Le sourire et le masque
Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire
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Un masque ne cache pas votre âme.
J’ai voulu savoir si un masque cachait vraiment l’âme de ceux que je croise dans la rue, dans la nature, en courses, en attente dans une file et beaucoup d’autres situations dans lesquelles une rencontre a lieu. Et je me suis demandé si je pouvais plus que jamais établir une communication avec tous ces humains que je croise malgré le masque, malgré la parole atténuée par ce tissu et si le regard avait une valeur supérieure à la parole qui possédait en lui, sa propre parole, sa propre dynamique. Tous ces visages partiels que je croisais étaient atones, sans rictus, sans émotions visibles, alors je me suis dit que mon regard pouvait éveiller tous ces visages dissimulés et que je pouvais communiquer sans un mot mon âme et rencontrer toutes les âmes plutôt que de ne croiser que des corps en mouvement.
Je me suis souvenue de mon attitude majeure de tous les jours lorsque j’étais soignante, saluant au quotidien sur des années de soins chacun d’un « Bonjour messieurs-dames » avec le sourire et lorsque j’entrais dans une chambre et soignais, souriant avant que de faire un geste. La gravité des regards soignants m’ont toujours interpellée. Je n’ai jamais voulu cette gravité qui ferme une part de la rencontre dans la confiance vécue à deux, à plusieurs, alors je souriais. Hospitalisée plusieurs fois dans ma vie pour des pathologies graves, et très tôt dans ma jeune vie, j’avais rencontré souvent ces visages fermés des soignants qui m’approchaient et approchaient mes voisins de lit ou en salle à manger si j’étais en salle à manger. Nous n’avons pas envie de nous confier et à peine dire que nous avons mal, que notre corps souffre. Je me suis souvent tue à cause de ce manque de sourire empathique. La rencontre ne se fait pas. La confiance ne s’établit pas. Aussi, dès mon début de carrière, j’avais désiré sourire plus large que mon cœur le pouvait avant que d’œuvrer techniquement, forte de cette expérience sans vie que j’avais si souvent rencontrée chez ces soignants enfermés dans la technicité et la responsabilité du geste qui n’est pas moindre, parce que la responsabilité est une conscience grave. Pourtant lier la responsabilité au sourire, aux forces du cœur, qui ne craignent pas d’établir une relation partagée, s'avère fondamental. Entre patients, le dialogue était toujours centré sur la capacité de sourire des soignants. Le savoir ! c'est là notre préoccupation principale après nos soins pour ne plus souffrir : le sourire. Préoccupation principale alors que, souvent, le soignant pense que ce qu'il nous reste d'important et d'essentiel pour vivre ces temps riches d'enseignement est le repas ! Combien de fois, l'ai-je entendu ! Pouvons-nous résumer un homme à son ventre ? Non ! Nous savons que le sourire fait parti de nos espoirs pour guérir, qu'il est la main tendue, la main-médicament sans le médicament chimique qui, donné, deviendra la marque du médicament empreint du concept Amour, plus que le concept : un sentiment devenant forme vivante enveloppant tout : l'individu et ses douleurs s'acheminant vers la grandeur de sa beauté sage permettant toutes les guérisons. Le manque de sourire coupe la faim, aussi comment affirmer qu'il ne nous reste plus que ça lorsque le sourire est le seul évènement d'une journée qui nous éclaire et donne envie de lutter ? J'ai souvent dit que j'avais autant appris mon métier à l'ifsi ( école d'infirmière ) que dans tous ces lits fréquentés de douleurs, de solitude et de froideur extrême.
Un jour, dans un élan du cœur, une voisine de chambre me dit : « Ah ! Celle-là, il faudra attendre une autre vie pour qu’elle apprenne à sourire ! Elle fait froid dans le dos ! » J’avais 25 ans. Je lui ai souri car je partageais cette conviction des vies successives pour s’améliorer et être à l’image de la perfection un jour, ce chemin qui prend tant de temps pour être et qui explique toutes les différences des uns aux autres, ce chemin qui raconte pourquoi l'un est plus sociable, plus aimant, plus chaleureux qu'un autre qui ne le peut pas encore, qui raconte pourquoi l'un est mauvais avant que de s'améliorer parce que par la vérité des incarnations offertes par la sagesse conductrice, nous nous améliorons, choississant nous-mêmes nos destinées salvatrices pour soi et le monde, l'humanité : les expériences, celles que nous faisions dans nos lits blancs. Ce chemin d'une grande humilité parce que nous savons qu'en une seule vie, nous ne pouvons pas être parfait contrairement à ce chemin orgueilleux qui enseigne que tout est pardonné quoi que nous ayons fait, pourtant nous réclamant parfaits. Comment le devenir sans cette chance acquise ? Cette grâce qui nous est donnée pour faire le mieux que nous pouvons chaque fois que nous revenons en une nouvelle incarnation. Nous nous étions mis au diapason et avions décidé de lui sourire large lorsque son regard croiserait le nôtre. Le résultat fut à la hauteur de notre espérance ; elle sourit ; elle était devenue belle, très belle alors que tous les rictus de l'absence de sourire l'avait rendu vilaine. Un visage crispé ne comporte pas de beauté. Elle n’est plus jamais ensuite entrée en notre chambre sans nous adresser un sourire qui nous réchauffait le cœur, dans nos lits, immobiles.
Le vrai sourire venant du tréfonds de l'âme n'est pas carnassier comme tous ces sourires provoqués pour un selfi qui est faux, mais bien un sourire détendu. Il n'est pas non plus le gage que le patient préfère telle infirmière qui se gausse parfois de l'être pour rabaisser des collègues comme je l'ai souvent vu ; ce sourire là n'a aucune valeur dans le soin. Quelle importance que d'être préféré parce que le sourire n'aura été offert que dans cet unique but et que le patient le sait. Dans ces sourires carnassiers, nous ne voyons que les dents, alors que dans le sourire du coeur, les yeux se racontent et la bouche s'efface pour laisser les yeux parler. Ne froncez plus vos sourcils ! Pourquoi établir une distance relationnelle quand nous savons que la distance éloigne du vivant ? Patients, nous ne demandons pas une relation fusionnelle, mais une relation empathique qui n'entâcherait pas la liberté d'être. Nous espérons guérir et cela passe par le sourire, la main qui touche l'épaule et le soin technique. L'empathie ne materne pas ; elle accompagne. Elle est entièreté, pas globalité.
Aussi me souvenant de tout cela, moi qui avais toujours marché les yeux levés vers le ciel plutôt que de regarder le trottoir ou le sol, au risque de chuter sans jamais chuter, je me suis mise à ne plus regarder le ciel bleu ou ses nuages si beaux en marchant et à regarder toutes ces personnes vêtues d’un masque imposé pour cause de covid. Le covid ? Je m’en fiche pour moi-même. Non pas dans la réalité de son existence et de l’absolue nécessité des gestes barrières indispensables pour protéger l’autre, car aimer l’autre, c’est le protéger, loin de nos convictions personnelles sur le sujet. L’autre d’abord, moi ensuite. Je me suis dit que je saurais toujours sourire malgré les douleurs, malgré la souffrance, que je serai toujours l’infirmière qui donne un sourire et que mon humanité ne s’absenterait pas malgré les nouvelles illusions et animosités vues à cause de la situation.
Mon masque mis sur le nez, malgré le port de lunettes, ne pouvait pas m’empêcher de sourire à l’autre, à tous ces inconnus croisés, lesquels n’auraient probablement jamais eu mon sourire en conditions de ville, de courses. Je pris la décision de sourire à chacun sans rien dire. Juste sourire. Voir si mon sourire était perceptible, palpable, audible, dans ces conditions masquées. Oh ! Oui, il l’était et je voyais les yeux se plisser, les regards s’illuminer, les masques bouger sur les lèvres qui témoignaient que leur bouche souriait. C’était magnifique. Chacun répondait à mon sourire. J'étais émerveillée par tous ces sourires cueillis en un après-midi. Je rentrais chez moi avec une corbeille morale emplie de sourires recueillies en réponses et d’amour car, malgré les masques, jamais je n’avais vu de sourires plus chaleureux que ceux-là. L'autre avait aussi empli sa corbeille d'amour qu'il avait pris en soi par le sourire donné, et si nous pouvons penser que c'est grâce à soi, ne jamais négliger que cet autre a été volontaire dans cette réponse. Un sourire, seulement un sourire et la vie s'illumine. Et la vie prend sens. Nous sourions et nous déclenchons le sourire chez chacun. La rencontre est là. Elle est belle. Elle est authentique. Le sourire ne comporte pas de douleur quand bien même nous en vivons. Il les exclut un instant et pour cet instant dans cette autre gravité morale dans le sourire donné, même à l’inconnu des villes, je ne cesserai plus jamais de sourire, là où je ne souriais pas, en course, en ville, sur un trottoir, sur un parking et ailleurs. J’avais conscientisé le sourire dans le soin lorsque j’avais été gravement malade pour le redonner aux patients soignés comme infirmière, je venais grâce au masque-barrière de le conscientiser partout dans la vie. Il n'était donc pas une barrière à la relation.
Un masque ne cache pas une âme et n’empêche pas d’entrer en relation. C’est de tous ces sourires que nous pouvons inverser les tendances à la colère et l’animosité voulus en ces temps, car rares sont ceux qui ne répondent pas aux sourires et si j’en ai rencontrés, parfois, c’est que l’astralité était en eux immobile, hors d’atteinte, figée, jusqu'à la vie prochaine qui les confiera à la condition du sourire.
Souriez et emplissez votre corbeille d'or de cadeaux à la vie ; permettez à l'autre d'emplir sa propre corbeille de ce partage unique, et lorsque rentrant chez vous, vous sentirez votre joie telle un éclat de lumière se manifestant dans votre joie d'emporter dans le sommeil le fruit de ce geste, vous vous sentirez léger comme la respiration que vous aurez libérée, malgré le masque.
Namasté
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