Béatrice Lukomski-Joly


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L'orgeuil m'insupporte... aussi je le trace, le file, l'épie, le juge...

Il est le père de tous les défauts, la mère de toutes les erreurs, le fils des comportements, la fille des illusions.

Lumière et ténèbres

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

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763 pages reprenant toutes les catégories citées.

Amitiés Béatrice

 

 

Une naissance coiffée...

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Photo personnelle non libre de droit

 

C'était un après-midi de novembre 1957, un samedi que coiffait le soleil. La journée était froide affichant moins trois degrés sur le baromètre.

L'année avait été tourmentée : tempête, rafales, inondations, éboulements, coulées de boue, avaient eu lieu en cette année au climat colérique. La France pleurait ses paysages dévastés. Le peuple réparait les dégâts occasionnés par le temps allergique à son année, pour revoir le désordre venir, et ainsi, inlassablement, réparer les structures éboulées. En février, la surprise des températures estivales avait charmé la France, non habituée à avoir un été en février, et février avait ensuite déclenché, dans la région d'Auvergne, sa première tempête, avant d'abîmer la France.  L'Auvergne !

Beaucoup d'évènements eurent lieu en cette année, la création de l'Europe, et surtout ce qui semblera le moins important, le fait le plus mineur, de ceux qui ne s'inscrivent pas dans les journaux, celui de la création d'un timbre avec son portrait imaginé, celui de Sire Jean de Joinville, que l'on pouvait penser qu'il était l'authentique portrait du sire de Joinville.

 

 

Une mère, en février, allait puiser au seau son eau avant d'apprendre qu'elle attendait son second enfant. Toute heureuse d'attendre, elle était envahie par l'inquiétude du climat qui n'avait de cesse de s'agiter tout à l'entour, poussant ses vents jusqu'à plus de cent-soixante kilomètres heures, roulant dans son jardin seaux et outils au point de labourer le jardin bien avant l'heure. Le père était content ; la terre serait bonne cet été, déjà travaillée, bien meuble, bien arrosée, les légumes seraient beaux ; il pourrait nourrir son épouse enceinte et sa première née. Le printemps ne lui permit pas de planter, car mai fut aussi froid qu'un mois de décembre. Sa joie première s'était envolée et aucun légume ne pousserait. Le jardin et la cour de la maison étaient anéantis. La neige était au rendez-vous de façon si inattendue qu'il observait le ventre rond de son épouse. « Voilà un enfant qui arrive dont les colères contre l'injustice seront immenses ! » dit-il à sa femme. Elle, riait d'entendre cela. Est-ce à dire que tous les nouveaux-nés de 1957 seraient des êtres en colère contre l'injustice ? Elle en doutait, et doutait davantage pour son propre enfant qui était bien calme en son giron , une grossesse sans souci comme toute future mère rêve de vivre. Elle caressait son ventre disant à l'enfant : « Que dit ton père ? Ineptie ! » Elle reçut, alors, un coup de pied déformant sa chair qu'elle le racontait encore lors de sa vieillesse. « Quoi ? Disait-il vrai ? Sentiment de colère contre les injustices du monde ? Comment cela peut-il être ? » avait-elle pensé en silence. Lui, en philatéliste averti qu'il était, ajouta pour la taquiner davantage : " Ah ! Joinville montre son visage cette année ! C'est Joinville qui revient et fend à nouveau le trésor du Temple pour payer la rançon de Louix IX contre l'avis du Temple, des chevaliers et des Prud'hommes  ! On dirait aujourd'hui, le meilleur ami de saint Louis ! Saint Louis ? " L'enfant fit un tour complet en le giron de la mère qu'elle dut s'assoir. " Qui c'est celui-là ? " dit-elle. Le père rit et ponctua d'un " Oh ! pas grand chose en dehors de fracasser le trésor du temple pour libérer son roi ! Il écrivit un superbe Crédo. Il se dit aussi qu'il fut le premier à faire entrer dans le récit, en racontant les faits de son roi, le "je" repésentatif de la volonté individuelle."

L'année ne décoléra pas et France fut balayée par ses tempêtes et son froid pendant que l'enfant grandissait en son sein, tranquille et à peine senti, qu'elle se demandait, parfois, si il n'était pas mort en elle. Elle allait consulter. L'enfant allait bien. L'accouchement devait bien se passer ; enfin, ils l'espéraient, car la première-née était arrivée aux forceps sous anesthésie générale en urgence, ne voulant pas naître. Y a-t-il des enfants qui ne veulent pas venir au monde ? L'extraction de cette première-née avait été si laborieuse que le bébé avait été abîmé, vraiment rebelle à sa naissance. Oui ! Ce nouvel enfant arriverait dans les normes d'une naissance paisible. Tout se passerait bien.

La mère vaquait à ses occupations ménagères dès tôt le matin, regardant, parfois, par la fenêtre sa cour endommagée. Le père et elle avaient cessé de tout maintenir en état. Le ventre lourd, elle ne le pouvait plus, et son époux rentrant du travail ne s'épuisait plus à remettre de l'ordre. 1957 était difficile. Juillet offrit une canicule qu'ils n'avaient plus connue depuis des décennies, et voilà que 1957 continuait à montrer aux hommes qu'affres peuvent être terribles avec un mois d'août aux pluies torrentielles. Le jardin et ses tentatives de croître en végétaux délicieux n'avait pas survécu. La boue remplaçait haricots, pomme-de-terres, poireaux, betteraves. Rien ! Les lapins dans leurs clapiers avaient froid. Le père avait doublé le lit de paille afin que les lapereaux survivent, et les poules continuaient de gambader dans la cour, heureuses de tant de boue dans laquelle elles se roulaient , puis regagnaient  le poulailler pour se coucher dans la paille fraîche changée tous les jours. Les œufs étaient le seul aliment viable, bien gros, bien jaunes. Les villageois s'étaient entraidés devant le carnage causé par le climat et les femmes enceintes recevaient une aide alimentaire. L'épicier, même, avait reçu l'orde de donner partiellement ce qu'il pouvait et d'accorder un crédit alimentaire, pour le reste, aux familles attendant un enfant, car le ravitaillement du village était difficile. Des voisines offraient ce qu'il restait de leur marmite, de leur soupe, car  attendre un enfant est à haut risque quand les légumes ne pousseront pas dans la terre sacrifiée par sa volonté d'offrir des difficultés. Le nouveau-né allait être bien portant contre une mère épuisée par l'année qu'ils qualifiaient tous de terrible. L'enfant premier-né, au premier rayon de soleil, jouait dehors et rentrait couvert de salissures boueuses jusqu'au bain préparé d'une eau puisée, en baquet de zinc que la mère faisait chauffer dans une lessiveuse sur son fourneau à bois qu'elle alimentait lorsque son mari travaillait. Lui, prenait le relais pour qu'elle se repose, dès qu'il rentrait, s'affairant au jardin, un peu, aux poulaillers, aux clapiers, au ramassage du bois, à l'alimentation du fourneau brûlant. Le bien-être de son épouse était primordial et la voyant épuisée, il redoublait d'attention dans son propre épuisement. Il allait travailler à bicyclette, bravant le vent, la tempête, la pluie, la boue sur les chemins, les routes encore délabrées par la récente après-guerre. Ils habitaient à trente kilomètres de la grande ville où elle accoucherait. L'arrivée du bébé approchant, des amis éloignés vinrent chercher la première-née et la gardèrent deux mois pour secourir les futurs parents, heureux d'être avec cette fille qu'ils aimaient comme leur petite fille, la choyant comme un enfant a le droit d'être choyé. Elle était reine. Elle était si belle qu'on l'aurait crue sortie d'une rose blanche. Elle ne portait pas les stigmates de sa naissance difficile. Il l'avait habillée d'organdi et de nœuds en velours chatoyant bleu marine. Sa sœur ou son frère pouvait naître.

ll était midi lorsque la mère ressentit ses premières contractions. Un voisin se chargeât de faire prévenir le père au travail et s’occupât du transport vers la maternité à trente kilomètres du petit village auvergnat. Eut-elle le temps de s'allonger qu'elle sentit que l'enfant poussait fort, si fort, que rien ne ressemblait à la naissance de son autre enfant. Il faisait froid sous le soleil de l'hiver, déjà revenu, habitant pleinement son novembre, volant son décembre.

« Il arrive ! » cria la mère, ressentant une pression aussi violente que le temps dehors. L'enfant était là, sans effort de poussée. La sage-femme n'avait eu que le temps de s'asseoir pour recevoir l'enfant, sorti comme une étoile filante propulsée à la vitesse de la lumière, déchirant tout sur son passage. La mère cria terrifiée : « Mais qu'est-ce que c'est ? Ce n'est pas un enfant ! C'est un monstre ! ». La sage-femme cria en réponse : « Madame, votre enfant est né coiffé ! Votre enfant est né coiffé ! C'est si rare, quelle bénédiction pour elle et vous ! Il a le voile de la chance sur lui. Il en est recouvert, il n'a pas même percé ! Il est intact ; c'est incroyable , Madame !  Oh non ! ce n'est pas un monstre, c'est un enfant né coiffé ! »

L'enfant reposait comme dans un ballon gonflé d'eau, une vaste  bulle d'eau que l'expulsion n'avait pas rompue. La sage-femme cria encore dans la salle d'accouchement : « Docteur ! Venez vite, nous avons une naissance coiffée ! Vite ! » Le médecin arriva, prit l'enfant dans ses bras, toujours recouvert de ses poches et de son eau, et versa une larme. La mère ne comprenait pas, répétant : « J'ai fait un monstre ? Dites-moi ! ».

- Je vous ramène votre enfant, Madame, et nous allons enfin savoir si c'est une fille ou un garçon ! N'ayez crainte Madame ! »

Il perça la poche, enleva les amnios, les mit à, sécher pour ensuite les plier, dit-il,  pour les conserver.

« J'ai un enfant coiffé entre les bras ! » dit-il, émerveillé.

La sage-femme se fit verbalement molester, car elle laissa seule la jeune parturiente qui, à la vue d'une naissance exceptionnelle, risquait la plus formidable hémorragie qu'une naissance comme celle-ci pouvait engager. Elle avait, de plus, posé un drap sur les jambes de la jeune maman pour la réchauffer. Elle saignait, largement déchirée par cette propulsion incroyable. La naissance de cet enfant lui avait fait oublier les gestes les plus élémentaires de la sécurité post-natale. La mère pleura jusqu'à ce qu'on lui rapportât sa... fille qui était aussi lumineuse qu'un soleil éclairant le jour. Le premier cri s'éleva dix minutes après la naissance. D'abord, le voile, ensuite le cri ! La protection absolue dans le premier cri. Le fils attendu n'était pas au rendez-vous. Tant pis ! Le prénom de garçon choisi serait son second prénom.

- C'est donc un vrai bébé ! dit la mère toujours en larmes.

- Madame, observez bien votre enfant toute la vie ; écoutez-la quand elle sera en âge de parler. Vous avez reçu un enfant rare. Ne pleurez plus. 

La mère ne comprenait toujours pas. Elle n'osait pas poser de questions, juste soulagée que cette fille soit normale. Elle la mit au sein, mais le sein ne donnait pas de lait, tellement appauvri de tout dans cette année 1957. Seul, l'enfant avait profité et portait fièrement ses trois kilos quatre-cent-cinquante à l'heure du goûter, heure de sa naissance.

À un mois de vie, en ce mois de décembre si cataclysmique, l'enfant eut la terrible grippe, dite asiatique, peu de temps après son baptême, que 1957 enterra ses morts nombreux. L'enfant était précaire. Le médecin dit à la mère « Ayez confiance Madame, on n'enterrera pas votre fille, elle est protégée, elle est née coiffée. Elle a en elle toutes les ressources pour survivre et vivre. »

La mère ne comprenait toujours pas. Voilà que le mot coiffé revenait et qu'elle ignorait tout ce qu'il signifiait sinon qu'elle se souvenait d'une naissance gravée pour toujours en sa mémoire. Comment oublier ? Elle avait gardé ce souvenir, ainsi que le père, sans savoir à qui demander ce que cela signifiait vraiment. Pourquoi les médecins et la sage-femme avaient été aussi heureux de tenir leur fille dans leurs bras ? Pourquoi avait-il dit : « Observez et écoutez la bien ! » ?  Tout était obscur.

La petite fille grandissait sage, loin d'un comportement colérique que le père avait prédit. Lorsqu'elle sut parler, elle parlait en sagesse, reprenant les adultes aux paroles amères. Les parents écarquillaient les yeux, se taisant, abasourdis. Parfois, lui répondant. Jusqu'au jour où de la hauteur de ses deux ans, alors que sa mère la sermonna sur ce qu'elle pensait être un caprice d'enfant, elle lui dit : « Arrête tes enfantillages ! Cesse ça tout de suite ! » La petite fille ne voulait plus être prise pour un bébé et  lui répondit dans un français parfait, montant sur le lit pour être à la hauteur du visage de sa mère : «  Ce ne sont pas des enfantillages, maman ! Je suis plus vieille que toi, le sais-tu ? Tu fais ce que je te dis. Tu ne me parles pas comme on parle à un bébé ! Oui, je suis plus vieille que toi.» Et pendant le temps de son enfance, faisait partout le bien dans ce qu'elle percevait d'injuste pour consoler.

La mère avait plié. Le père avait ri aux éclats, fier, si fier de sa fille, ce petit bout de chou d'à peine deux ans et demi. Comment cela pouvait-il être possible ? Ils commençaient à comprendre : «  Observez la, écoutez la ! » mais ne comprenaient toujours pas ce qu'était cette coiffe que les médecins et la sage-femme avaient adulée, honorée, le jour de la naissance.

Le temps s'était écoulé et l'enfant passait son temps à cueillir des fleurs, disant que les fleurs étaient une des plus belles créations de la nature, parmi tant d'autres paroles. « Les fleurs sont des êtres vivants, disait-elle, il faut les écouter chanter. Il faut les cueillir, car elles chantent quand on les cueuille, Je l'entends.». La mère la regardait étonnée, persuadée que sa fille n'allait pas bien, jusqu'à ce que l'enfant lui dise : «  Maman, tu devrais aller à tel endroit, une de tes amies est malade et a besoin de toi. » et que la mère constata que l'enfant lui avait annoncé avant tout le monde la réalité de cette amie hospitalisée. La petite fille lui avait dit : « Elle est dans la chambre au fond du couloir de la clinique, au premier étage ; elle dort mais, elle t'appelle. Je l'entends. Je ne sais pas quel est son nom, mais une de tes amie a besoin de toi. Elle souffre. » La mère n'avait pas cru sa fille, et n'avait appris qu'en rencontrant cette amie des mois après, la récente intervention chirurgicale en urgence. « Oh ! chère amie ! Je n'avais aucun moyen, de vous prévenir. Vous ne pouviez pas savoir le pourquoi de mon silence et de mon absence. » La petite fille de deux ans et demi sourit en coin, regardant sa mère d'un regard qui pour la première fois toisait la dictature de la pensée qui ne veut rien croire si rien n'est vérifié. C'était son chagrin et sa première colère. «  Je te l'ai dit ! Tu ne m'as pas cru, pensant que j'étais quoi ? » dit-elle. La mère prit peur. Le père était enchanté. Quel enfant ! On les avait prévenus ! et pas n'importe qui ! Mais de médecins et sage-femme de ces savoirs qui se savaient encore en ces temps là.

La mère posa parfois la question : «  C'est quoi naître coiffé ? » Jusqu'au jour où elle rencontra un homme âgé, musulman, de puissante sagesse qui lui dit : «  Madame, coiffé signifie dans notre religion naître avec le voile de la Vierge. Vous savez, pour nous aussi, Marie est importante et nous savons qu'elle donne des signes et choisit ceux qui la serviront pour des actes que nous ignorons. Cela n'enlèvera pas toutes les douleurs que votre fille aura à vivre, mais elle les traversera toujours avec élégance même dans le sanglot. Nous ne disons pas « coiffé » , nous disons naître « voilé » dans notre religion. Elle a donc un voile invisible dont la naissance dans ses amnios  mouvants d'eau protectrice est le seul signe. Voilà ce que signifie naître coiffé. Comprenez-vous mieux ? Elle est bénie et vous avec, par elle, car elle vous a choisis, vous et son père, pour la recevoir. N'ayez plus peur d'elle ! Personne ne saura, ne verra ; on la prendra pour une naïve, une simplette, tout droit venue de la lune, mais elle vient du soleil.

La mère répondit - Mais ! vous ne croyez qu'en la lune ! Je n'y comprends rien ! 

- Non ! répondit-il, le soleil se lève du couchant. Son gîte est le Trône divin. Vous ne savez plus rien de tout cela.

-  Êtes-vous la vérité ? demanda-t-elle.

- Non ! Nous sommes tous la vérité, dit le vieillard.  Voyez mon épouse ! elle est chrétienne et nous vivons d'heures  harmonieuses, car  nul n'a pensé un instant que si il y a tant de divergences entre toutes les confessions, seule la Vierge nous réunit, n'aviez-vous pas remarqué ?

- Je l'ignorais ; dit la mère au vieux sage. Et le Christ ? 

-  Je ne peux pas vous en parler, je suis musulman, je ne peux que vous parler de Marie. Demandez à ma femme pour le Christ ! Cherchez ! votre fille est là. Elle aura la parole du sage, l'Amour de son voile et la colère des Dieux. 

- Colère ?

- Oui ! Colère face aux injustices venues des hommes ; elle n'épargnera pas l'injuste, pourtant souffrant comme nul ne souffrira, les jours enfilés comme autant de perles brillant au soleil. Vous verrez. Ses mots au quotidien seront : " ce n'est pas juste !" mais il vous faudra entendre  en cela, non pas une gaminerie, mais un appel à la relation juste. Il lui arrivera même de répondre à des pensées, car elle les aura entendues comme sorties de la bouche qui remue ses lèvres. Il lui faudra apprendre à être vigilante et aussi à se taire dans ce qu'elle percevra. N'avez-vous pas déjà remarqué sa différence ?

- Oh si ! répondit la mère, les yeux levés vers le ciel. Ce n'est pas facile à vivre. Elle m'a dit ... elle m'a dit qu'elle vivrait ... elle dit effectivement sans cesse "ce n'est pas juste !" nous disant ensuite ce qu'il faut faire.

- Oui, je sais ! Ne le dites pas ! C'est à vous qu'elle l'a dit pas aux autres !  Son voile la protégera ; ce que vous nommez, vous, coiffe. C'est cela que vous ont dit les personnes qui ont accueilli votre enfant le jour de sa naissance dans le cri de la joie. Oui ! ses rares colères pourront être tonitruantes pour la justice de ce monde et la vérité, et elle aura aussi la douceur et l'Amour de la Mère voilée. Qui la contrera dans la vérité, le bien et l'amour qu'elle porte, verra un évènement difficile arriver en sa vie. C'est ainsi et ne sera pas autrement. Ce ne sera pas elle qui en décidera.  Elle le sait déjà.

- Savaient-ils  cela ceux qui l'ont reçue à sa naissance, la recevant entre leurs bras ?

- Pas forcément ! répondit le vieillard. Ce que nous savons, cependant, est de tous temps ce que chacun a su et ce que signifiait naître coiffé. Cette connaissance s'est perdue. Chaque fois qu'il y a une naissance coiffée dans le monde, c'est un être particulier venant aider le monde. Ils sont très rares.»

La mère garda sa peur, car sa fille pouvait lire en elle. Elle eut deux autres enfants et ne vit aucun naître car endormie. Sur les quatre de ses enfants, elle n'avait vu que l'arrivée de cette fille. 

Le père l'adorait, la nommant souvent "mon petit philosophe !"

L'enfant, disait : " C'est par la force de la destinée que j'apporte le soleil."

Personne ne comprenait. Le Soleil était sa force en la Sophia qui la couronnait.

La mère, âgée de presque quatre-vingt-dix ans, continuait de raconter, à qui écoutait, la naissance extraordinaire de son enfant né coiffé, et aussi qu'elle n'avait, de sa vie sur quatre-vingt-dix ans, jamais vu quelqu'un aussi affublé de douleurs que les raconter ne semblerait pas crédible, tant dans les drames de vie, que les maladies accumulées. Elle disait : " Elle prend sur elle le monde et son voile rachète les destinées qui l'accablent." Demandez à la mère si le doute vous surprenait. Elle vous le dira. Et fait encore plus impensable, la mère priait sa fille comme on prie un saint, pour avoir son aide, disant : " je savais que je serai exaucée."

http://www.meteo-paris.com/chronique/annee/1957

 

 

Final de "Parsifal" de Richard Wagner

" PARSIFAL " ( Finale I ) Coro e Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino / Dir Semyon Bychkof / Maestro del coro Jose Luis Basso / Stagione 1997

 

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En passant par la Lorraine avec mes sabots, mémoires d'une vielle dame.

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

           Photos personnelles non libres de droits - 2016-

 

En passant par la Lorraine avec vos sabots, Claudine ne vous a rien dit, Madame, quand prenant votre bras âgé de quatre vingt huit années, quand épousant vos pas arpégés, malgré votre grand âge, grande Dame, par tant de tracas retirés et vos oriflammes au vent, tant de mémoire habillée et ravivée, elle vous vit de lys vêtue aux pas johanniques, d'amour et de silence, d'airain et d'or, l'armure flamboyante sur le soleil que de bleu azur vous fîtes, avec elle, Liberté.

Votre main en la main de Jeanne, avec l'archange Michaël pour étendard et son épée sculptée, vous pleurâtes le cœur tout égratigné de la hauteur de votre mémoire que Claudine vous doit d'admiration, le cœur lourd, son pas chancelant pour tout aveu des oublis de l'histoire. Vous l'avez portée de si nombreuses fois qu'encore le rayon de votre armure bleue la ceint d'émotions à votre joie de la revoir, ensemble, ensemble !

Oubliera-t-elle votre regard de vieille dame vers le ciel levé quand votre amour pour votre France que votre jeune âge a, sans transiger, conquis de résistance à l'appel de juin ; vous, fille de souvenance à Jeanne que vous portez en votre humble cœur, au prénom glorieux que vous portez avec élégance et bienséance, qui est le votre, Madame. Sa mère ! Claudine, votre fille.

Quand de Domrémy, vous la portâtes jusqu'aux hanches arrondies du fleuve qui vous vit naître, de votre Meuse couvrant vos flancs magnifiques qui lui ont donnée naissance telle un coup de canon la portant de la Meuse à l'Allier puis Orléans assise sur sa Loire, elle ne vous a pas dit, Madame, tout l'amour qu'elle vous porte, pour vous susurrer, enfin, son indélébile devoir, à vous éclatant ! Pourtant de vos bras enlacés, de vos mains jointes, quant à Chenu, vous la fîtes votre amie plus que votre fille, Claudine vous a frôlé de rayons que la vie donne de tous les pardons quand vie s'achève parce que vous êtes belle, Madame.

À Jeanne et à Charles, vous avez voué votre vie de mémoire en termes d'honneur et de liberté acquise. Mais qu'est-ce que la guerre quand elle prive les hommes de la liberté d'être et de penser ? Vous n'étiez pas de cette race des gens qui s'endorment sur la paresse des idées qui ne peuvent plus rien pour les autres ! Non ! Vous étiez de ces actes qui endommagent le mal pour le bien restauré en pleine lumière.

Claudine cria : « Oh ! non ! Ne partez pas encore Madame ! J'ai encore besoin de vous. La Meuse encore se languit de votre présence, et moi avec elle, bien que mon bras vous portât, davantage par amour que par faiblesse. »

Vous avez dit, Madame, vouloir encore vous battre pour France.Vous avez pris l'épée de Jeanne et de vos neuf décennies, vos larmes ont ému votre fille pour ne plus pouvoir rien faire. Et vous avez dit : « Je peux encore courir la campagne ! » et vous avez raconté votre combat.Vous avez couru la Lorraine, Claudine avec vous, les pieds endoloris, pour enfin vous poser sur une pierre que la Meuse remit à votre joie dans l'herbe mouillée que les berges aiment de gratitude pour votre fidélité. Vous avez regardé les brebis paître le pâturage lorrain sous les arbres séculaires que Jeanne connut assurément. C'était semblable à une étoile venue vous aimer pour vous sceller dans l'éternité.

Vous avez cueilli un chardon avec deux pierres pour gants sur vos doigts afin de n'être pas blessée et lui avez montré comment faire, prouvant par là que votre fille avait encore tant à apprendre de vous. Un simple chardon pourpre, symbole de l’Écosse aux cent templiers expatriés venus aider Jeanne et symbole de la Lorraine en mémoire !

Vous lui avez montré le Mouzon coulant indifférent vers les marronniers, là, où votre humble demeure, de vous, se languit.Vous lui avez montré la cour où vous participâtes à la fin de la grande guerre, la Gaule en amie pour la croix de Lorraine que vous adorez. Là, vous avez salué la croix, la larme à nouveau jaillissante, et Claudine n'a pas supporté votre mémoire, ni vos larmes retenues par dignité des affres que le temps endure et que le temps oublie, la faisant pourtant béquille à votre bras.

Vous vous êtes assises à une terrasse, vous, souhaitant entrer en le bar qui fit travailler votre sœur, lorsqu'elle fut réquisitionnée, et vous lui dites : «  Rien n'a changé, l'endroit est le même ! ». Vous avez tenu à y manger parce que du haut de son ciel, votre sœur voulait encore vous donner un baiser. Vous avez beaucoup ri, souri et aussi pleuré, car votre fille n'a jamais su dés-emboîter ses larmes des vôtres. Oh ! que de soutenance dans l'adversité ! avez-vous dit.

En passant par la Lorraine avec vos gros sabots... je veux m'arrêter sur votre acte austère, Madame, que vous avez conté mille fois parce que ce fut, pour vous l'acte héroïque le plus puissant qu'une enfant puisse faire. Vous aviez quatorze ans quand vous posâtes cette action, Madame !

Les nazis, Madame, vinrent aussi pour vous. Vous réquisitionner ! Vous étiez en classe lorsque dans votre école, l'un d'eux vint vous chercher avec une de vos bonnes copines. C'est le hasard qui vous pointa du doigt ! Savait-il le hasard ce qu'il faisait ? Sans nul doute ! Le hasard s'appelle bonne fortune quand il s'appelle destin ! La libération arrivait, mais encore sous le joug de la barbarie, les lorrains souffraient de leur présence et de leurs actes sans nom.

Vous ! Vous écoutiez sans relâche la tsf pour décrypter les messages de la résistance installée à Londres. La voix du Général vous était comme une berceuse familière qui ne donnait plus l'espoir, mais qui vous donna la certitude d'être une fidèle alliée. L'écouter était une gageure difficile, car déjà les radars tentaient de dépister les actions derrière les murs, et, qui était surpris était estimé terroriste contre le régime de la dictature nazie.

Oh ! non pas que vous rejoignîtes un quelconque réseau résistant, vous étiez simplement libre en votre âme, agissant en votre seul nom. Vous n'aviez que Jeanne d'Arc en souvenir au cœur, et elle valait bien, selon vous, que vous l'honoriez de votre mémoire lorraine.

Jeanne ? Bannière flamboyante de tout Lorrain ! C'était ainsi et vous l'avez priée d'arrache-mémoire héroïque.

La tyrannie ? Ce n'était pas pour vous, Madame ! Vous aviez vu tant de personnes juives partir « vous ne saviez où » que vous en étiez profondément blessée. Vous avez montré les maisons dans lesquelles, de votre quartier, les uns et les autres s'en étaient allés pour une destination inconnue, arrachés par les sanglots des enfants et des mères. « Plus jamais ça ! » avez-vous dit, répété jusqu'à l'usure de vos mots !

Claudine vous supplia : «  Montrez-moi la cour de l'école dont vous m'avez parlé mille fois ! Je veux voir où vous, Madame, avez brisé, sans peur, la chaîne de la honte. » Lorsque Claudine vit votre cour dans cette école demeurée école, elle fut réduite à une poussière de silence, telle une cendre de ce brasier qui sentait encore la poudre dans vos narines. Ainsi, c'était là ! Elle pouvait enfin mettre une image sur votre acte et votre jeunesse. Je ne dirais pas que ce lui fut facile de vous imaginer, car ce n'était plus vous imaginer en votre acte, mais bien vous voir au passé. Voir une enfant aux cheveux noirs jais en cette cour, habillée de pauvreté extrême, la maigreur en témoignage, la fit très soudainement être votre conscience de ce que vous vécûtes en ce lieu. C'est davantage cela que votre fille n'oubliera pas de vous.... vous voir en cette cour, propulsée en votre temps ! Elle vous a, alors, mieux comprise.

Votre fille est restée debout, devant la grille, fixant de sa vue transportée à une époque qui n'était pas la sienne, vos pas, votre courage, votre absence de peur et elle vous a regardée. Elle a alors, réellement, vu la haine sur leurs visages, la peur d'une époque, et elle a failli ne pas pouvoir se remettre de cette horreur.

Réquisitionnée ! Mais que vous avait-on demandé pour être obligée de venir en cet endroit qui n'était pas votre école ? Vous deviez faire le ménage dans la Kommandantur. C'était aussi bête que cela ! Faire le ménage ! Mettre de l'ordre ! Oh ! Ils ignoraient de quelle trempe vous étiez ! Vous avaient-ils demandé, à vous - à vous ! de mettre de l'ordre , ignorants que l'ordre que vous alliez y mettre serait la fin de la barbarie en votre ville, qu'ils ignoraient de quel ordre vous les gratifieriez ?

Ils vous conduisirent avec Monique, votre meilleure amie, dans une grande pièce dans laquelle étaient les habits de l'armée allemande, les bottes ferrées, les casques aux visières obligeant la tête droite, les redingotes kakies !

Vous deviez tout plier et emplir des grands sacs de leurs effets pour leur futur départ. Ils avaient reçu l'ordre de quitter les lieux pour rejoindre, vous ne sûtes quelle garnison en faction. Le littoral normand, sûrement !

Ils vinrent, vous vociférant à toutes deux un : «  schnell arbeit ! » qui résonne encore en vos oreilles. Puis, ils vous laissèrent, toutes deux, travailler. Pensèrent-ils qu'à presque quatorze ans, on peut vouloir la fin d'une dictature ? Ils n'y avaient pas songé une seconde !

Vous fouillâtes au-delà du vestimentaire et trouvâtes des balles par centaines ! C'est alors que vous prîtes le commandement, intimant l'ordre à votre bonne copine, Monique, terrifiée et cependant rassurée par votre ténacité, votre témérité, votre assurance, votre volonté de liberté au nom de Jeanne brandie telle une épée rutilante sous le soleil, toute votre volonté d'en finir avec le chaos de votre Lorraine si chérie, pour l'Humanité en paix.

Monique entendit de votre bouche rieuse, cependant laconique, un «  schnell arbeit ! » en dérision de l'autre commandement barbare.

Les SS ne vinrent pas voir comment vous rangeâtes leur kommandantur. Vous jetiez parfois un œil par la fenêtre, par la porte aussi, pour voir si un danger vous anéantirait et vous vîtes qu'ils étaient affairés dans la cour de l'école : ils allumaient un feu devenu brasier, au centre de la petite cour cernée de bâtiments de classes. Vous ignoriez pourquoi ce brasier, mais les voyant si prompts à allumer ce feu, vous pensâtes que l'aubaine était là ! Ils brûlaient tout et rien.

Votre bonne copine ne sut quoi dire. Elle exécuta votre ordre pour la Liberté sous le commandement tacite de la Lorraine de Jeanne d'Arc.

« Macht schnell ! Fourre toutes les poches des redingotes de toutes les balles que tu trouves et plie tout en sacs ! Fais ce qu'ils ont dit et surtout, fais ce que je te dis ! ». Monique était transie de peur mais fit ce que vous lui ordonnâtes. Bientôt, ce fut des dizaines de manteaux kakis qui furent alourdis de munitions et mis en sacs. Quand vous eûtes achevé votre mission, vous allâtes sans peur au-devant du soldat qui surveillait le feu au milieu de la cour. Vous vîtes qu'il brûlait vêtements et autres effets. Vous lui dîtes: «  Pouvons-nous partir, nous avons fini de mettre de l'ordre. » Le SS vous répondit : «  Pas encore ! apportez-moi tous les sacs que vous avez emplis ! »

Cela avait des airs de liberté pour vous que jamais vous n'oubliâtes. Jamais ! Vous saviez la libération en marche tout en ignorant si le débarquement avait commencé. Mais vous alliez prendre, là, à cet instant, le risque qui vaudrait votre vie si vous étiez prise, mais n'en aviez cure. Vous étiez de cette jeunesse qu'était la « Rose blanche » française bien que ce mouvement n'existât pas en France. Vous allâtes avec votre bonne copine chercher les dizaines de sacs bourrés de redingotes comme il vous l'avait demandées et de munitions que -vous- aviez décidées. Vous les déposâtes à leurs pieds comme ils vous en avaient intimé l'ordre. Quand il n'en resta plus un seul à déposer, l'un d'eux vous commanda de quitter la cour, ponctuant d'un «  Pourquoi sont-ils si lourds, tous ces sacs ? Il faut fouiller ces sacs, dit un soldat allemand, avant de  laisser partir ces filles !

- Pas le temps ! répondit son acolyte armé. Il faut exécuter les ordres ! Tout brûler avant que les américains n'arrivent ! Ce ne sont que des gamines ! »

Il n'eut pas le temps d'achever ce qu'il voulait dire car les sacs épousaient déjà le brasier allumé.

«  Pas le temps ! Ce ne sont que des vêtements ! Brûle ! »

« Maintenant, tu cours le plus vite que tu peux ! » dites-vous à votre amie. Vous courûtes à perdre le souffle quand vous entendirent pétarader dans le brasier au milieu de la cour. Vous vous arrêtèrent, l'inspiration courte, prîtes le temps de regarder le feu d'artifice tout en entendant hurler la colère et la haine, votre sourire aux lèvres. Plus une seule munition dans l'école ! Les balles explosaient une à une dans le grand brasier.

C'est vers la rivière du Mouzon des marronniers que vous courûtes toutes deux, fortes d'apprendre au passage que les américains étaient proches de votre ville, en attente d'ordres sur votre Meuse. Vous entendiez hurler. Vous ne sûtes jamais s'ils avaient hurlé de colère comme des soldats nazis pouvaient hurler, ou de blessures ? Votre mère blanchissait les draps au lavoir pendant que vous repreniez votre vie, l'air de rien, devant le fourneau de la grande pièce à vivre, rue Gohier, guettant chaque bruit, chaque pas de botte qui pouvait venir vous interpeller. Vous aviez peur de cette peur que l'on ne ressent qu'après avoir commis un acte, lequel acte était, pour vous justifié. N'aviez-vous pas vu votre père et votre  frère Marius conduits sur la place Jeanne d'Arc pour y être fusillés jusqu'à ce qu'un avion américain survole la ville pour les en dissuader, car eux aussi, pour la première fois depuis le début de la grande guerre, avaient peur ! Peur de perdre leur vie ! Eux qui n'avaient jamais craint de supprimer des vies par millions.

Combien de fois avez-vous raconté ensuite l'arrivée de l'armée de Patton, traversant votre ville que votre fille ne peux plus l'estimer.

Vous dites encore à Claudine :« Pour toutes les épluchures de patates que j'ai mangées, pour tous les tickets de rationnement qui nous ont fait crever de faim, pour les « lessiveuses » du marché noir, pour le pain unique à la semaine que nous mangions à huit à table, pour les enfants juifs partis en sanglots et leurs mères séparées, pour la milice qui a vendu nos frères, pour ma sœur réquisitionnée à laquelle, on a reproché de travailler pour eux, contre l’infamie et la haine, contre les trains de bestiaux qui nous emmenaient on ne sait où, pour mon train qui a déraillé durant l'exode, pour mon père qui tomba sous nos sept masques à gaz suspendus à son cou qui faillirent l'étrangler, pour ma mère en peine, pour le monde, pour Jeanne, pour le Général !  La Gaulle ! Patton ! Leclerc ! Je clame la liberté et m'en suis faite son actrice johannique !»

Plus tard, bien plus tard, vous lui dîtes encore : « Ma fille, j'ai fait un rêve étrange cette nuit. Un homme en armure est venu me voir. Son armure était d'or et son habit était bleu comme le ciel. J'étais terrifiée. Mais il me parlait avec douceur. Il m'a parlé longtemps, tournant autour de moi, me regardant. Je ne me souviens pas de ce qu'il m'a dit. Je me souviens seulement qu'il ne me quittait pas et que j'étais terrifiée. Je ne bougeai pas. Je l'écoutai. J'avais peur.

- Toi ? Avoir peur ! Avoir peur d'un rêve après tout ce que tu as fait dans ta jeunesse ! répondit Claudine.

- Oui, car ce rêve semblait vrai ! Il était géant. Il n'arrêtait pas de me parler et je ne saisissais aucun mot ; c'était comme une langue incompréhensible. Ce n'était pas un rêve, Claudine. Il était aussi vrai que je te vois. Ses cheveux étaient blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur la mer. Il est descendu du ciel pendant que je somnolais dans mon fauteuil.

- Laisse le rêve à sa place, ma mère ! » répondit Claudine.

Les nuits venantes, Claudine lui dit : «  Ma mère, j'ai fait un rêve étrange cette nuit ! J'ai rêvé de Victor Hugo. Il était devant moi. Il m'a parlé et je n'ai rien compris à ce qu'il m'a dit. Je n'ai pas compris pourquoi Victor Hugo plutôt que votre homme armuré de bleu, aux cheveux blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur l'eau. Les rêves sont parfois si étranges.

- Laisse ton rêve à sa place ! » répondit Jeanne à sa fille.

Jeanne a soudainement crié devant sa tasse de thé saupoudré de lait en poudre, créant un petit nuage amer :

«  Pourquoi les hommes ne veulent plus rien connaître de l'histoire, s'acharnant à trouver le vide pour leur seule volonté à trouver le bonheur, sommant ainsi leur conscience à s'asseoir dans le confort qui, rien, n'enseigne, enterrant pour la seconde fois les déjà-morts dans la douleur renouvelée ? Ne savent-ils pas qu'ils sont morts à eux-même quand ils ignorent ce que fut le malheur ? Ils ne le verront pas venir, car ils ne le verront pas surgir. Je veux que l'histoire revienne sur les bancs des écoles. » Elle ajouta : « J'ai vu accroché au mur du salon de ma belle-fille, le portrait d'un homme portant un casque à pointe. Je n'ai pas pu m'empêcher de pousser un oh ! de grogne. « Comment ? Vous ignorez ce qu'ont fait les « casques à pointe » en 1914 ? Si vous le saviez, ce portrait ne serait pas accroché dans votre salon ! Ils jetaient les enfants dans les puits devant le regard terrifié de leurs mères ! Est-ce cela que vous admirez ? » La jeune femme répondit à Jeanne : « Au diable l'histoire, ce n'est qu'un beau portrait ! C'est mon arrière grand-père ! » Jeanne ne fut pas invitée au mariage de ses enfants parce qu'ils étaient terrifiés à l'idée qu'elle puisse narrer ses souvenirs de guerre. La peur n'est pas toujours à la bonne place ! La mémoire non plus ! et pensa que ce portrait lui était un affront. L'avait-elle seulement dit à ses enfants ? Oui, elle le leur avait dit. S'en souvenaient-ils ?

Non loin de là, dans une autre ville de Lorraine, un petit polonais-allemand de douze ans, clamait la venue du général, malgré pierres jetées à boulets-portant en sa direction de « polack »-allemand et faisait sienne la liberté du monde, malgré l'autre douleur de sa mère à la tête rasée. Elle était polonaise, née à Leipzig en Allemagne ! Réquisitionnée également parce que née en Allemagne avait été fatal à sa belle chevelure blonde ! Les pierres n'avaient pas tuée leur volonté d'être libre en terre de France, en terre polonaise qu'avait été la Lorraine de Stanislas.

« Ne jamais être sous le joug de la tyrannie et du chantage, quelqu'il soit ! » dit-elle. Dit-il.

Il était le Roman des alexandrins qu'il aimait écrire. Il dit un jour à sa fille: «  Vois-tu, les hommes ne seront jamais ce que le monde attend d'eux ! Tant que l'Europe ne se fera pas sous le drapeau des douze étoiles, ce n'est pas le fer et le charbon qu'il faut choisir, mais bien les douze étoiles cernant la tête de la Mère de l'Humanité ! Le monde n'a pas compris que du fer et du charbon, nous allions vers la noirceur du monde alors que sous les étoiles, c'est le soleil qui aurait brillé contre la tyrannie ! Je t'en conjure, du haut de tes sept ans, fais tienne la liberté ! Là, où tu verras un oiseau blessé, prends la peine de lui faire digne tombe si nul ne peut le sauver et cueille la peine, là, où tu la verras. D'une épine, il y a toujours une rose au bout de sa tige quand bien même elle te griffe. Il n'y a pas d'Europe sans nations fraternelles, et cependant, cultive toujours ton identité. Sois polonaise ! Sois allemande ! Sois française ! Sois le monde si tu le peux ! Tu le pourras !»

Depuis, Roman, Jeanne et leur fille ont uni leurs voix, outre tombe, de Chateaubriand à Hugo et Goethe : « Je veille sur toi. »

Ainsi s'achève la mémoire du temps et Claudine vous a promis qu'elle ferait de vous, Madame, une centenaire, pour que vous puissiez dire, encore et encore la Meuse qui court en votre cœur, la Meuse sans frontière que vous dîtes n'avoir été que de vous, que vôtre !

Si je joins mes yeux aux vôtres, c'est pour la liberté dont vous fûtes l'actrice en plein jour lors d'un grand brasier contre la tyrannie. Faut-il du courage pour, à quatorze ans, défier le mal et le regarder, ensuite, fuir par ses propres actes, luttant contre lui, comme vous l'avez fait. C'était rue Jules Ferry à Neufchâteau dans vos Vosges pour votre Lorraine. Oui, vous avez mérité, Madame, le salut du Général quand passant dans votre rue Gohier, vous étiez là, et votre futur époux, que vous ne connaissiez pas encore, l'applaudissait, recevant au visage les pierres de la haine parce que Polonais-Allemand.

Claudine baissa la tête. Pleurait-elle ? Puis levant son regard vers les nuages poudrés de bleus et de roses, elle leur dit : «  N'oubliez jamais qui vous portât, le ventre lourd, car rien du temps ne refera ce qui aura manqué lorsque le temps arrache la présence terrestre de l'amour incarné que peut-être nous n'avons pas vu ! Il se cueille des brassées de fleurs à chaque pas soutenu, des gerbes d'étoiles offertes au soleil témoin des liesses et des actes engrangés. »

Les nuages émus de leurs ventres ronds entonnèrent « L'Ode à la joie » de Friedrich von Schiller et de Ludwig van Beethoven que le monde n'a pas encore pris sur lui, pour lui, en lui, et que Jeanne chantait avec Claudine pour la beauté des nuages dans le ciel de l'homme armuré de bleu, aux cheveux blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur la mer.

 

 


         

 

N'oubliez jamais qui vous portât, le ventre lourd, car rien du temps ne refera ce qui aura manqué lorsque le temps arrache la présence terrestre de l'amour incarné que peut-être, nous n'avons pas pleinement vu !


          Il se cueille des brassées de fleurs à chaque pas soutenu, des gerbes d'étoiles offertes au soleil témoin des liesses et des actes engrangés.

 

 

 

"Le balcon de l'appartement d'en face" avec Sophie Lukomski Renard

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

 

 

Sophie

 

Je regarde sur le balcon de l'appartement d'en face. L'étrange tonnelle fixée aux quelques lattes ! Elle se décroche dans une nuée verte. Le tissus ondule au vent. A droite, à gauche. Se gonfle. Voile d'un bateau qui n'avancera jamais.

Elle dort. Il est dix-sept heures. Elle dort.

Les feuilles des arbres chantent l'été et dansent sur une valse à quatre temps. J'entends la musique. Elle résonne dans ma tête remplie à demie de l'alcool d'hier. Des quelques lattes des quelques joints de la veille. J’engloutis un verre de Cola, light. On ne va pas risquer quelques kilos. Et m'enfile un Kinder antinomique. Vous comprenez ?

Elle dort. Encore. Elle dort. Ma belle torturée. Mon endormie. Ma beauté féline.

L'air frais de ce début de fin d'après-midi caresse le visage de la jeune fille aux yeux cernés. Est-ce moi ? Maman. Là ? Courbée sur le transat du balcon couvert de faux gazon ? L'air frais de ce début d'après-midi caresse mon visage aux lèvres gercées par la fumée. Reggae Sun quoi déjà ? C'était hier non ? Ou bien aujourd'hui. Demain aussi. Mais, hier, pour moi, pour elle. Pour nous.

Elle dort. Toujours. Elle dort. Maman.

Vaine volonté de disparaître de la surface d'un monde qui ne semble pas être fait pour elle. Y arrivera-t-elle ? Un jour ? Prendre la voile verte du balcon d'en face. Et voler, voler. Porter par le vent. Dans les nuages de son céleste repos. Pour moi l'enfer sur terre que je tenterai de noyer dans mon verre. Whisky coca ? Gin Vodka ? Un mojito. Merci, ça ira comme ça. Combien ? Dix euros ? Tenez, prenez mon porte-monnaie. Prenez mon compte en banque, prenez les meubles que je n'ai pas, mon non-appartement, mon existence à moi. Prenez tout mon rien. Prenez ma vie et piétinez la. Comme vous avez piétiné la sienne.

Elle dort. Indéfiniment. Elle dort. Mon apoplectique. Maman.

Pardon. Pardon. Je divague. Je m'égare, j'extravague, j'élucubre. Il est joli ce mot, n'est-ce-pas ? Je pense. Donc je suis ? Disait-il. Qui déjà ? Je ne me souviens pas. Pâle culture littéraire d'une écrivaine qui n'en est point une. Et puis. Suis-je, déjà ? Descartes.

Tais-toi. Taisez-vous. Tous. Écoutez. Le chant des oiseaux dans les arbres. Ceux de tout à l'heure. Les voitures qui passent. À vive allure. Une moto. Trop rapide. Tu devrais ralentir. C'est dangereux la vitesse. Maman le dit. C'est dangereux la vie. Maman ne le dit pas. Un vrombissement. D'un coup. Il me dérange. Il dérange ce demi-calme. Le sommeil de ma demi-vie. Pas la mienne. Celle dans le lit. Protégée par les draps froissés de ses nombreuses insomnies. Trop fins. Trop minces. Il lui faudrait une armure. Je vais lui trouver une armure. J'aurais besoin de lunettes de soleil. Et... Un bouclier. Je serai son écu. C'est joli, d'être un écu. Je ne sais pas quelles études il faut faire pour devenir un écu.

Elle dort. Inlassablement, elle dort. Il est dix-huit heures. Maintenant. Elle dort.

Je devrais la réveiller. Va-t-elle se réveiller ? Je voudrais embrasser ses paupières closes. Il y a t-il des rêves cachés là-dessous ? Où encore ces cauchemars qui lui font agripper ma cuisse quand, mi-endormie à côté de son corps spasmodique, je lui tiens la main et espère que l'apaisement l'atteigne ? J'aimerais caresser ses lèvres et sentir son souffle encore alcoolisé caresser mon palais. L'inviter sur son balcon. Voir les rayons du soleil se refléter dans ses yeux dont la couleur reste encore pour moi un insondable mystère. Et, ses mèches rebelles dans lesquelles j'aime passer mes doigts de demi-pianiste. Sensations plus agréables encore que les caresses du piano dont la manufacture m'échappe encore.

Elle dort, mon Ecstasy. Ma future douloureuse.

Ne pars pas. Jamais. J'ai besoin de toi. Dans ce monde. Ce monde à besoin de toi. Il faut que tes pas foulent encore l'asphalte pendant une heure et quarante-cinq minutes le cinq août prochain. Il faut que tes yeux voient mon canapé en faux cuir véritable se poser dans un prochain chez toi. Chez nous. Tu sais bien. Il faut que tu connaisses la sensation grisante des vagues s'éclatant sur les rochers de la pointe du Hoc. Les mille couleurs des maisons alsaciennes. Il faut que tu vois mes trésors bretons. Tu as tant de choses à savoir encore. J'ai tant de choses à apprendre de toi. Ma demi-morte. Respire encore un peu. S'il te plaît.

J'entends un chien. Il aboie. Que peut-il faire d'autre qu'aboyer sur des passants qu'il pense être ces ennemis ? J'aboie peut-être moi aussi ? Aussi inutilement que le bâtard de ma non-voisine. Tu sais bien. Non, tu ne sais pas. Reste encore pour savoir. C'est pas beau chez moi. C'est tout plein de linoléum gris, de peintures écaillées et de papiers peints jaunis par trop de fumée. Et je ne te parle pas des souvenirs qui transpirent des murs. Ça pue, certains souvenirs. Tu sais bien. Toi. Mieux que quiconque. Il manque ton visage au tableau pour rendre le paysage plus joli. Tu sais bien. Toi.

Elle dort depuis trop longtemps. Elle dort. Ma Tachypsychique.

Je suis allée dans sa chambre. Il y fait si noir là. Elle grognait. Qui donc te fait encore du mal ? Qui te fait souffrir que je ne puisse atteindre dans ce pays qui est tien ? Quels sont donc ces noirs secrets qui encombrent tant son âme ? Ces choses lourdes qui pèsent à chacun de ses pas. Tu t'enterres. Fais attention. On devrait faire le ménage. Tu ne crois pas ? Faire un peu la poussière. On devrait bouger un peu les meubles. Même si. Je sais, les courbatures font mal. Le dos se coince, le point de côté se pointe. Mais on devrait. Tu sais. Déménager. Partir loin. Où, peut-être, juste enfermer ces pensées dans un bocal. Un carton, c'est peut-être pas assez ? On était trop optimiste. On n'enferme pas les mauvaises choses dans un carton.

Elle dort, je vais bientôt la réveiller. Mon oiseau de nuit.

Je m'adresse à elle, à vous, à toi. Ceux qui l'ont gavée, assommée, frappée, perturbée, droguée, internée, traînée, percutée, laissée, abandonnée, crucifiée, fripée, froissée, jetée, atrophiée, tuée ! Vous. Et les nuits blanches, les néons, les cocktails, les poussières blanches, ces fausses étoiles.

Je regardais le balcon de l'appartement d'en face. C'était beau. C'était elle. Mon indomptable voilier.

Je vais la réveiller. Ma belle rédemption. Mon avenir incertain. Ma coïncidence. Mon improbable.

Il est dix-huit heures trente. Je vais ouvrir ses paupières. Elle va vivre. Encore un peu. Mon abandonnée.

Mais, elle dort. Elle refuse l'éveil. Elle dort. Mon obstinée.

Comme je te comprends. Tu sais bien. Me revoilà. Vers vous. Vers toi. Compagnons inconnus de ma petite solitude. Je fume une clope. La énième roulée depuis que les mots défilent. La voile est de nouveau en place. La vie semble m'avoir oubliée. Ai-je oublié de vivre ? Je regarde les roses. Celles qui longent le bâtiment. Celles qui longent le balcon. Elles se fanent. La mienne aussi je crois. Il lui faudrait un peu d'eau. On arrose comment une fleur sans pot ? Tu ne me l'as pas appris, ça ! Maman.

La fumée s'enfuie. J'ai fais un cercle. Je n'ai pas fais exprès. Je n'ai jamais su faire les cercles. J'admire les gens qui savent faire des cercles, remplir des verres de fumées blanches. Ceux qui font des vagues sur les tables basses. Ceux dans les soirées. Les amis que je n'ai jamais retrouvés. Ceux qui ont mis les voiles. Mon passé. Moi aussi j'aurai aimé faire des vagues. Au lieu d'écumer la vie et de me dissoudre dans une poignée de main.

Elle dort encore. Je ne sais que dire d'autre. Elle dort. Ma déracinée. Je l'aime, maman, ma dulcinée.

Je regarde loin. Chez moi. A des centaines de kilomètres d'ici. Où est-ce déjà ? Ai-je un chez moi ? Dans un monde qui n'est pas le mien. Vous savez. J'ai l'impression d'être une S.D.F qui regarde les autres monter dans les trains sans pouvoir partir, là-bas. Vous savez bien. Non ? C'est ici chez moi. Là où elle est. Dans les draps humides de transpirations angoissées de ma bien aimée.

Une mouche bourdonne. Elle me tire de mes pensées. Elle est coincée. Prise dans une toile d'araignée. Condamnée. Un peu comme nous tous. En fait. Je fumerai bien un petit pète. Là, maintenant, tout de suite. Fuir l'attente de sa venue. Arrêter de la voir s'asseoir sur le canapé, arrêter de l'entendre ouvrir le placard et se servir un verre de thé froid sans sucre. Parce que.

Elle dort toujours. Mon éphémère. Il est dix-neuf heures.

Le soir commence. La journée s'achève. Et quelle journée ? Des heures à ne rien faire. Des heures à se remettre le cerveau en place. Quoi ? Ah oui, des aveux c'est vrai, de l'alcool, beaucoup d'argent. Des larmes ? Pourquoi ? Ah oui c'est vrai. La douleur. Dans ses yeux. Celle qui transperce. Un rayon laser. Parce qu'elle envoie des rayons laser, mon arme atomique. Seigneur. Je n'ai pas envie de me souvenir. Fumer. Encore. Elle dormira encore peut-être, quand les étoiles brilleront de nouveau dans le ciel.

Chut ! Écoutez. Écoutez. J'ai gagné. Petite lutte quasi acharnée pour décoller ses jolies paupières, un peu gonflées par le manque de sommeil. Je l'entends. Pour de vrai. Cette fois-ci. Elle gémit. Ma délaissée. Mon éclosion. Mon bourgeon. Que tu es belle, encore toute fripée. Que tu es belle couverte de rosée.

Elle ne dort plus. Ma fragile force de la nature.

 

Béatrice

 

Je regarde sur le balcon de l'appartement d'en face. L'étrange tonnelle fixée aux quelques lattes ! Elle se décroche dans une nuée verte. Le tissus ondule au vent. A droite, à gauche. Se gonfle. Voile d'un bateau qui avance . Sophie.

Je regarde le balcon de l'appartement d'en face. Sophie.

Je dors. Alors, que vois-Je ? Tu dors aussi. Sophie. Elle dort. Nous dormons. Voyons-nous vraiment le balcon d'en face ? Je le vois. C'est tout. C'est beaucoup ? Sophie !

Il est quatorze heures et cinquante sept minutes.

Il faut que tes pas foulent encore l'asphalte pendant toute une vie qui vient. Sophie. Il faut que tes yeux voient mon canapé en velours véritable se poser dans mon rien comme tu veux qu'elle voit le tien. Je n'ai plus de rien. Tu le sais bien. Il faut que je connaisse, moi aussi, comme elle, la sensation grisante des vagues s'éclatant sur les rochers de la pointe du Hoc. Sophie. Tu m'y emmèneras et je verrai plein de trous comme dans mon canapé griffé par les chats qui n'ont que faire de la beauté des objets. La Hoc hoquettera encore. Des trous. Mais il y aura de l'herbe verte dans les trous et des barbelés pour mieux nous souvenir. Parce que les barbelés sont liberté. Ils sont seulement un empêche-avance qu'il faut sauter. Même s'ils nous lacèrent. Sophie.

Les mille couleurs des maisons alsaciennes. Jaune. Rouge. Verte. Bleues. Un artiste-peintre est passé par là. Est-ce toi, Sophie ? C'est toi, Sophie, qui t'es relevée cette nuit dans ton cauchemar pour colorer la vie ? Est-ce elle ? Ah ! Je sais ! La nuit, tu voles, voles, voles. Je t'ai vue sur le balcon d'en face. Assise sur une chaise en métal forgé. La vie se forge. La vie est forge.

Il faut que tu vois mes trésors bretons, dis-tu.  Je t'envie. Mon balcon a moi a failli s'écrouler. J'avais des trésors bretons. Au passé. Ils ont disparu. Je les pleure. Oh non ! Ils sont en vie, mes trésors bretons. C'est juste moi qui suis devenue aveugle. Sophie. C'est juste elle qui n'a pas voulu que je garde mes trésors bretons ; ils sont devenus du granit, même pas rose. Il paraît qu'ils sont beaux comme une vague écumant le large. C'est ça qu'on appelle le spleen, Sophie ? Je veux voir tes trésors bretons. Elle les verra, elle. C'est bien. Je les ai retrouvés. Ils sont beaux comme autant de fleurs bleues dans ton regard azur.

Tu as tant de choses à savoir encore, me dis-tu, lui dis-tu., ta belle Vie s'achève et avec moi, mon balcon s'effondre. J'ai tant de choses à apprendre de toi. D'elle, aussi. Toi, quoi encore de moi ? Je suis si vieille. Je l'aime bien. Enfin ! J'aurais bien voulu la connaître. Qu'elle respire encore un peu. Pour toi. Pour toi. Pour moi. S'il te plaît. Sophie. S'il lui plaît et il lui plaira de respirer pour toi. Sophie. Mon souffle est court sur le balcon. Je vole. Dis-lui de respirer, à ta toutre belle. Je l'aime sans jamais l'avoir déjà vue. Ma vue est courte sur ce balcon dans la nuit. Y a pas idée de vouloir partir ! Dis-lui à ta demi-morte, ta beauté. Sophie.

Dis -lui, à  ta bien-aimée, que vie est belle-de-jour. Sophie. Dis-lui que vie ne peut se passer d'elle. Sophie. Dis-lui que sur le balcon, c'est pire qu'en bas. Sur le balcon, il n'y a pas de nuages pour la porter. Sophie. Il n'y a que des ombres qui vont la dévorer. Pire qu'en bas.

Dis-lui ! elle est belle et si fragile.

Est-ce mal du siècle que de vouloir un balcon sans rien pour le tenir ? Je n'aime pas le balcon d'en face. Il est fragile. Plus fragile que rien. Il est l'ombre qui avale.

Dis-lui tout ça. Sophie, à ta belle.

Je l'aime comme je t'aime parce que tu l'aimes. C'est tout. C'est beaucoup.

Elle dort encore. Je ne sais que dire d'autre. Elle dort. Ta déracinée.

Je regarde loin. Chez toi. A des centaines de kilomètres d'ici. Où est-ce déjà ? Ai-je un chez toi ? Dans un monde qui n'est pas le tien. J'ai l'impression aussi d'être une S.D.F qui regarde les autres monter dans les trains sans pouvoir partir, là bas. Non ? C'est ici chez toi. Là où elle est. Où je suis aussi.

Une mouche bourdonne. Elle me tire de mes pensées. Elle est coincée. Prise dans une toile d'araignée. Condamnée. Dis-tu. Fuir l'attente de sa venue. Arrêter de la voir s'asseoir sur le canapé, arrêter de l'entendre ouvrir le placard et se servir un verre de thé froid sans sucre. Parce que. PARCE QUE !

Parce que, tu l'as dit. Tous des déracinés. Sophie. De quoi ? Du ciel ? De la terre ? Le ciel a beaucoup à donner. La terre aussi. Surtout la terre. Sophie. C'est là qu'on apprend, non ! C'est là qu'on apprend à aimer, tu sais. Sophie. Ça vaut le coup d'essayer. Quoi ? Aimer. Comme je t'aime, Sophie. Sophie. Sophie.

Dis-lui. Dis lui à cette fleur.

La mouche a cessé de bourdonner. L'abeille, à sa place, vole. Elle chuchote mieux que la mouche. La mouche transforme l'ordure en or pour la terre. L'abeille transforme la fleur pour le miel. Les mouches n'aiment pas le miel. Le miel, c'est déjà de l'or. L'araignée aime les mouches. C'est ainsi. Sophie. T'a-t-elle tirée de tes pensées, c'est pour mieux te voir mon enfant ! Elle n'a pas vu la toile d'araignée qui l'a happée, émerveillée par ton regard. Mouche s'est sacrifiée pour mieux te voir. Puis, si elle, ta bien-aimée, ne vient pas boire un thé froid sur ton canapé en faux cuir, c'est qu'elle s'est arrêtée en chemin. Elle t'attend. Les mamans, ça sait tout cela. Sur le balcon d'en face.

Une mouche s'est posée sur mon écran pour mieux lire ce que tu m'écris. Sophie.

L'autre est moi. Moi suis l'autre. Ce n'est pas rien de voler d'un balcon à un autre. Être l'autre. Pour le comprendre.  Être lui. Être elle. Savoir se faire une place dans l'autre. Se mettre à sa place. Être l'autre.

Le soir commence. Et toi, tu dors. Moi. Je veille. Je veille tes pas. Sophie. Ah ! Pardon ! Tu es jeune majeure. Sophie. Sophie.

Dis moi.

Aucune mère ne se refait. Même quand un trésor s'envole pour faire du miel en Bretagne. Je les aime tant tes trésors bretons parce qu'ils t'aiment et là est l'essentiel. Dis. Ils savent les gens que les trésors sont des enfants ?

Tu es un trésor. Tu étais un trésor. Deux trésors. Trois. Quatre. Je sais compter. Plus trois. Plus un. J'ai huit trésors. Enfants. Petits enfants. Je suis riche. Pas les banquiers.

Non ! Ne pleure pas. Sophie. Ne pleure pas. Je ne pleure pas. Je ne pleure plus. Enfin ! C'est ce qu'il se dit. Sophie. C'était difficile de te voir pleurer quand tu tombais dans les épines. Une petite aquarelle sur ton genou meurtri. Du mercurochrome. C'est une cochenille qui va vers toi. Je suis la cochenille. J'ai mal à ton genou. Sur le balcon d'en face. C'est pour ça que je pleure. Les maman n'aiment pas les genoux écorchés qui font mal aux petites filles qui courent après l'existentiel en ciel bleu lagon. Et les bleus à l'âme, c'est de la couleur bleue aussi. Vite ! Un peu d'arnica ! Jaune comme le soleil. Et mes yeux n'ont pas reçu de mercurochrome pour rougir. Les enfants enlevés. Volés.

Réveille la, ta belle rédemption. Ta bien aimée. Sophie. Elle est. Alors faut-il la réveiller ? Nous sommes tous des Dieux.

Dis-lui. Dis-lui. Sophie.

Sur le balcon d'en face. J'aime ton indomptable voilier sur le balcon d'en face.

Dis-lui.

L'heure n'a pas bougé. Il est quatorze heures et cinquante sept minutes.

 

Ecrit avec Sophie Lukomski-Renard

 

Ecrit pour tous les parents qui n'acceptent pas la différence de leur enfant.

L'amour est un.

 

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Love is a mystery - Ludovico Einaudi

 

 

 

 

 

 

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