Infirmière
Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire
Tableau de Ramon Casas "Fatiguée"
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ramon_Casas
Je n'écrirai pas ce soir ;
Je suis si fatiguée à déchoir,
Je n'écrirai pas ce soir ;
Je vois tant de déboires.
Travailler jusqu'à l'usure,
Heure forgées de démesures,
Je n'écrirai pas ces griffures
Que les patients endurent.
Je n'écrirai pas ce soir,
Dire quoi, à quoi surseoir ?
À qui, dire la mémoire
Des blouses d'au-revoir ?
Rentrer et se dire, stupides,
Que les gens insipides
Ignorent tout des lits vides.
Il, elle, est partie, livides.
Je n'écrirai rien de beau,
Rien des tombeaux,
Rien de trop, rien, rien,
Le pathos court galérien.
Je n'écrirai rien des douleurs,
Ni des cris que la morphine pleure,
Je n'écrirai rien des départs
Qu'un rein sans eau part.
Mon seul cri, s'il en est,
Sera celui du cri du lest
Que malade rend au souffle
À ses dernières pantoufles.
Je n'écrirai rien ce soir
Car de quoi se nourrit le noir
Quand le soleil s'éteint,
La vie ensevelie au matin ?
Et... soudainement se lève,
Un chant à midi s'élève,
Dans l'éther de la chambre
Qu'emplit l'antichambre.
Je ne dirai rien, non !
Je n'écrirai rien, non !
La blancheur de ma blouse
Qu'au soudain rouge-sang épouse !
On appelle cela une infirmière
Qu'aux infirmes des lumières
Ils sont d'elles, toutes ces heures !
Priez pour leurs noms sans gloire !
Je n'écrirai rien ce soir,
Je suis si lasse de tout voir
Sans que quiconque ne pense
La plaie que l'on panse.
Non ! ne dites rien,
Vous passant pour rien,
Ne sachant d'elles rien de rien,
Non ! ne dites rien !