêts au combat, que le mieux est de partir,

point ne laissant leurs armes effilées

tremper dans la chair de l’Esprit

qu’ils n’ont jamais vu bénir ni aimer,

si sourds au genre humain que veut le Temple

dont ils ne savent ouvrir la porte.

 

Et d’envahissant, vient le menteur éhonté,

transférant le mensonge à la mort

des hommes qu’ils ont nommé bâtards

bien avant leur naissance, ayant voulu le trépas

que nouveau-né a pleuré au sein de la mère

avant de voir la lueur de la vie.

 

Se renient-ils les hommes d’ombre

voulant faire croire qu’ils habitent la lumière

qu’ils dorment en leur conscience

que nul n’a jamais vu vivre de vérité,

laissant leur honte aux bras du Sombre,

dieu parmi les dieux habillé de haine.

 

"Les poètes Virgile et Dante visitant le neuvième cercle de l'enfer " dans "la Divine Comédie" de Dante par  Gustave Doré

 

Se mettent-ils à table le soir venu,

éclairé de bougies et de souffre brûlant

que pleure la parole n’ayant vu du jardin

la beauté d’une carotte poivrée

ou d’un champ de fleurs que la main adore

après la maison rangée, le dos plié de douleur.

 

Ils ne voient pas ces hommes de presque foi

la sueur dans le labeur d’autrui

que le labeur sanglote d’avoir aimé

sans compter les engendrés à la vie,

ces hommes n’ayant rien souffert

comparé à d’autres si balafrés de peines.

 

Jamais, ils ne pardonnent ces pauvres d’esprit

d’avoir vu les indigents de l’âme,

depuis l’enfance, depuis l’adolescence,

ces condamnés pour l’éternité

parce que ces gens de foi gisent sur les bancs gris

des églises attristées de ces mécréants mandant le diable.

 

Car le diable, ils ne connaissent pas,

ne le voient pas à l’œuvre en leur pensée,

pour un légume, un bâtard, un cœur envahissant,

et la nuit les emporte satisfaite

en leur sommeil qu’ils renouvellent sombre,

traversant l’astral noir avant d’être l’aurore flamboyante.

 

Heureux celui, celle, voyant enfin sa laideur,

lors de leurs plaies inoculées par des mages noirs

que Poimandrès a vu lors du premier jour,

la Nuit éternelle enfin morte à elle-même

quand l’immobilité habitait les Ténèbres,

quand l’inanimé voilait la puissance du Verbe.

 

 

Louis Janmot peintre Lyonnais du "poème de l'âme" 

Les hommes d'imposture

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

 

Il existe des hommes d’imposture

s’habillant du costume arthurien,

semblant illuminés d’Esprit à leurs lectures,

mais brillants de cent feux luciférien.

 

https://en.anthro.wiki/Lucifer

 

Parlant de l’Amour du Verbe

dont ils n’ont pas connu la substance ;

parlant encore de l’ombre funèbre

avec forte et folle persistance,

ils confondent le Verbe avec Méphistophélès,

et abusent le monde au nom de leur petitesse.

 

Peinture du peintre polonais  Jan Matejko  Stanczyk

https://pologneimmortelle.wordpress.com/2020/09/21/fresque-du-stanczek/

 

Bafouant la dignité et la justesse,

laissant leurs déguisements opaques,

ils vont, nous offrant la tristesse,

heureux du mensonge en leur cloaque.

 

Un jour, charmant, le suivant hideux,

ils enténèbrent la volonté des Dieux

qu’ils n’ont pas compris d’Hermès glorieux

ou de Zoroastre au verbe si pieux.

 

Ils affirment n’avoir point peur de la vie

et de la vie ont peur chaque instant,

refoulant l’Amour au monde né, et Son crucifix,

et sur la tombe, reculent de peur de voir Son Temps,

la beauté et l’allégeance au Fils offrande,

piétinant la foi qu’ils attestent depuis l’Irlande.

 

Les hommes d’imposture enterrent la fraternité,

reléguant la Gnose à leur plein vide,

à leurs souvenirs qui n’ont rien fécondé,

offrant l’ironie et la ruse tel en Atlantide.

 

Voient-ils une rose fleurir au cimetière

que le vert buis abrite et adore,

qu’ils la piétinent en fuyant la noble pierre,

préférant adorer le veau d’or.

 

Faust et Méphistophélès jouant aux échecs de Moritz Reitzsch peintre allemand

https://fr.wikipedia.org/wiki/Moritz_Retzsch

 

Quatrième marche

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Tableau oeuvre personnelle : acrylique

 

Je marche, pieds nus. J'ai jeté ma montre dans le bosquet de verts feuillages, sous l'arbre dans lequel le gui épouse la branche, là, juste au-dessus de ma chevelure que les années ont élaborée de finesse, pareille à des fils de soie. Je vous l'ai déjà dit. C'est mon quatrième jour de marche.

Me suivez-vous toujours ?

Je quitte mon champ de fleurs. Narcisses, jonquilles, coucous, boutons-d'or, me saluent en inclinant leurs pétales grâce au souffle léger du vent qui se fait complice de leur au-revoir. Faut-il se retourner ? Je peux continuer à avancer sans voir le chemin parcouru. Je peux aussi me retourner pour mieux embrasser ce que j'ai appris et qui m'embrase le cœur. Je regarde en arrière. Je vois une immense dune sans limites, longée d'une plage opalescente, avec un horizon diaphane qui me fait dire que j'ai si peu fait. N'ai-je rencontré qu'une vaste étendue d'herbes, de fleurs et de quelques rares cailloux, que je mesure que je n'ai pas encore jaugé la difficulté de mon chemin. Pourtant, n'ai-je pas déjà beaucoup pleuré que mes douleurs s'éloignent, me laissant voir qu'elles étaient si peu en rapport à celles qui m'attendent et m'espèrent ! Il me faut gravir des collines, des montagnes, des falaises, avec le risque de tomber, avec le risque de blesser mes pieds nus. J'écarquille à nouveau les yeux, plus de ce saisissement émerveillé, mais de cette loyauté consciente au sentier qui dit : va, blesse-toi et apprends ! Je fixe le chemin devenant escarpé qui s'étend sur des lieues de marche, et je vois, tout au bout de sa droiture, mon ami aux cheveux blancs comme l'écume, qui ne se présente plus seul, mais accompagné d'un ami dont j'ai grande difficulté à percevoir la couleur et la forme, tant l'issue du chemin est brillante au point qu'il m'aveuglerait presque. Il m'attend. J'étends le bras pour le toucher, sidéré, et plus j'étire mon bras, plus il s'éloigne, s'approche, recule. Je soutiens mon regard avec peine, surpris de l'immensité de ce nouveau compagnon qui semble me dire de venir, sans dire un mot.

Je ferme mon regard. Je le raviverai quand je me remettrai en marche. Je décide d'attendre quelques jours avant de me remettre en chemin. Rien ne sert à aller précipitamment. Évaluer chaque pas, chaque meurtrissure, car à quoi me servent mes pieds s'ils suppurent de tant de blessures non soignées ? La première est cicatrisée. Je n'en souffre plus. La cicatrice est si belle que l'on dirait une broderie fine. Mais voilà, que dans ma roseraie, je marche sur une branche dentelée d'épines acérées comme d'autant de coups de gerbes de ronces. Encore des épines ! Le cri se marie à la brûlure.

Je ne sais pas si c'est la douleur ou le cri qui me tiraillent le plus. Soumis à l'intensité du supplice physique, je ne perçois plus rien. Je m'évanouirai presque. Et les branches, que mon bâton ne retient pas, m'attirent vers elles. Me font-elles tomber durement dans la roseraie que je suis lacéré par les ronces. Les roses s'amusent, avec tendresse, de me voir gémir. Je hurle de douleur. La colère me gagne quand mon caillou me rappelle à sa mémoire pour que je m'apaise.

- Souviens-toi ! 

- Quand, cela fut-il ? entonné-je offusqué. Vous étiez narcisses, coucous, jonquilles, boutons-d'or, hier, et vous m'avez habillé de votre couverture tissée de vos pétales ! C'est un cauchemar ! Je rêve ! Pourquoi ces nouvelles épines ? Pourquoi avez-vous disparu de mon regard ?

- Non ! Pas vraiment, Jean ! Nous autres fleurs, nous donnons la main pour t'aimer au-delà de la mesure que tu connais. Certaines fleurs sont des poisons pour l'homme. Vois la digitale ! D'autres sont habillés de moins de velours, car il faut, pour comprendre leurs soieries, comprendre leurs tiges épineuses. Vois tes roses !

Je cligne d'un œil suspicieux, ne comprenant pas très bien leur intention, confiné dans cette nouvelle douleur que mes pieds voudraient ne plus exister ; ne plus avancer.

- Pense ! s'exclame la plus belle des roses bleues de la roseraie, laissant les roses rouges attendre ce que sera la suite du sentier.

- Je vais arpenter le sentier le plus difficile qui soit, et vous blessez les seuls membres qui me portent ! Mes pieds sont mon outil ! dis-je un peu fâché, me disant malgré tout que je dois dominer ma douleur. Dites-moi ! Pourquoi est-ce sans cesse les roses bleues qui me parlent et que celles, rouges, me regardent, muettes ?

- Ta pensée est -ton- outil ! Jean ! Jean Christophoros de Lebenkreutz ! Lebenkreutz ! Lebenkreutz ! Lebenkreutz ! chantent les roses en chœur. Mi, la, sol, fa, si. Mi, la, sol, fa, mi. Rouges ! Bleues ! Rouges ! Bleues ! À toi de trouver !

- Cela suffit ! Je dois laver mes blessures avant de penser ! Qu'elle est cette énigme que vous jouez avec la couleur ?

- Tu peux aussi penser en lavant tes blessures... rétorquent-elles d'un air amusé. Tu auras la réponse ! Bleu ! Rouge ! Bleu ! Rouge !

Au bout du sentier, là où la route d'homme s'achève, me regardent mon ami aux cheveux blancs comme l'écume sur la plage à midi, et son ami éclatant de lumière au zénith. Je ne sais pourquoi le sentiment de honte se ranime en moi et me plie d'une détresse d'âme que mes pieds souffrent peu en comparaison. Je lève la tête, baisse le regard, relève la tête, prends appui sur mon bâton, finalement tombe à nouveau, face contre terre, le visage labouré par les épines. Au bout du sentier, mon ami et son compagnon continuent de me regarder, sans bouger, et je ressens leur immense mansuétude. Mon ami vient à moi laissant au bout du sentier d'homme achevé son compagnon brillant du firmament. Il prend mon visage puis mes pieds dans ses mains, observe les plaies et dit : va à la source qui coule sur ta gauche, juste au point où le soleil décline avant que la nuit ne te prive de ta faculté de voir. Elle est bleue comme les roses de la roseraie azur. Elle te soignera avant que la nuit tombe si tu arrives avant le lever de la lune, avant que le soleil ne te devienne invisible ! Peut-être entendras-tu la voix des roses rouges !

C'est alors que je marche les pieds ensanglantés vers la source, non assuré que je puisse y arriver, qu'une image se fait jour en moi. Qu'ai-je donc offensé les fleurs et leurs épines ? Avais-je besoin de repos sur mon chemin ? Avais-je besoin de regarder ma blessure cicatrisée et de soigner mes pieds, pensant que seuls des pieds forts portent l'homme ? Qu'ai-je cru qu'une blessure ancienne donnait droit à un repos inconditionnel ? Nous pouvons marcher de blessures comme d'offenses et d’opprobres dès lors que nous le pouvons. C'est parce que je le peux que ces épines m'ont déchiré le corps et le visage, sans ménagement, heureuses de me meurtrir ! Je croyais que ce repos m'avait été offert ! Ne l'ai-je pas compris ainsi ? Je me trompais.

Pourquoi vivre cet acte de blessure dans la roseraie bleue comme l'azur strié de lumière ? Parce qu'une seule rose lapis-lazuli peut nous vouloir dans ses bras de velours rouge quand le compagnon au bout du sentier d'homme a pleuré sous les ronces pour la grâce de Parsifal dans les terres-fleurs qu'il n'a pas vues à cause de filles-fleurs enjouées.

Je marche péniblement vers la source bleue, scrutant le ciel.

Qui du soleil ou de la lune aura raison de mes lésions ? Si c'est le soleil, je suis conforté dans la joie de guérir vite. Si c'est la lune, je suis assuré de guérir lentement. L'idée me vient que ni le soleil ni la lune n'ont de pouvoir sur moi et que c'est moi seul qui possède la force de me guérir ! Je suis le bâtisseur de ma vie que je parcours lentement d'ogives, de piliers, de vitraux, de nef, vers mon autel, pour édifier mon temple. J'ai mal à mes pieds. Mon visage me brûle. Mon corps souffre. La blessure est si vaste que j'implore mon ciel de les aider à aller vers la source.

- Tiens ! me dit mon ami aux cheveux blancs comme l'écume sur la plage au zénith. Nous n'implorons le ciel que, lorsque les blessures deviennent insupportables ! C'est ainsi depuis le lever du jour ! Il est vrai que tu es bien défiguré ! Tu as perdu un peu de ta beauté. Relève-toi ! Jean !

- Oui ! me laisseras-tu souffrir seul ? Aide-moi ! Aidez-moi ! Par pitié ! Ne me laissez pas si peu présentable ! Qui voudra de moi comme ami, ou époux, si la disgrâce de mon corps physique témoigne de mon âme paresseuse ? La solitude sera-t-elle mon seul chemin ?

- Tout dépend de toi ; je peux cependant t'aider ! Je peux te soutenir dès lors que tu me demandes conseil ; par contre, je ne peux rien décider à ta place. Ce sentier, tu le fais seul. Dis-le à Alexandre ! Le sentier t'appartient, Jean. Il lui appartient. Je suis l'Amour qui patiemment guide ce que tu as voulu. Je n'ai pas le droit de penser à ta place ni de faire pour toi. C'est une autre loi que l'amour conduit patiemment. Ce que tu auras abouti m'élèvera et je laisserai mes frères sur les nuages, car les hommes n'auront pas voulu les voir ni aimer leur stature. Moi aussi, je peux pleurer sur la destinée de mes semblables revêtus de soleil, car il ne leur appartient pas de gravir une échelle sans la volonté de l'homme ! Que me restera-t-il alors ? Des larmes jetées sur la terre telles la pluie, pour que mes compagnons remontent vers les Nues ! Va ! Soigne tes pieds et ce corps endolori ! Tes blessures sont si vilaines ! Regarde-toi dans l'eau, tel Narcisse, mais seulement pour voir ton visage écorché, non pas pour regarder ton orgueil démesuré, car il est encore bien grand cet orgueil ! Soigne ton visage ! Il est le miroir de ton âme. As-tu observé que dans ton malheur, tu as reçu un grand bonheur ?

- Oui ! je n'osais pas le dire, tellement honteux de mon repos indolent ! Pourquoi me parles-tu d'Alexandre ?

- Qu'est donc ce bonheur ? me diras-tu ? Et pourquoi te parlé-je Alexandre ? car il est l'alexandrin de la force puissante du rythme qui, tout, contient.

- Les épines n'ont pas griffé mes yeux, vraie psyché de mon âme ! dis-je. Mes yeux sont sains et saufs ! Il y a toujours une chance inouïe dans un malheur si nous savons la voir. Alexandre ? Alexandre est, en mon âme, chaleureux comme l'été souverain d'un poème qui n'a pas d'âge.

- Va, Jean ! Tu commences à comprendre. Tu as, cependant, droit à un peu de repos, Jean ! Dans ce repos, aie toujours conscience que tu le prends ! Combien de fois me faudra-t-il te le dire pour que tu comprennes ? Réalise qu'il ne te faut pas faire de halte qui t'induirait en paresse. Ne t'oublie jamais, ne fut-ce qu'un instant ! Je ne me repose jamais pour toi ! Le sais-tu ? Je peux m'absenter des heures, des jours, mais sache que cette absence n'est que nourriture angélique pour mieux t'aider et te servir. Apprends aussi que je ne m'absente jamais la nuit puisque toutes les nuits, je suis avec toi pour préparer ton lendemain. Toutefois, même au loin, quand tu me demandes de l'aide, je suis là, laissant mes propres tâches, car tu es mon essentiel. Parle de nous à Alexandre, Jean ! Donne-lui la force du sentier. Tu le peux, Jean ! Dis-lui que les vers ne rongent que les pommes, mais pas les alexandrins vivants. Dis à Alexandre qu'il est l'essentiel de sa demeure. Que je devienne le tien ! Le veux-tu ? Et n'oublie pas de semer la graine du pommier pour que les vers se nourrissent des fruits gâtés afin que les alexandrins embellissent les fleurs futures sur autre pommier qui aura semé sa graine, et dont la chair des pommes sous leurs peaux rugueuses auront été guéris de la gangrène ! Que tous pommiers se voient beaux, car ils le sont !

- Je le veux. Je lui dirai.

Je marche, affligé à l'extrême. Chaque pas est un son muet que mon visage ne révèle pas, car la douleur est moins vaste sur mes traits qu'à mes pieds qui me servent à marcher et que la glaise enlise, masquant les récifs en sa bourbe, commençant à les soigner dans la mémoire de ma pierre. Je lève la tête vers le soleil qui décline et pense qu'il me faut aller à la source avant que la nuit n'ait installé son voile. Je marche. La glaise s'empourpre du nectar se déversant de mes écorchures. Il n'y a pas d'éclipse pour moi à midi bien que m'appelant Jean Christophoros de Lebenkreutz. Je suis l'imparfait en route vers la perfection. Je ne suis qu'un marcheur sur le sentier. La source profile son être. Je la vois. Il est un temps où les minutes s'avèrent plus vitales qu'une seule année. La douleur s'amplifie. J'ai envie de ramper pour ne plus sentir mes pieds. Et le serpent se glisse dans la glaise pour me dire :

- Ressemble-moi, Jean ! Tu me comprendras mieux ! Je te porterai jusqu'à la source, car il y a une autre source, plus joyeuse que je t'offre si tu rampes, et plus vite, tu guériras ! Ha ha ! Tu le veux, n'est-ce pas ? Ton tourment est si vif ! Jean ! Jean ?

- Oh non ! contre-attaqué-je. Ramper et quoi encore ? Que ma blessure me porte ! Te voir, et j'abandonne cette idée. Qu'ai-je voulu frôler la glaise de mon ventre pour ne plus sentir le déchirement de mes pas ? Je ne serais plus homme sur mon chemin si cela arrivait ! Si je le faisais, ce ne serait pas de mes seuls visage et de mes pieds que je vivrai de blessures ! C'est tout mon corps qui sera balafré en profondeur par les épines des rosiers de ma roseraie bleue comme l'azur strié de rayons jaunes alors que pour le moment, elles ne sont que superficielles, et je mourrai à moi-même de t'avoir écouté ! Elles m'offriraient tant de contusions par tant d'épines volontaires dressées que je serai obligé de te voir dans la réalité de ton ventre noir, qui n'a pas encore blanchi dans le cœur des vertus du soleil ! N'y aspires-tu donc pas ?

Il passe son chemin, cherchant la chaleur du soleil, que de son sang glacial, il aime, parce que le soleil est le sentier de tous, et il trouve une pierre hors de la glaise sur laquelle il se couche. Il me regarde m'éloigner vers la source qui n'est pas la sienne et que mon ami aux cheveux blancs comme l'écume m'a montrée. Je vais. Le soleil semble ralentir son coucher pour que j'arrive à la fontaine naissante. Le regardant briller de ces quelques minutes intenses qui font de lui un ciel rouge comme d'une catharsis qu'il veut nous montrer, j'arrive à la résurgence qui bulle de mille éclats scintillants. C'est en voyant la beauté du bouillon céleste que je vois, en imagination, la source du serpent qui ne brille pas dans la lumière. L'eau y est aussi noire qu'une nuit sans lune, parce que la lune a un secret que tous ignorent. Il se dit dans la vase qu'elle abrite une face invisible qui jamais ne s'expose à la clarté, et que l'occulte pensée nomme la huitième sphère, celle dont nul ne revient. Voudrais-je celle-là que je serai mort à moi-même ! Je ne veux pas mourir d'ignorance !

Le soleil rougit davantage. La lune s'habille d'un carmin vif qu'un rayon vert sur la mer émeraude regarde sans sourciller. J'arrive à la source qui bulle de toute sa vie trépidante et enfin soigne mes pieds meurtris ainsi que mon visage tuméfié. L'eau se teinte de pourpre. L'eau se renouvelle à chaque goutte de sang purifiée et reste bleue comme l'azur étincelant face à l'horizon vif-argent. J'ai vu Mercure ! Je vois mon bâton s'éloigner vers l'horizon autour duquel un serpent blanc avale un serpent noir. Je suis guéri. Je m'endors sous le voile de la nuit chantant son hymne mystérieux.

Lorsque je me réveille, il est midi. Je regarde dans l'eau vive crépitant de perles d'eau jaillissantes mes plaies cicatrisées, satisfait de n'avoir que quelques cicatrices. Je m'allonge sous le soleil de douze heures pour profiter de son bienfait enveloppant, ressentant chaque rayon baigner ma peau. Je jouis de l'instant, quand une petite voix intérieure glisse un « Prends garde, Jean ! » Je ne sais de quoi je dois me méfier. Je n'y prête pas attention. Prendre garde à quoi ? Le serpent ? Pas de rocher autour de moi ! Je reste allongé, profitant du soleil brûlant à cette heure. Les heures défilent, comblant de quelques perles noires mon collier. Quand soudain, réalisant que je n'ai pas remercié mes amis de m'avoir indiqué la source, ni de lui avoir demandé son nom, je les cherche du regard, sans qu'ils ne soient là. Oh ! Ingratitude ! Suffisance ! Orgueil !

Je me lève et retourne à la source. Personne ! Ils ne sont pas là. Le sont-ils que je ne les vois pas.

- Ange ! Es-tu ici ? crié-je, indélicat.

- Que veux-tu ? Qu'attends-tu de moi ?

- J'ai omis de vous remercier ! Je n'ai pas demandé le nom de la source.

- Les hommes sont les hommes ; comblés dans leurs demandes, ils nous oublient. Tu nous as oubliés. Je ne t'en veux pas. Mon amour reste sans failles. Attendais-je ta reconnaissance ?

- J'ai honte.

- C'est déjà ça ! Ton oubli a déjà quémandé réparation sans que tu ne t'en aperçoives... Ton Soi le plus avisé a prié pour toi.

- Ha ! ma peau me tiraille !

- Regarde-toi dans l'eau ! Jean Christophoros ! Leben Kreutz ! Leben Kreutz ! Leben Kreutz ! Trois fois ! Rose ne deviendra pas rouge ce soir ! Ta source s'appelle Barenton !

- Barenton ? Mais, où suis-je donc ? J'étais au bord de l'océan ; je marchais dans les prés, puis dans la vallée, et je suis maintenant en terre féerique ! Mais, Ciel ! Que fais-je ici ? Qu'est-ce que ce visage ? Je suis brûlé au second degré profond ! Quel est ce rouge cramoisi intense ? Quel est ce masque de cuir ? Défiguré pour toujours !

- Tu as aimé le soleil, Jean, en oubliant de le remercier.

- C'est cela, le karma, n'est-ce pas ! Pourquoi serait-il immédiat ? La présence des arbres centenaires ne pouvait-elle pas me protéger des rayons du soleil ?

- Parce que tu le peux ! Jean ! Forêt est ma complice avant d'être la tienne. C'est ainsi.

- Qui a dit que j'avais assez pleuré après avoir pleuré des océans ? Toi ! M'as-tu menti ?

- Jamais, je ne mens, Jean ! Ce que je t'ai dit appartenait à l'avenir ; ne l'avais-tu pas compris ? Souviens-toi ! dit mon ami angélique. Passé et avenir sont un. Ce que je te dis ou te montre sont étroitement mêlé. Je sais tout de toi. La seule chose que j'ignore est le jour qui signera la fin de ton sentier. Je peux te montrer en une série d'images ce qui te semblera appartenir à un instant présent et, pourtant, elle ne sera que l'expression de plusieurs années condensées en une seule, parce qu'elles sont écrites d'avance. À toi d'enrichir chaque image comme un peintre illumine ses tableaux.

Défiguré ! Brûlé ! Cartonné ! Je m'agenouille dans la vase, priant comme jamais, riche de promesses faites. Secondes, minutes, jours, s'enfilent nœud après nœud. Le sanglot n'est que l'ami de l'erreur, du regret, des insuffisances. Je suis secoué comme un prunier en début d'automne pour récolter ses fruits. Acceptant cet inconfort définitif, je scrute le destin qui vient de s'exprimer et m'incline.

Le serpent montre sa tête et dit : J'en ai marre qu'on te gratifie sans cesse de douleurs ! Comment faire pour te récupérer et t'aplatir sous mon ventre noir pour que jamais tu ne relèves plus la tête ? Pourquoi pries-tu ? Cela ne sert à rien ! Ils ne t'entendent plus ! Vois ta solitude ! Viens avec moi ! Alors, que je vocifère un énième cri de douleur, refusant de le suivre, lui criant « Jamais ! », mon ami aux cheveux solaires irrigue le masque de cuir, déferlant une eau limpide sous la couenne insensible. Il dit : va sous le saule pleureur que ses branches te nettoient. Demande lui de ma part qu'il éponge ce fluide que je crée pour ta renaissance. Le saule m'accueille, le sourire plein ses feuilles. Ah ! Un saule pleureur ne pleure donc pas et sourit ! 

- Quelle heure est-il ? demande-t-il.

- Il est quatre heures du matin, au troisième jour de ma brûlure !

- Bien ! S'il est l'heure de la rosée au cœur de l'hymne de la nuit ensoleillée, je vais t'aider.

Il prend une de ses branches et soulève le masque au départ de la ligne frontale. Se secouant, sa rosée déverse l'aube sur ma peau et marque de son sceau la signature de la promesse engendrée d'un chant de rouge-gorge portant une branche de houx en son bec.

- Fais le reste ! dit-il. Décolle ce masque cuiré et vois ton nouveau visage ! Et va sous le hêtre !

La rosée amplifie le geste qui sauve. Le masque tombe dans mes paumes. Et, à moi de découvrir que je n'ai même plus l'ombre d'une cicatrice d'épines, entièrement renouvelé.

- Marche ! dit le saule. Salue les chênes au passage ! Et embrasse Celui qui a entendu ta prière. C'est lui qui te sauve, pas moi ! Et quand tu reviendras, une bourrasque venue du tréfonds de la terre tentera de me déraciner. Viens tenir mon tronc que je ne m'effondre pas. N'oublie pas le hêtre ! Victoire t'y attend.

- Victoire ? Je vais le revoir ? Je vais revoir mon vieux fils ?

- Et son frère, me répond le saule pleureur qui ne pleure pas.

- Quand ? J'ai si hâte ! Je lui dois ma canne et sa garde.

- Tu verras ! Sous le hêtre, là, où les papillons jaunes du soir volent encore.

- J'ai compris ! dis-je. Le hêtre pour être... tu me parles en langue des oiseaux !

- Il t'arrive de comprendre plus vite que je ne pense.

J'appelle mon ami angélique et son ami aux cheveux ondoyants, blancs comme la dentelle d'écume dans le firmament ; m'incline, m'agenouille, et baise ses mains dans une infinie gratitude. À l'instant du baiser solaire, un cyclone se lève. Le serpent se cache sous les racines du saule qui tressaille, gémit, pleure. La queue dépasse, juste un peu, pour que je la vois. Je lève mes yeux au ciel, entourant le saule de mes bras dont je ne soupçonnais pas la force, piétinant la queue noire, appelant mon ami pour son aide, et saule s'enracine plus fortement dans la terre. On entend un rugissement venu de sous l'arbre. Son ventre noircit de n'avoir pas voulu voir l'Amour agir. Une rose bleue se teinte de rouge.


 

Avez-vous, au jour se levant, vu la source

Déverser dans nos mains, ses eaux ébahies

Quand les sculptant visage, nous rions d'éclats,

Que noirs volcans envient aux pierreries ?


Quand grimpant dans l'alpage, souvent au matin,

Mon pas uni aux boutons-d'or, assis dans l'herbe,

Je me prends à sonder la feuille, le regard mutin.

Que chante ma terre brodée de ses fleurs superbes !


Avez-vous vu plus belle église que notre terre,

Et plus belle cathédrale que nos montagnes,

Encore plus délicat monastère que nos rivières,

Et plus grand ornement que la verte campagne ?

 

Quand accompagnant le chamois, je vocalise

Des notes que la falaise me renvoie en adagio,

Je clame la grandeur de sa hardiesse que la bise,

Jamais, ne fragilise, ses pas assurés avec brio.


Avez-vous ouï le chant de la terre quand Apollon

Sait être son choriste, et que légers nuages,

De leur blancheur, appellent la flûte et le violon,

Assurés de la plus pure partition aux feuillages ?


Quand dansant parmi les blés, je valse parfois,

M'assieds aussi, le cœur riche de ritournelles,

C'est d'innocence recouvrée que je clame la joie,

Quand de son hymne, elle m'épouse de prunelles.


Avez-vous perçu le chœur des vertes prairies

Tous les matins, les midis, les crépuscules,

Lors des envols des coccinelles tachetées de riz

Que la couleur embellit de joyeuses libellules ?


Quand le cygne m'offre sa plume d'apparat,

Et que de son long bec me raconte sa note,

La plus grave que le ciel sait d'Akasha,

C'est à sa parure que ma terre dit sa linotte.

 

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