En passant par la Lorraine avec vos sabots, Claudine ne vous a rien dit, Madame, quand prenant votre bras âgé de quatre vingt huit années, quand épousant vos pas arpégés, malgré votre grand âge, grande Dame, par tant de tracas retirés et vos oriflammes au vent, tant de mémoire habillée et ravivée, elle vous vit de lys vêtue aux pas johanniques, d'amour et de silence, d'airain et d'or, l'armure flamboyante sur le soleil que de bleu azur vous fîtes, avec elle, Liberté.
Votre main en la main de Jeanne, avec l'archange Michaël pour étendard et son épée sculptée, vous pleurâtes le cœur tout égratigné de la hauteur de votre mémoire que Claudine vous doit d'admiration, le cœur lourd, son pas chancelant pour tout aveu des oublis de l'histoire. Vous l'avez portée de si nombreuses fois qu'encore le rayon de votre armure bleue la ceint d'émotions à votre joie de la revoir, ensemble, ensemble !
Oubliera-t-elle votre regard de vieille dame vers le ciel levé quand votre amour pour votre France que votre jeune âge a, sans transiger, conquis de résistance à l'appel de juin ; vous, fille de souvenance à Jeanne que vous portez en votre humble cœur, au prénom glorieux que vous portez avec élégance et bienséance, qui est le votre, Madame. Sa mère ! Claudine, votre fille.
Quand de Domrémy, vous la portâtes jusqu'aux hanches arrondies du fleuve qui vous vit naître, de votre Meuse couvrant vos flancs magnifiques qui lui ont donnée naissance telle un coup de canon la portant de la Meuse à l'Allier puis Orléans assise sur sa Loire, elle ne vous a pas dit, Madame, tout l'amour qu'elle vous porte, pour vous susurrer, enfin, son indélébile devoir, à vous éclatant ! Pourtant de vos bras enlacés, de vos mains jointes, quant à Chenu, vous la fîtes votre amie plus que votre fille, Claudine vous a frôlé de rayons que la vie donne de tous les pardons quand vie s'achève parce que vous êtes belle, Madame.
À Jeanne et à Charles, vous avez voué votre vie de mémoire en termes d'honneur et de liberté acquise. Mais qu'est-ce que la guerre quand elle prive les hommes de la liberté d'être et de penser ? Vous n'étiez pas de cette race des gens qui s'endorment sur la paresse des idées qui ne peuvent plus rien pour les autres ! Non ! Vous étiez de ces actes qui endommagent le mal pour le bien restauré en pleine lumière.
Claudine cria : « Oh ! non ! Ne partez pas encore Madame ! J'ai encore besoin de vous. La Meuse encore se languit de votre présence, et moi avec elle, bien que mon bras vous portât, davantage par amour que par faiblesse. »
Vous avez dit, Madame, vouloir encore vous battre pour France.Vous avez pris l'épée de Jeanne et de vos neuf décennies, vos larmes ont ému votre fille pour ne plus pouvoir rien faire. Et vous avez dit : « Je peux encore courir la campagne ! » et vous avez raconté votre combat.Vous avez couru la Lorraine, Claudine avec vous, les pieds endoloris, pour enfin vous poser sur une pierre que la Meuse remit à votre joie dans l'herbe mouillée que les berges aiment de gratitude pour votre fidélité. Vous avez regardé les brebis paître le pâturage lorrain sous les arbres séculaires que Jeanne connut assurément. C'était semblable à une étoile venue vous aimer pour vous sceller dans l'éternité.
Vous avez cueilli un chardon avec deux pierres pour gants sur vos doigts afin de n'être pas blessée et lui avez montré comment faire, prouvant par là que votre fille avait encore tant à apprendre de vous. Un simple chardon pourpre, symbole de l’Écosse aux cent templiers expatriés venus aider Jeanne et symbole de la Lorraine en mémoire !
Vous lui avez montré le Mouzon coulant indifférent vers les marronniers, là, où votre humble demeure, de vous, se languit.Vous lui avez montré la cour où vous participâtes à la fin de la grande guerre, la Gaule en amie pour la croix de Lorraine que vous adorez. Là, vous avez salué la croix, la larme à nouveau jaillissante, et Claudine n'a pas supporté votre mémoire, ni vos larmes retenues par dignité des affres que le temps endure et que le temps oublie, la faisant pourtant béquille à votre bras.
Vous vous êtes assises à une terrasse, vous, souhaitant entrer en le bar qui fit travailler votre sœur, lorsqu'elle fut réquisitionnée, et vous lui dites : « Rien n'a changé, l'endroit est le même ! ». Vous avez tenu à y manger parce que du haut de son ciel, votre sœur voulait encore vous donner un baiser. Vous avez beaucoup ri, souri et aussi pleuré, car votre fille n'a jamais su dés-emboîter ses larmes des vôtres. Oh ! que de soutenance dans l'adversité ! avez-vous dit.
En passant par la Lorraine avec vos gros sabots... je veux m'arrêter sur votre acte austère, Madame, que vous avez conté mille fois parce que ce fut, pour vous l'acte héroïque le plus puissant qu'une enfant puisse faire. Vous aviez quatorze ans quand vous posâtes cette action, Madame !
Les nazis, Madame, vinrent aussi pour vous. Vous réquisitionner ! Vous étiez en classe lorsque dans votre école, l'un d'eux vint vous chercher avec une de vos bonnes copines. C'est le hasard qui vous pointa du doigt ! Savait-il le hasard ce qu'il faisait ? Sans nul doute ! Le hasard s'appelle bonne fortune quand il s'appelle destin ! La libération arrivait, mais encore sous le joug de la barbarie, les lorrains souffraient de leur présence et de leurs actes sans nom.
Vous ! Vous écoutiez sans relâche la tsf pour décrypter les messages de la résistance installée à Londres. La voix du Général vous était comme une berceuse familière qui ne donnait plus l'espoir, mais qui vous donna la certitude d'être une fidèle alliée. L'écouter était une gageure difficile, car déjà les radars tentaient de dépister les actions derrière les murs, et, qui était surpris était estimé terroriste contre le régime de la dictature nazie.
Oh ! non pas que vous rejoignîtes un quelconque réseau résistant, vous étiez simplement libre en votre âme, agissant en votre seul nom. Vous n'aviez que Jeanne d'Arc en souvenir au cœur, et elle valait bien, selon vous, que vous l'honoriez de votre mémoire lorraine.
Jeanne ? Bannière flamboyante de tout Lorrain ! C'était ainsi et vous l'avez priée d'arrache-mémoire héroïque.
La tyrannie ? Ce n'était pas pour vous, Madame ! Vous aviez vu tant de personnes juives partir « vous ne saviez où » que vous en étiez profondément blessée. Vous avez montré les maisons dans lesquelles, de votre quartier, les uns et les autres s'en étaient allés pour une destination inconnue, arrachés par les sanglots des enfants et des mères. « Plus jamais ça ! » avez-vous dit, répété jusqu'à l'usure de vos mots !
Claudine vous supplia : « Montrez-moi la cour de l'école dont vous m'avez parlé mille fois ! Je veux voir où vous, Madame, avez brisé, sans peur, la chaîne de la honte. » Lorsque Claudine vit votre cour dans cette école demeurée école, elle fut réduite à une poussière de silence, telle une cendre de ce brasier qui sentait encore la poudre dans vos narines. Ainsi, c'était là ! Elle pouvait enfin mettre une image sur votre acte et votre jeunesse. Je ne dirais pas que ce lui fut facile de vous imaginer, car ce n'était plus vous imaginer en votre acte, mais bien vous voir au passé. Voir une enfant aux cheveux noirs jais en cette cour, habillée de pauvreté extrême, la maigreur en témoignage, la fit très soudainement être votre conscience de ce que vous vécûtes en ce lieu. C'est davantage cela que votre fille n'oubliera pas de vous.... vous voir en cette cour, propulsée en votre temps ! Elle vous a, alors, mieux comprise.
Votre fille est restée debout, devant la grille, fixant de sa vue transportée à une époque qui n'était pas la sienne, vos pas, votre courage, votre absence de peur et elle vous a regardée. Elle a alors, réellement, vu la haine sur leurs visages, la peur d'une époque, et elle a failli ne pas pouvoir se remettre de cette horreur.
Réquisitionnée ! Mais que vous avait-on demandé pour être obligée de venir en cet endroit qui n'était pas votre école ? Vous deviez faire le ménage dans la Kommandantur. C'était aussi bête que cela ! Faire le ménage ! Mettre de l'ordre ! Oh ! Ils ignoraient de quelle trempe vous étiez ! Vous avaient-ils demandé, à vous - à vous ! de mettre de l'ordre , ignorants que l'ordre que vous alliez y mettre serait la fin de la barbarie en votre ville, qu'ils ignoraient de quel ordre vous les gratifieriez ?
Ils vous conduisirent avec Monique, votre meilleure amie, dans une grande pièce dans laquelle étaient les habits de l'armée allemande, les bottes ferrées, les casques aux visières obligeant la tête droite, les redingotes kakies !
Vous deviez tout plier et emplir des grands sacs de leurs effets pour leur futur départ. Ils avaient reçu l'ordre de quitter les lieux pour rejoindre, vous ne sûtes quelle garnison en faction. Le littoral normand, sûrement !
Ils vinrent, vous vociférant à toutes deux un : « schnell arbeit ! » qui résonne encore en vos oreilles. Puis, ils vous laissèrent, toutes deux, travailler. Pensèrent-ils qu'à presque quatorze ans, on peut vouloir la fin d'une dictature ? Ils n'y avaient pas songé une seconde !
Vous fouillâtes au-delà du vestimentaire et trouvâtes des balles par centaines ! C'est alors que vous prîtes le commandement, intimant l'ordre à votre bonne copine, Monique, terrifiée et cependant rassurée par votre ténacité, votre témérité, votre assurance, votre volonté de liberté au nom de Jeanne brandie telle une épée rutilante sous le soleil, toute votre volonté d'en finir avec le chaos de votre Lorraine si chérie, pour l'Humanité en paix.
Monique entendit de votre bouche rieuse, cependant laconique, un « schnell arbeit ! » en dérision de l'autre commandement barbare.
Les SS ne vinrent pas voir comment vous rangeâtes leur kommandantur. Vous jetiez parfois un œil par la fenêtre, par la porte aussi, pour voir si un danger vous anéantirait et vous vîtes qu'ils étaient affairés dans la cour de l'école : ils allumaient un feu devenu brasier, au centre de la petite cour cernée de bâtiments de classes. Vous ignoriez pourquoi ce brasier, mais les voyant si prompts à allumer ce feu, vous pensâtes que l'aubaine était là ! Ils brûlaient tout et rien.
Votre bonne copine ne sut quoi dire. Elle exécuta votre ordre pour la Liberté sous le commandement tacite de la Lorraine de Jeanne d'Arc.
« Macht schnell ! Fourre toutes les poches des redingotes de toutes les balles que tu trouves et plie tout en sacs ! Fais ce qu'ils ont dit et surtout, fais ce que je te dis ! ». Monique était transie de peur mais fit ce que vous lui ordonnâtes. Bientôt, ce fut des dizaines de manteaux kakis qui furent alourdis de munitions et mis en sacs. Quand vous eûtes achevé votre mission, vous allâtes sans peur au-devant du soldat qui surveillait le feu au milieu de la cour. Vous vîtes qu'il brûlait vêtements et autres effets. Vous lui dîtes: « Pouvons-nous partir, nous avons fini de mettre de l'ordre. » Le SS vous répondit : « Pas encore ! apportez-moi tous les sacs que vous avez emplis ! »
Cela avait des airs de liberté pour vous que jamais vous n'oubliâtes. Jamais ! Vous saviez la libération en marche tout en ignorant si le débarquement avait commencé. Mais vous alliez prendre, là, à cet instant, le risque qui vaudrait votre vie si vous étiez prise, mais n'en aviez cure. Vous étiez de cette jeunesse qu'était la « Rose blanche » française bien que ce mouvement n'existât pas en France. Vous allâtes avec votre bonne copine chercher les dizaines de sacs bourrés de redingotes comme il vous l'avait demandées et de munitions que -vous- aviez décidées. Vous les déposâtes à leurs pieds comme ils vous en avaient intimé l'ordre. Quand il n'en resta plus un seul à déposer, l'un d'eux vous commanda de quitter la cour, ponctuant d'un « Pourquoi sont-ils si lourds, tous ces sacs ? Il faut fouiller ces sacs, dit un soldat allemand, avant de laisser partir ces filles !
- Pas le temps ! répondit son acolyte armé. Il faut exécuter les ordres ! Tout brûler avant que les américains n'arrivent ! Ce ne sont que des gamines ! »
Il n'eut pas le temps d'achever ce qu'il voulait dire car les sacs épousaient déjà le brasier allumé.
« Pas le temps ! Ce ne sont que des vêtements ! Brûle ! »
« Maintenant, tu cours le plus vite que tu peux ! » dites-vous à votre amie. Vous courûtes à perdre le souffle quand vous entendirent pétarader dans le brasier au milieu de la cour. Vous vous arrêtèrent, l'inspiration courte, prîtes le temps de regarder le feu d'artifice tout en entendant hurler la colère et la haine, votre sourire aux lèvres. Plus une seule munition dans l'école ! Les balles explosaient une à une dans le grand brasier.
C'est vers la rivière du Mouzon des marronniers que vous courûtes toutes deux, fortes d'apprendre au passage que les américains étaient proches de votre ville, en attente d'ordres sur votre Meuse. Vous entendiez hurler. Vous ne sûtes jamais s'ils avaient hurlé de colère comme des soldats nazis pouvaient hurler, ou de blessures ? Votre mère blanchissait les draps au lavoir pendant que vous repreniez votre vie, l'air de rien, devant le fourneau de la grande pièce à vivre, rue Gohier, guettant chaque bruit, chaque pas de botte qui pouvait venir vous interpeller. Vous aviez peur de cette peur que l'on ne ressent qu'après avoir commis un acte, lequel acte était, pour vous justifié. N'aviez-vous pas vu votre père et votre frère Marius conduits sur la place Jeanne d'Arc pour y être fusillés jusqu'à ce qu'un avion américain survole la ville pour les en dissuader, car eux aussi, pour la première fois depuis le début de la grande guerre, avaient peur ! Peur de perdre leur vie ! Eux qui n'avaient jamais craint de supprimer des vies par millions.
Combien de fois avez-vous raconté ensuite l'arrivée de l'armée de Patton, traversant votre ville que votre fille ne peux plus l'estimer.
Vous dites encore à Claudine :« Pour toutes les épluchures de patates que j'ai mangées, pour tous les tickets de rationnement qui nous ont fait crever de faim, pour les « lessiveuses » du marché noir, pour le pain unique à la semaine que nous mangions à huit à table, pour les enfants juifs partis en sanglots et leurs mères séparées, pour la milice qui a vendu nos frères, pour ma sœur réquisitionnée à laquelle, on a reproché de travailler pour eux, contre l’infamie et la haine, contre les trains de bestiaux qui nous emmenaient on ne sait où, pour mon train qui a déraillé durant l'exode, pour mon père qui tomba sous nos sept masques à gaz suspendus à son cou qui faillirent l'étrangler, pour ma mère en peine, pour le monde, pour Jeanne, pour le Général ! La Gaulle ! Patton ! Leclerc ! Je clame la liberté et m'en suis faite son actrice johannique !»
Plus tard, bien plus tard, vous lui dîtes encore : « Ma fille, j'ai fait un rêve étrange cette nuit. Un homme en armure est venu me voir. Son armure était d'or et son habit était bleu comme le ciel. J'étais terrifiée. Mais il me parlait avec douceur. Il m'a parlé longtemps, tournant autour de moi, me regardant. Je ne me souviens pas de ce qu'il m'a dit. Je me souviens seulement qu'il ne me quittait pas et que j'étais terrifiée. Je ne bougeai pas. Je l'écoutai. J'avais peur.
- Toi ? Avoir peur ! Avoir peur d'un rêve après tout ce que tu as fait dans ta jeunesse ! répondit Claudine.
- Oui, car ce rêve semblait vrai ! Il était géant. Il n'arrêtait pas de me parler et je ne saisissais aucun mot ; c'était comme une langue incompréhensible. Ce n'était pas un rêve, Claudine. Il était aussi vrai que je te vois. Ses cheveux étaient blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur la mer. Il est descendu du ciel pendant que je somnolais dans mon fauteuil.
- Laisse le rêve à sa place, ma mère ! » répondit Claudine.
Les nuits venantes, Claudine lui dit : « Ma mère, j'ai fait un rêve étrange cette nuit ! J'ai rêvé de Victor Hugo. Il était devant moi. Il m'a parlé et je n'ai rien compris à ce qu'il m'a dit. Je n'ai pas compris pourquoi Victor Hugo plutôt que votre homme armuré de bleu, aux cheveux blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur l'eau. Les rêves sont parfois si étranges.
- Laisse ton rêve à sa place ! » répondit Jeanne à sa fille.
Jeanne a soudainement crié devant sa tasse de thé saupoudré de lait en poudre, créant un petit nuage amer :
« Pourquoi les hommes ne veulent plus rien connaître de l'histoire, s'acharnant à trouver le vide pour leur seule volonté à trouver le bonheur, sommant ainsi leur conscience à s'asseoir dans le confort qui, rien, n'enseigne, enterrant pour la seconde fois les déjà-morts dans la douleur renouvelée ? Ne savent-ils pas qu'ils sont morts à eux-même quand ils ignorent ce que fut le malheur ? Ils ne le verront pas venir, car ils ne le verront pas surgir. Je veux que l'histoire revienne sur les bancs des écoles. » Elle ajouta : « J'ai vu accroché au mur du salon de ma belle-fille, le portrait d'un homme portant un casque à pointe. Je n'ai pas pu m'empêcher de pousser un oh ! de grogne. « Comment ? Vous ignorez ce qu'ont fait les « casques à pointe » en 1914 ? Si vous le saviez, ce portrait ne serait pas accroché dans votre salon ! Ils jetaient les enfants dans les puits devant le regard terrifié de leurs mères ! Est-ce cela que vous admirez ? » La jeune femme répondit à Jeanne : « Au diable l'histoire, ce n'est qu'un beau portrait ! C'est mon arrière grand-père ! » Jeanne ne fut pas invitée au mariage de ses enfants parce qu'ils étaient terrifiés à l'idée qu'elle puisse narrer ses souvenirs de guerre. La peur n'est pas toujours à la bonne place ! La mémoire non plus ! et pensa que ce portrait lui était un affront. L'avait-elle seulement dit à ses enfants ? Oui, elle le leur avait dit. S'en souvenaient-ils ?
Non loin de là, dans une autre ville de Lorraine, un petit polonais-allemand de douze ans, clamait la venue du général, malgré pierres jetées à boulets-portant en sa direction de « polack »-allemand et faisait sienne la liberté du monde, malgré l'autre douleur de sa mère à la tête rasée. Elle était polonaise, née à Leipzig en Allemagne ! Réquisitionnée également parce que née en Allemagne avait été fatal à sa belle chevelure blonde ! Les pierres n'avaient pas tuée leur volonté d'être libre en terre de France, en terre polonaise qu'avait été la Lorraine de Stanislas.
« Ne jamais être sous le joug de la tyrannie et du chantage, quelqu'il soit ! » dit-elle. Dit-il.
Il était le Roman des alexandrins qu'il aimait écrire. Il dit un jour à sa fille: « Vois-tu, les hommes ne seront jamais ce que le monde attend d'eux ! Tant que l'Europe ne se fera pas sous le drapeau des douze étoiles, ce n'est pas le fer et le charbon qu'il faut choisir, mais bien les douze étoiles cernant la tête de la Mère de l'Humanité ! Le monde n'a pas compris que du fer et du charbon, nous allions vers la noirceur du monde alors que sous les étoiles, c'est le soleil qui aurait brillé contre la tyrannie ! Je t'en conjure, du haut de tes sept ans, fais tienne la liberté ! Là, où tu verras un oiseau blessé, prends la peine de lui faire digne tombe si nul ne peut le sauver et cueille la peine, là, où tu la verras. D'une épine, il y a toujours une rose au bout de sa tige quand bien même elle te griffe. Il n'y a pas d'Europe sans nations fraternelles, et cependant, cultive toujours ton identité. Sois polonaise ! Sois allemande ! Sois française ! Sois le monde si tu le peux ! Tu le pourras !»
Depuis, Roman, Jeanne et leur fille ont uni leurs voix, outre tombe, de Chateaubriand à Hugo et Goethe : « Je veille sur toi. »
Ainsi s'achève la mémoire du temps et Claudine vous a promis qu'elle ferait de vous, Madame, une centenaire, pour que vous puissiez dire, encore et encore la Meuse qui court en votre cœur, la Meuse sans frontière que vous dîtes n'avoir été que de vous, que vôtre !
Si je joins mes yeux aux vôtres, c'est pour la liberté dont vous fûtes l'actrice en plein jour lors d'un grand brasier contre la tyrannie. Faut-il du courage pour, à quatorze ans, défier le mal et le regarder, ensuite, fuir par ses propres actes, luttant contre lui, comme vous l'avez fait. C'était rue Jules Ferry à Neufchâteau dans vos Vosges pour votre Lorraine. Oui, vous avez mérité, Madame, le salut du Général quand passant dans votre rue Gohier, vous étiez là, et votre futur époux, que vous ne connaissiez pas encore, l'applaudissait, recevant au visage les pierres de la haine parce que Polonais-Allemand.
Claudine baissa la tête. Pleurait-elle ? Puis levant son regard vers les nuages poudrés de bleus et de roses, elle leur dit : « N'oubliez jamais qui vous portât, le ventre lourd, car rien du temps ne refera ce qui aura manqué lorsque le temps arrache la présence terrestre de l'amour incarné que peut-être nous n'avons pas vu ! Il se cueille des brassées de fleurs à chaque pas soutenu, des gerbes d'étoiles offertes au soleil témoin des liesses et des actes engrangés. »
Les nuages émus de leurs ventres ronds entonnèrent « L'Ode à la joie » de Friedrich von Schiller et de Ludwig van Beethoven que le monde n'a pas encore pris sur lui, pour lui, en lui, et que Jeanne chantait avec Claudine pour la beauté des nuages dans le ciel de l'homme armuré de bleu, aux cheveux blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur la mer.
N'oubliez jamais qui vous portât, le ventre lourd, car rien du temps ne refera ce qui aura manqué lorsque le temps arrache la présence terrestre de l'amour incarné que peut-être, nous n'avons pas pleinement vu !
Il se cueille des brassées de fleurs à chaque pas soutenu, des gerbes d'étoiles offertes au soleil témoin des liesses et des actes engrangés.
C'est un chat , que dis-je ? Une chatte ! Elle a pour nom Ibiza de l'Empire Ottoman, angora turc.
Belle car d'un blanc immaculé. Elle vient à mon bureau et là, s'assied, voulant m'apitoyer de longs miaulements languissants, son regard planté dans le mien.
Je la regarde, ponctuant d'un claquement de lèvres, un baiser que je dépose sur son nez humide. Elle semble contente et semble penser qu'enfin j'ai compris ce qu'elle veut, il est vrai, et désespère de me voir, finalement, immobile à son souhait !
Quant à un saut hasardé de mon pupitre à la petite table posée devant ma fenêtre où autres chats se reposent, semble-t-il ! cependant réellement à l'affût de tout ce qui bouge, disons mieux, vole, ils attendent patiemment mon geste d'ouverture à leur volonté téméraire et patientent, tout en me pensant bien ingrate de ne pas concéder, d'un iota, une tolérance à leur patience légendaire !
« Ciel ! Un poète en cette maison ! » me raconte-t-elle, « Quand bougeras-tu de cette satanée table pour accéder à mon désir ? Ouvre cette fenêtre !" Implore-t-elle en vérité.
C'est donc harcelée que je suis de sa témérité sans faille. J'ai beau lui rappeler que le harcèlement est contraire à la bienséance et à la loi, elle n'en fait cure car pas de loi humaine pour mœurs animales ! Elle me maudirait presque et revient sans surmenage à la charge, persuadée que je vais, un jour, céder.
Que nenni ! Point de faiblesse à mon sang-froid car il en faut face à une volonté de chatte sans fêlure !
« Tu n'écriras pas aujourd'hui ! J'ai décidé de t'embêter ( c'est bien là le mot juste embêter ! ) et puisque tu ne veux pas comprendre ce que mon roucoulement de miaulement signifie, je vais te le montrer très clairement ! » . Elle se met alors à claquer des dents, les mâchoires si alertes, qu'elle décide aussitôt de me montrer le fond de sa gorge en mal d'un festin, comme si je n'avais pas compris, parce que je serai, selon elle, follement stupide, doublée d'une naïveté qu'un individu humain ne peut pas comprendre.
Elle tente de me rappeler que moi aussi, parfois, j'ai un poulet au four et que n'en réclamant pas tant, elle se contenterait volontiers d'une simple hirondelle, plus adaptée en taille à son palais ébloui !
« Qu'as-tu à aimer ces oiseaux fous qui n'ont de cesse de me narguer à ta fenêtre, esquivant moult pas d'ailes dans un ballet qui me titille la vue ? » ajoute-t-elle. Ibiza se fâche, balaie le bureau d'un coup de queue puis se relève pour entamer une longue procession sur mon clavier, et finalement s'y asseoir ! « Je te l'ai très clairement indiqué, j'ai faim ! Je t'assure d'ores-et-déjà que, nenni ! tu n'écriras pas aujourd'hui ! Foi de chat à la volonté tenace ! Vois Cyrano se languir devant la fenêtre ! Tu nous offres à chacun un de ces volatiles et je te promets que je te dégage de tout fâcheux nettoyage de tes belles vitres ! Écoute ! quatre nids ! Deux pour chacun de nous et hop, l'histoire est close ! »
J'ai beau lui répondre que mes oiseaux sont de pareille importance à ses vibrisses dansantes qu'Ibiza s'agace davantage. « Voulez-vous récupérer vos écrits ? » m'incrimine mon logiciel d'écriture, un peu lassé de toujours revenir sur ce qui pourrait être définitivement perdu, prouvant par là que chats ont un pouvoir de décision supérieur au mien ! D'un coup de semelle de velours, madame éteint mon engin définitivement ! Et à moi de découvrir, chaque jour, qu'elle a une connaissance du clavier qui m'épate ! Ah ! c'est peut-être elle qui a éliminé ma série sur les "discours entre la Conscience et le Soi" !
« Fais gaffe, Ibiza ! lui dis-je, car cette fois, j'écris à ton propos ! » et ne voulant pas laisser de trace de semelles blanchies par une vie bien ordonnée de chat heureux, elle bondit hors du pupitre et invite son ami Cyrano à faire de même, tout en les laissant chacun marteler mon clavier de leurs gentilles pattes que je commence à regarder avec indignation.
« Ouh ouh Colette ! au-secours ! Cette humaine préfère les plumes d'oiseaux à nos griffes qui lacèrent son bureau ! Le monde n'est plus ce qu'il était ! » miaulent-ils, tous en cœur, faisant de leur bouche un joli cul-de-poule qui me chavire sans céder, avant d'aller enfin se poser, devinez où ! sur le bel édredon rose en plumettes et duvet qui adoucit mes nuits !
Ibiza de l'empire Ottoman, Angora Turc
Pendant ce temps béni, hirondelles continuent leur danse inlassablement, laissant sur le rebord de la fenêtre, duvet et plumettes, au cas où j'aurais besoin de refaire rapidement ma literie.
Êtes-vous assurés, nobles chats que votre pouvoir de décision est supérieur au mien ?
Non mais ! Empoisonner ainsi mes minutes littéraires n'est pas de dignité à la culture qui de graines voudraient tenter de plaire au lecteur !
Ciel ! hirondelles se chamaillent près du nid, faisant voler moult plumes noires et blanches et tombent dans mes fleurs sur la margelle de la fenêtre. J'ouvre, prenant bien garde à ce qu'Ibiza et Cyrano ne s'approchent pas, et sépare les hirondelles en conflit pour une place dans le nid. Petites hirondelles devenues grandes claquent du bec à leur tour, se donnent des coups de bouche, et chats regardent, ravis, cette histoire d'oiseaux qui aimeraient bien rassembler leurs ailes en une vaste volée de couleurs émotionnelles.