Quand la femme qui nous a mis au monde vieillit et que les symptômes de la vieillesse envahissent le quotidien dans la mémoire des faits anciens, c'est chaque soir, vider le trop plein d'émotions sur les jours vécus ensemble dans des poèmes qui réparent l'âme pour continuer le chemin.
Puis, elle rend son dernier souffle, laissant à la terre son habit flétri et usé, et enfin rayonne sans laisser l'écriture se taire.
tableau d'Odell Shepard (Henry Grinnell Thomson )
Le froid est venu sans prévenir,
L'air glacé dans ses mains habiles,
Prenant de son hiver nubile
L'alliance des beaux souvenirs.
La maison a allumé un feu
Quand l'âtre mandait sa venue ;
La flamme crépitait ténue,
Pour le lendemain victorieux.
Il faisait froid, si froid près de l'âtre,
Que le feu aussi grelottait ;
Foyer crépitait sous juillet
Avant que ne meurt l'été saumâtre.
Abritée d'un pan de châle bleu,
Qui, soyeux, aime les épaules,
Douleurs se plaignent sous le saule,
Et chaleur déserte d'un aveu.
Onde de juillet n'est jamais venue
Car de l'essentiel mentait,
Laissant croire à la flamme-lait
Que seul' la brise glace l'indue.
C'est l'hiver et son gel ! dit le froid ;
Prends ta pèlerine de chanvre
Et vas au labour glaner l'encre,
Car l'âtre ne brûle que pour soi.
C'est ainsi que le feu crut mourir
Au grand froid survenu l'automne ;
Et novembre nimba l'automne
D'une aura de sourire à pâlir.
Tableau d'Edouard Munch https://fr.wikipedia.org/wiki/Edvard_Munch
Comme un jour s'achevant en plein midi,
Aux rides du temps ardent, tout à la fois engourdi,
Ma mère s'est levée d'âges, forte de courage,
Sans que les ans, jamais, ne la découragent.
Des années envolées, sans les avoir vues passer,
Elle a tellement pleuré, pourtant jamais lassée,
Tellement souri aussi, dans les larmes a tant œuvré
Sans que sa vie ne la plie, pourtant souvent navrée .
Plus forte que le chêne qui au vent se balance,
Que tous les rocs envient de solide résistance,
Elle va le cœur empli de souvenirs d'amour,
Riches d'éclats d'étoiles en plein jour.
Défiant le souple roseau aux étangs ballottés
Que rien des douleurs n'a ébranlé, ni affecté,
Que rien n'a plié, elle va le cœur au lointain,
Riche de ses chérubins aux jours incertains.
Parfois âprement meurtrie et aussi effondrée,
Parfois ancrée à l'heure des mémoires poudrées,
Jamais elle ne voit l'affût du vieillir qui tout envole
Que ses gestes encore alertes imitent des rossignols.
Quand de ses beaux yeux sans belles rides
Que jamais elle n'a fardés d'ombres, ni de vides,
Je vois tout l'amour promis au temps achevé
Que son âme noble a consacré de beaux levers.
Je plie à genoux déposés, l'âme toute froissée,
Quand l'idée me vient qu'elle peut nous laisser.
A-t-on idée de vieillir sans avoir tout dit de la mort
Et surtout de n'avoir que peu vu tous ses efforts ?
Quand je regarde les nuages blancs en balade,
Balayant tous nos ciels gris en promenade,
C'est d'amertume lourde que je la vois vieille
Sans que le temps ne m'ait montré ses merveilles.
Est-il trop tard pour honorer ses gestes de reine
Et encore pour élever le gland de l'imposant chêne
Qu'au fil des mousses des dimanches à nos rêves,
Elle a orné de ses bras nos visages à sa relève ?
Ô ! petite mère grande ! si majestueuse stature !
Jamais chêne ne fut plus sauvage, ni droiture,
Ni de force inégalée devant les mornes adversités
Qu'aux tempêtes des ans, elle s'est forgée de liberté !
Louis Japy "paysage du bord de Loire"
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Aim%C3%A9_Japy
Ce soir, je pars faire mes premiers pas d'enfant,
sur le banc de la Loire que j'aime de sa grâce.
Ce soir, je rajeunis, car j'aime être sans âge,
moi, l'enfant chargé d'années que siècles envolent !
Ce soir, je n'ai plus d'âge ! Ai-je eu quelques années
que mes fleuves ardents, encore, me consolent ;
Blottie dans leurs belles courbes, je me souviens.
Ô ma Loire ! je suis Ligérienne, ce soir.
Te souviens-tu, canal, ami de mon fleuve,
combien mes années t'ont épousé, enlisée
dans ton sable blond que tu as glissé
à mes doigts, jouant dans tes eaux bleuies du deuil ?
Qui a vu mon "Martin-Pêcheur " * dans sa majesté
voler sous ma tonnelle, où grimpaient, sans décence,
mes rosiers, sait que j'ai déposé dans son lit
une pâquerette sur son cœur d'anniversaire.
Tu es absent ; sais-je pourquoi le Rhin te prit,
insolent de solitude, mes soirs de lune,
quand le soleil miroitait d'éclairs sur ta mousse ?
Combien de pâquerettes effeuillées sans toi ?
Je marchai, emmitouflée d'un capuchon rouge,
pour être moins gelée dans le blanc ciel d'hiver.
Elie-Anne chérissait tes flancs ronds qui, toujours,
portent ton nom, aux romans des jours oubliés.
Quand convolant sur le Loiret, près du moulin,
je vis l'onde être larmes ; je criai ton nom !
Ô ma Loire amoureuse de mes jeux, qu'encore,
Orléans s'en souvient et rit de mes années !
Diras-tu, Loire, si je t'ai manqué un jour,
quand, obligée, je te laissai à tes couchers ?
Que soleils m'attendent ! J'arrive ! Attendez-moi !
Je veux griffer tes berges de jeux innocents.
Ce soir, je ne suis pas là ! Je vogue sur l'eau
que la main de ma mère rapportait du puits rond,
comme le mirage tournant en rond toujours !
Pourquoi es-tu parti, ô mon tendre opéra ?
Je pars me promener sur le chemin de sable
menant au lavoir des jours espérés heureux.
Non ! Ne dis pas que le Rhin est plus souverain !
Nos fleuves meurent et l'Yonne fière rugit !
Te parlerai-je de l'Ain, qui nous a fait couple,
et que tu n'as pas vu dans sa gorge bruyante ?
Que les soupirs disent mon souvenir vieux d'âge,
que je meurs à mon âge, si vieille d'années !
La Voulzie n'avait pas ton joyau des dimanches,
que mon capuchon rouge meurt de t'avoir laissée !
Je me suis fanée longtemps, exsangue d'absence.
Est-ce pour cela que je suis vieille, ma Loire ?
Ne crois pas que j'ai cessé de penser à toi,
ô ma sibylline amie ! Voudras-tu, ce soir,
m'offrir ta dernière pâquerette ? Ce soir !
Je suis sans âge au bord de mon long canal bleu.
Liras-tu Novalis, couchée sur mon perron ?
M'émouvras-tu encor du rire de Cosette,
Que j'ai pris sous mon bras fort, sensible à mes nuits,
Triste de ne plus lire mon Roman élu ?
Ce soir, je suis si vieille, ma Loire ! Ma source !
Si, fidèle je te suis, c'est pour ta tonnelle
qui rêve ma poésie, que pour toi, j'écris.
Ô mon enfance ! je suis si vieille ! Ce soir !
https://mapio.net/pic/p-78271435/
Garage à bateaux à Olivet - Loiret -
* Martin-pêcheur", nom d'une maison habitée en 1964 le long du canal longeant la Loire
"Promenade du front de Loire"
"Vieille dame lisant" M Knoop 1880-1900 de Rembrandt
http://artmic.eklablog.com/10-les-vieilles-dames-lisant-peintures-a112488838
À la longueur de mes saisons, le jour se lève.
Aux adieux faits sans rien avoir demandé,
Aux baisers donnés, oubliés dans la nuit,
Que ma terre a pourtant façonnés,
De mémoire, désespérée, je suis passée,
Sans que vous ne m'ayez vue de désirs !
Le jour se lève sur mes matins sans réconfort,
Mon chant sur les mortes saisons de la modernité
Est un souffle perdu au vent.
Désormais absente, je ne ris plus, ne souris plus.
Mes cheveux ne balayent plus mon visage.
La terre s'est figée autour de ma mémoire,
L'a faite solitude, sans la caresse d'un enfant,
Qui a balayé de ses doigts frêles, ce qui reste,
De douceur à mon souvenir, ses rires !
Ai-je été d'Amour que je me demande
Les promesses fatiguées, mortes avant de naître.
Y eut-il eu un arbre qui abrita mes émois
Que désespérée sans plus l'être,
Forcée de solitude, habillée d'oubli,
Je vous attends, presque sereine,
Assise sur un banc, dans ma cour,
À vous attendre, endormie près d'une rose,
Bientôt alitée à force de vous attendre !
M'ont-ils tous laissée que, parfois, je reçois
Beau message, un : « Comment vas-tu maman ? »
Que j'en oublie le tendre geste et le rictus de complicité
Que l'enfant engendrait avant de vœux : « Ma maman à moi ! »
Oh ! mes enfants, portés jusqu'à l'a rondeur de mon corps,
Flanqué de lourdeurs du vieillir, me voyez-vous ?
Quand de vos « i quelque chose »
Vous pensez me faire plaisir :
« Vois comme tu es importante à nos vies ! ».
Par pitié, âmes aimées de tant de labeur,
Aujourd'hui le dos fracassé par la douleur,
Les jambes ayant peine à me porter,
Quelle béquille pour porter ma mémoire
Si bellement offerte, riche d'ombres ?
Serait-ce votre "i" si léger en vos poches,
Que je porte si lourdement
De solitude assassine ?
M'avez-vous aimée un peu pour que je vive
Vos absences par ces « i » interposés ?
Merci pour vos jolie fleurs qu'un « i Flora » m'a apportées.
Mais sais-je si c'est geste de bienséance
Ou geste d'amour ?
J'ai bien la photo du petit dernier,
de la tendre épouse aussi,
Mais je suis si seule que je ne pleure plus.
À nos amours tombés dans l'oubli,
Moi, qui croyais que l'amour était un beau lever,
Que faites-vous mes amis, mes enfants,
Si loin de ma tombe que je vous annonce
Qu'un "i" prendra peut-être en photo ?
Pleurerez-vous sur ma table tombale
Quand du coin de mon ciel bleu,
Je vous enverrai un grand salut ultime
Que vous ne verrez pas et qui me laissera encore seule,
Car vous ne me croirez pas davantage vivante !
Que je vive là haut , bercée par les anges,
Dans la lumière des vies passées,
Vous laissera indifférents par ignorance
Et un rideau noir tombera sur nos souvenirs
Cachant vos vies à la mienne si haut dans les étoiles !
Ô Solitude !
Texte écrit pour les personnes âgées ne recevant plus la visite de leurs êtres chers,
mais recevant foultitude de sms : " les "i" messages , puisqu'elles ont des téléphones portables !
Lorsque ce texte fut publié pour la première fois, il me fut crié que ce genre d'évènement ne pouvait pas exister et que j'écrivais n'importe quoi. Je n'écris que sur des faits vus, expérimentés, constatés, éprouvés.
Tchaikovsky - Hymn of the Cherubim
Edouard Burnes-Jones
https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Burne-Jones
Le ciel est gris comme cendre ;
Point de blancheur ne perce l'horizon.
Est-ce cela un ciel tendre ?
Pourquoi cette mélancolie pérenne
Reprenant sans cesse son chemin
Dès que je meurs d'abandon ?
Neige ne tombe et semble attendre
Qu'innocence lève sa raison
Pour étendre son linceul d'amour.
Pourquoi vas-tu dans la brume,
Si loin perdu que je ne te vois,
Toi, si proche du fleuve de l'oubli ?
Vase se vide et rêves languissent.
C'est toujours ainsi quand je fléchis!
Ô mélancolie bouleversée !
Pourquoi m'avoir laissée ?
Je t'attends dans autre enfant
Qui dirait « je suis revenu. »
Ciel n'a pas laissé ses cendres,
Poussière n'a rien révélé de mon spleen.
Est-ce cela une destinée faite de tristesse ?
Pourquoi suis-je née triste,
Sensibilité aiguisée que je ne mens
Et jamais ne fais de place à cette harpie ?
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