Béatrice Lukomski-Joly


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Quand  la femme qui nous a mis au monde  vieillit et que les symptômes de la vieillesse envahissent le quotidien dans la mémoire des faits anciens, c'est chaque soir, vider le trop plein d'émotions sur les jours vécus ensemble dans des poèmes qui réparent  l'âme pour continuer le chemin.

Puis, elle rend son dernier souffle, laissant à la terre son habit flétri et usé, et enfin rayonne sans laisser l'écriture se taire.

Qu'importe si ... ! Qu'importe... que ! Qu'importe ... !

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

"Paysage de montagne" de Clément Castelli 1870 -1959

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cl%C3%A9ment_Castelli

Photo issue de : http://www.normandie-antiquites.com/magasin-0/huile-sur-toile-clement-castelli-_124.html

 

Qu'importe la force du soupir dans les branches

Si je n'ai pas l'âme qui loge son frisson,

Et sur mes yeux sa caresse ;  qu'importe sa chanson

Si j'ignore qui, du vent, souffle et sculpte ma hanche.

 

Qu'importe la vue des montagnes en mon cœur

Si je ne mesure pas la grandeur de ses cimes

Qu'en mes vies, j'ai vues de hauteurs sublimes

Quand elles me parlent de ses visages en fleurs.

 

Qu'importe la flaque sur le chemin de sable

Si sous mes pieds j'ignore sa patiente maîtrise

À baigner ma peau de sa volonté éprise

Quand, de la fièvre, elle m'apaise charitable.

 

Qu'importe que vous ne voyez pas l'admirable,

En toutes choses, laissant la vie s'immoler,

Si je n'étais la lettre de l'inanimé

Pour la joie exhaussée à ma vue infatigable.



Qu'importe que les oiseaux bâtissent leur nid

Aux angles de mes fenêtres animées des ailes ;

La vue des aveugles qui aimeraient le ciel

Si je ne les bénissais au zénith nous aimant.

 

Qu'importe la robe de l'abeille et de son mantelet

Si nous ne prenons le miel sans sagesse en son été

Qu'elle a butiné pour nos palais de vanité,

Si de son labeur nous ne rendons grâce à sa fidélité.

 

Qu'importe les églises étoilées au petit-jour

Si des clochers effilés nous ne percevons le sens

Quand cloches chantent les heures de décence,

Enchantées d'être les édifices de l'amour.

 

Qu'importe que jamais vous ne m'aimiez ; qu'importe !

Puisque zéphyr, montagnes, chemin, oiseaux, nids,

Reines, clochers aiment que je les vois d'esprit

Quand marchant vive avec eux, je les réconforte.

 

Ècrit sur la musique du film " La leçon de piano "de Michaël Nyman 

 

 

La joie des vignes

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Photo personnelle non libre de droit :   roses dans mon jardin

 

Je suis allée par la campagne cueillir la joie des vignes,

Qu'accompagne la Champagne aux matins des signes,

Et dans le doux rayonnement des aubes câlines,

J'ai embrassé l'épi de blé en capeline d'or, loin du spleen.

 

Pendant que le soleil dessinait, sur ses coteaux,

Le doux éclat fleuri des rouges coquelicots,

Les champs ont discouru, avec les oiseaux bleus,

Du temps des promenades suspendues à mes yeux.

 

Et j'ai vu briller dans le regard des lucioles, la nuit,

La gaieté des étoiles or, l'allégresse des prairies,

Et encore la gaieté des papillons mariés aux libellules.

J'ai dit : je t'aime et la terre a chanté au crépuscule.

 

Je me suis assise sur une pierre vieille d'âges,

Haut sur une colline resplendissante de feuillages,

Que verdure envie au chant des grillons, l'été,

Quand le soir épouse le couchant sur le groseillier.

 

J'ai chanté la louange des arbrisseaux sur le ruisseau,

Et jaspe à mon poignet réchauffa le sang du vermisseau,

Qui languissait de ma terre éclairée par les flambeaux,

Sous le boisseau des forges allumées pour l'escargot.

 

J'ai couru sans périr jusqu'à la porte des cathédrales

Que dessinent les fleurs sous le soleil magistral

Et là, couchée sur le ventre des arbres, j'ai entendu,

Entendu le murmure des joies chaque fois que je la salue.

 

Un brin d'herbe chantait l'éclat des vitraux que je crée,

Jours et matins, depuis que le ruisseau coule à mes pieds,

Et a dit la joie au cœur des hommes qui point n'ont peur,

Chaque fois qu'or d'aimer ruisselle sur nos visages rieurs.

 

Pourquoi souris-tu à cette heure dit le chardon vermeil,

Que Lorraine embrasse de virginité à ses joies vieilles ?

C'est que sans joie au cœur des hommes advient la discorde,

Et que discorde enfante la solitude des abeilles de concorde.

 

Vois le matin s'enflammer sur la grande toile des astres,

Loue les délices des roses au printemps de Zoroastre,

Et parfume mon corps d'un trait de violette vêtue,

Pour qu'enfants créent le jardin des amours bienvenus.

 

Je suis allée sous l'arbre qu'on appelle le chêne,

Celui qui tant chérit la vérité et la sagesse, sans haine,

Et j'ai entendu la terre me témoigner son allégeance,

Aux cœurs riants malgré l'épouvantail des inconsciences.

 

Là, au milieu des bois verts et des vallons verdoyants,

Une petite larme à couler de joie et d'enchantement,

Pour abreuver la source qui fait du fleuve aux océans,

Le messager des ardeurs que cœur témoigne du vent.

 

 

En passant par la Lorraine avec mes sabots, mémoires d'une vielle dame.

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

           Photos personnelles non libres de droits - 2016-

 

En passant par la Lorraine avec vos sabots, Claudine ne vous a rien dit, Madame, quand prenant votre bras âgé de quatre vingt huit années, quand épousant vos pas arpégés, malgré votre grand âge, grande Dame, par tant de tracas retirés et vos oriflammes au vent, tant de mémoire habillée et ravivée, elle vous vit de lys vêtue aux pas johanniques, d'amour et de silence, d'airain et d'or, l'armure flamboyante sur le soleil que de bleu azur vous fîtes, avec elle, Liberté.

Votre main en la main de Jeanne, avec l'archange Michaël pour étendard et son épée sculptée, vous pleurâtes le cœur tout égratigné de la hauteur de votre mémoire que Claudine vous doit d'admiration, le cœur lourd, son pas chancelant pour tout aveu des oublis de l'histoire. Vous l'avez portée de si nombreuses fois qu'encore le rayon de votre armure bleue la ceint d'émotions à votre joie de la revoir, ensemble, ensemble !

Oubliera-t-elle votre regard de vieille dame vers le ciel levé quand votre amour pour votre France que votre jeune âge a, sans transiger, conquis de résistance à l'appel de juin ; vous, fille de souvenance à Jeanne que vous portez en votre humble cœur, au prénom glorieux que vous portez avec élégance et bienséance, qui est le votre, Madame. Sa mère ! Claudine, votre fille.

Quand de Domrémy, vous la portâtes jusqu'aux hanches arrondies du fleuve qui vous vit naître, de votre Meuse couvrant vos flancs magnifiques qui lui ont donnée naissance telle un coup de canon la portant de la Meuse à l'Allier puis Orléans assise sur sa Loire, elle ne vous a pas dit, Madame, tout l'amour qu'elle vous porte, pour vous susurrer, enfin, son indélébile devoir, à vous éclatant ! Pourtant de vos bras enlacés, de vos mains jointes, quant à Chenu, vous la fîtes votre amie plus que votre fille, Claudine vous a frôlé de rayons que la vie donne de tous les pardons quand vie s'achève parce que vous êtes belle, Madame.

À Jeanne et à Charles, vous avez voué votre vie de mémoire en termes d'honneur et de liberté acquise. Mais qu'est-ce que la guerre quand elle prive les hommes de la liberté d'être et de penser ? Vous n'étiez pas de cette race des gens qui s'endorment sur la paresse des idées qui ne peuvent plus rien pour les autres ! Non ! Vous étiez de ces actes qui endommagent le mal pour le bien restauré en pleine lumière.

Claudine cria : « Oh ! non ! Ne partez pas encore Madame ! J'ai encore besoin de vous. La Meuse encore se languit de votre présence, et moi avec elle, bien que mon bras vous portât, davantage par amour que par faiblesse. »

Vous avez dit, Madame, vouloir encore vous battre pour France.Vous avez pris l'épée de Jeanne et de vos neuf décennies, vos larmes ont ému votre fille pour ne plus pouvoir rien faire. Et vous avez dit : « Je peux encore courir la campagne ! » et vous avez raconté votre combat.Vous avez couru la Lorraine, Claudine avec vous, les pieds endoloris, pour enfin vous poser sur une pierre que la Meuse remit à votre joie dans l'herbe mouillée que les berges aiment de gratitude pour votre fidélité. Vous avez regardé les brebis paître le pâturage lorrain sous les arbres séculaires que Jeanne connut assurément. C'était semblable à une étoile venue vous aimer pour vous sceller dans l'éternité.

Vous avez cueilli un chardon avec deux pierres pour gants sur vos doigts afin de n'être pas blessée et lui avez montré comment faire, prouvant par là que votre fille avait encore tant à apprendre de vous. Un simple chardon pourpre, symbole de l’Écosse aux cent templiers expatriés venus aider Jeanne et symbole de la Lorraine en mémoire !

Vous lui avez montré le Mouzon coulant indifférent vers les marronniers, là, où votre humble demeure, de vous, se languit.Vous lui avez montré la cour où vous participâtes à la fin de la grande guerre, la Gaule en amie pour la croix de Lorraine que vous adorez. Là, vous avez salué la croix, la larme à nouveau jaillissante, et Claudine n'a pas supporté votre mémoire, ni vos larmes retenues par dignité des affres que le temps endure et que le temps oublie, la faisant pourtant béquille à votre bras.

Vous vous êtes assises à une terrasse, vous, souhaitant entrer en le bar qui fit travailler votre sœur, lorsqu'elle fut réquisitionnée, et vous lui dites : «  Rien n'a changé, l'endroit est le même ! ». Vous avez tenu à y manger parce que du haut de son ciel, votre sœur voulait encore vous donner un baiser. Vous avez beaucoup ri, souri et aussi pleuré, car votre fille n'a jamais su dés-emboîter ses larmes des vôtres. Oh ! que de soutenance dans l'adversité ! avez-vous dit.

En passant par la Lorraine avec vos gros sabots... je veux m'arrêter sur votre acte austère, Madame, que vous avez conté mille fois parce que ce fut, pour vous l'acte héroïque le plus puissant qu'une enfant puisse faire. Vous aviez quatorze ans quand vous posâtes cette action, Madame !

Les nazis, Madame, vinrent aussi pour vous. Vous réquisitionner ! Vous étiez en classe lorsque dans votre école, l'un d'eux vint vous chercher avec une de vos bonnes copines. C'est le hasard qui vous pointa du doigt ! Savait-il le hasard ce qu'il faisait ? Sans nul doute ! Le hasard s'appelle bonne fortune quand il s'appelle destin ! La libération arrivait, mais encore sous le joug de la barbarie, les lorrains souffraient de leur présence et de leurs actes sans nom.

Vous ! Vous écoutiez sans relâche la tsf pour décrypter les messages de la résistance installée à Londres. La voix du Général vous était comme une berceuse familière qui ne donnait plus l'espoir, mais qui vous donna la certitude d'être une fidèle alliée. L'écouter était une gageure difficile, car déjà les radars tentaient de dépister les actions derrière les murs, et, qui était surpris était estimé terroriste contre le régime de la dictature nazie.

Oh ! non pas que vous rejoignîtes un quelconque réseau résistant, vous étiez simplement libre en votre âme, agissant en votre seul nom. Vous n'aviez que Jeanne d'Arc en souvenir au cœur, et elle valait bien, selon vous, que vous l'honoriez de votre mémoire lorraine.

Jeanne ? Bannière flamboyante de tout Lorrain ! C'était ainsi et vous l'avez priée d'arrache-mémoire héroïque.

La tyrannie ? Ce n'était pas pour vous, Madame ! Vous aviez vu tant de personnes juives partir « vous ne saviez où » que vous en étiez profondément blessée. Vous avez montré les maisons dans lesquelles, de votre quartier, les uns et les autres s'en étaient allés pour une destination inconnue, arrachés par les sanglots des enfants et des mères. « Plus jamais ça ! » avez-vous dit, répété jusqu'à l'usure de vos mots !

Claudine vous supplia : «  Montrez-moi la cour de l'école dont vous m'avez parlé mille fois ! Je veux voir où vous, Madame, avez brisé, sans peur, la chaîne de la honte. » Lorsque Claudine vit votre cour dans cette école demeurée école, elle fut réduite à une poussière de silence, telle une cendre de ce brasier qui sentait encore la poudre dans vos narines. Ainsi, c'était là ! Elle pouvait enfin mettre une image sur votre acte et votre jeunesse. Je ne dirais pas que ce lui fut facile de vous imaginer, car ce n'était plus vous imaginer en votre acte, mais bien vous voir au passé. Voir une enfant aux cheveux noirs jais en cette cour, habillée de pauvreté extrême, la maigreur en témoignage, la fit très soudainement être votre conscience de ce que vous vécûtes en ce lieu. C'est davantage cela que votre fille n'oubliera pas de vous.... vous voir en cette cour, propulsée en votre temps ! Elle vous a, alors, mieux comprise.

Votre fille est restée debout, devant la grille, fixant de sa vue transportée à une époque qui n'était pas la sienne, vos pas, votre courage, votre absence de peur et elle vous a regardée. Elle a alors, réellement, vu la haine sur leurs visages, la peur d'une époque, et elle a failli ne pas pouvoir se remettre de cette horreur.

Réquisitionnée ! Mais que vous avait-on demandé pour être obligée de venir en cet endroit qui n'était pas votre école ? Vous deviez faire le ménage dans la Kommandantur. C'était aussi bête que cela ! Faire le ménage ! Mettre de l'ordre ! Oh ! Ils ignoraient de quelle trempe vous étiez ! Vous avaient-ils demandé, à vous - à vous ! de mettre de l'ordre , ignorants que l'ordre que vous alliez y mettre serait la fin de la barbarie en votre ville, qu'ils ignoraient de quel ordre vous les gratifieriez ?

Ils vous conduisirent avec Monique, votre meilleure amie, dans une grande pièce dans laquelle étaient les habits de l'armée allemande, les bottes ferrées, les casques aux visières obligeant la tête droite, les redingotes kakies !

Vous deviez tout plier et emplir des grands sacs de leurs effets pour leur futur départ. Ils avaient reçu l'ordre de quitter les lieux pour rejoindre, vous ne sûtes quelle garnison en faction. Le littoral normand, sûrement !

Ils vinrent, vous vociférant à toutes deux un : «  schnell arbeit ! » qui résonne encore en vos oreilles. Puis, ils vous laissèrent, toutes deux, travailler. Pensèrent-ils qu'à presque quatorze ans, on peut vouloir la fin d'une dictature ? Ils n'y avaient pas songé une seconde !

Vous fouillâtes au-delà du vestimentaire et trouvâtes des balles par centaines ! C'est alors que vous prîtes le commandement, intimant l'ordre à votre bonne copine, Monique, terrifiée et cependant rassurée par votre ténacité, votre témérité, votre assurance, votre volonté de liberté au nom de Jeanne brandie telle une épée rutilante sous le soleil, toute votre volonté d'en finir avec le chaos de votre Lorraine si chérie, pour l'Humanité en paix.

Monique entendit de votre bouche rieuse, cependant laconique, un «  schnell arbeit ! » en dérision de l'autre commandement barbare.

Les SS ne vinrent pas voir comment vous rangeâtes leur kommandantur. Vous jetiez parfois un œil par la fenêtre, par la porte aussi, pour voir si un danger vous anéantirait et vous vîtes qu'ils étaient affairés dans la cour de l'école : ils allumaient un feu devenu brasier, au centre de la petite cour cernée de bâtiments de classes. Vous ignoriez pourquoi ce brasier, mais les voyant si prompts à allumer ce feu, vous pensâtes que l'aubaine était là ! Ils brûlaient tout et rien.

Votre bonne copine ne sut quoi dire. Elle exécuta votre ordre pour la Liberté sous le commandement tacite de la Lorraine de Jeanne d'Arc.

« Macht schnell ! Fourre toutes les poches des redingotes de toutes les balles que tu trouves et plie tout en sacs ! Fais ce qu'ils ont dit et surtout, fais ce que je te dis ! ». Monique était transie de peur mais fit ce que vous lui ordonnâtes. Bientôt, ce fut des dizaines de manteaux kakis qui furent alourdis de munitions et mis en sacs. Quand vous eûtes achevé votre mission, vous allâtes sans peur au-devant du soldat qui surveillait le feu au milieu de la cour. Vous vîtes qu'il brûlait vêtements et autres effets. Vous lui dîtes: «  Pouvons-nous partir, nous avons fini de mettre de l'ordre. » Le SS vous répondit : «  Pas encore ! apportez-moi tous les sacs que vous avez emplis ! »

Cela avait des airs de liberté pour vous que jamais vous n'oubliâtes. Jamais ! Vous saviez la libération en marche tout en ignorant si le débarquement avait commencé. Mais vous alliez prendre, là, à cet instant, le risque qui vaudrait votre vie si vous étiez prise, mais n'en aviez cure. Vous étiez de cette jeunesse qu'était la « Rose blanche » française bien que ce mouvement n'existât pas en France. Vous allâtes avec votre bonne copine chercher les dizaines de sacs bourrés de redingotes comme il vous l'avait demandées et de munitions que -vous- aviez décidées. Vous les déposâtes à leurs pieds comme ils vous en avaient intimé l'ordre. Quand il n'en resta plus un seul à déposer, l'un d'eux vous commanda de quitter la cour, ponctuant d'un «  Pourquoi sont-ils si lourds, tous ces sacs ? Il faut fouiller ces sacs, dit un soldat allemand, avant de  laisser partir ces filles !

- Pas le temps ! répondit son acolyte armé. Il faut exécuter les ordres ! Tout brûler avant que les américains n'arrivent ! Ce ne sont que des gamines ! »

Il n'eut pas le temps d'achever ce qu'il voulait dire car les sacs épousaient déjà le brasier allumé.

«  Pas le temps ! Ce ne sont que des vêtements ! Brûle ! »

« Maintenant, tu cours le plus vite que tu peux ! » dites-vous à votre amie. Vous courûtes à perdre le souffle quand vous entendirent pétarader dans le brasier au milieu de la cour. Vous vous arrêtèrent, l'inspiration courte, prîtes le temps de regarder le feu d'artifice tout en entendant hurler la colère et la haine, votre sourire aux lèvres. Plus une seule munition dans l'école ! Les balles explosaient une à une dans le grand brasier.

C'est vers la rivière du Mouzon des marronniers que vous courûtes toutes deux, fortes d'apprendre au passage que les américains étaient proches de votre ville, en attente d'ordres sur votre Meuse. Vous entendiez hurler. Vous ne sûtes jamais s'ils avaient hurlé de colère comme des soldats nazis pouvaient hurler, ou de blessures ? Votre mère blanchissait les draps au lavoir pendant que vous repreniez votre vie, l'air de rien, devant le fourneau de la grande pièce à vivre, rue Gohier, guettant chaque bruit, chaque pas de botte qui pouvait venir vous interpeller. Vous aviez peur de cette peur que l'on ne ressent qu'après avoir commis un acte, lequel acte était, pour vous justifié. N'aviez-vous pas vu votre père et votre  frère Marius conduits sur la place Jeanne d'Arc pour y être fusillés jusqu'à ce qu'un avion américain survole la ville pour les en dissuader, car eux aussi, pour la première fois depuis le début de la grande guerre, avaient peur ! Peur de perdre leur vie ! Eux qui n'avaient jamais craint de supprimer des vies par millions.

Combien de fois avez-vous raconté ensuite l'arrivée de l'armée de Patton, traversant votre ville que votre fille ne peux plus l'estimer.

Vous dites encore à Claudine :« Pour toutes les épluchures de patates que j'ai mangées, pour tous les tickets de rationnement qui nous ont fait crever de faim, pour les « lessiveuses » du marché noir, pour le pain unique à la semaine que nous mangions à huit à table, pour les enfants juifs partis en sanglots et leurs mères séparées, pour la milice qui a vendu nos frères, pour ma sœur réquisitionnée à laquelle, on a reproché de travailler pour eux, contre l’infamie et la haine, contre les trains de bestiaux qui nous emmenaient on ne sait où, pour mon train qui a déraillé durant l'exode, pour mon père qui tomba sous nos sept masques à gaz suspendus à son cou qui faillirent l'étrangler, pour ma mère en peine, pour le monde, pour Jeanne, pour le Général !  La Gaulle ! Patton ! Leclerc ! Je clame la liberté et m'en suis faite son actrice johannique !»

Plus tard, bien plus tard, vous lui dîtes encore : « Ma fille, j'ai fait un rêve étrange cette nuit. Un homme en armure est venu me voir. Son armure était d'or et son habit était bleu comme le ciel. J'étais terrifiée. Mais il me parlait avec douceur. Il m'a parlé longtemps, tournant autour de moi, me regardant. Je ne me souviens pas de ce qu'il m'a dit. Je me souviens seulement qu'il ne me quittait pas et que j'étais terrifiée. Je ne bougeai pas. Je l'écoutai. J'avais peur.

- Toi ? Avoir peur ! Avoir peur d'un rêve après tout ce que tu as fait dans ta jeunesse ! répondit Claudine.

- Oui, car ce rêve semblait vrai ! Il était géant. Il n'arrêtait pas de me parler et je ne saisissais aucun mot ; c'était comme une langue incompréhensible. Ce n'était pas un rêve, Claudine. Il était aussi vrai que je te vois. Ses cheveux étaient blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur la mer. Il est descendu du ciel pendant que je somnolais dans mon fauteuil.

- Laisse le rêve à sa place, ma mère ! » répondit Claudine.

Les nuits venantes, Claudine lui dit : «  Ma mère, j'ai fait un rêve étrange cette nuit ! J'ai rêvé de Victor Hugo. Il était devant moi. Il m'a parlé et je n'ai rien compris à ce qu'il m'a dit. Je n'ai pas compris pourquoi Victor Hugo plutôt que votre homme armuré de bleu, aux cheveux blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur l'eau. Les rêves sont parfois si étranges.

- Laisse ton rêve à sa place ! » répondit Jeanne à sa fille.

Jeanne a soudainement crié devant sa tasse de thé saupoudré de lait en poudre, créant un petit nuage amer :

«  Pourquoi les hommes ne veulent plus rien connaître de l'histoire, s'acharnant à trouver le vide pour leur seule volonté à trouver le bonheur, sommant ainsi leur conscience à s'asseoir dans le confort qui, rien, n'enseigne, enterrant pour la seconde fois les déjà-morts dans la douleur renouvelée ? Ne savent-ils pas qu'ils sont morts à eux-même quand ils ignorent ce que fut le malheur ? Ils ne le verront pas venir, car ils ne le verront pas surgir. Je veux que l'histoire revienne sur les bancs des écoles. » Elle ajouta : « J'ai vu accroché au mur du salon de ma belle-fille, le portrait d'un homme portant un casque à pointe. Je n'ai pas pu m'empêcher de pousser un oh ! de grogne. « Comment ? Vous ignorez ce qu'ont fait les « casques à pointe » en 1914 ? Si vous le saviez, ce portrait ne serait pas accroché dans votre salon ! Ils jetaient les enfants dans les puits devant le regard terrifié de leurs mères ! Est-ce cela que vous admirez ? » La jeune femme répondit à Jeanne : « Au diable l'histoire, ce n'est qu'un beau portrait ! C'est mon arrière grand-père ! » Jeanne ne fut pas invitée au mariage de ses enfants parce qu'ils étaient terrifiés à l'idée qu'elle puisse narrer ses souvenirs de guerre. La peur n'est pas toujours à la bonne place ! La mémoire non plus ! et pensa que ce portrait lui était un affront. L'avait-elle seulement dit à ses enfants ? Oui, elle le leur avait dit. S'en souvenaient-ils ?

Non loin de là, dans une autre ville de Lorraine, un petit polonais-allemand de douze ans, clamait la venue du général, malgré pierres jetées à boulets-portant en sa direction de « polack »-allemand et faisait sienne la liberté du monde, malgré l'autre douleur de sa mère à la tête rasée. Elle était polonaise, née à Leipzig en Allemagne ! Réquisitionnée également parce que née en Allemagne avait été fatal à sa belle chevelure blonde ! Les pierres n'avaient pas tuée leur volonté d'être libre en terre de France, en terre polonaise qu'avait été la Lorraine de Stanislas.

« Ne jamais être sous le joug de la tyrannie et du chantage, quelqu'il soit ! » dit-elle. Dit-il.

Il était le Roman des alexandrins qu'il aimait écrire. Il dit un jour à sa fille: «  Vois-tu, les hommes ne seront jamais ce que le monde attend d'eux ! Tant que l'Europe ne se fera pas sous le drapeau des douze étoiles, ce n'est pas le fer et le charbon qu'il faut choisir, mais bien les douze étoiles cernant la tête de la Mère de l'Humanité ! Le monde n'a pas compris que du fer et du charbon, nous allions vers la noirceur du monde alors que sous les étoiles, c'est le soleil qui aurait brillé contre la tyrannie ! Je t'en conjure, du haut de tes sept ans, fais tienne la liberté ! Là, où tu verras un oiseau blessé, prends la peine de lui faire digne tombe si nul ne peut le sauver et cueille la peine, là, où tu la verras. D'une épine, il y a toujours une rose au bout de sa tige quand bien même elle te griffe. Il n'y a pas d'Europe sans nations fraternelles, et cependant, cultive toujours ton identité. Sois polonaise ! Sois allemande ! Sois française ! Sois le monde si tu le peux ! Tu le pourras !»

Depuis, Roman, Jeanne et leur fille ont uni leurs voix, outre tombe, de Chateaubriand à Hugo et Goethe : « Je veille sur toi. »

Ainsi s'achève la mémoire du temps et Claudine vous a promis qu'elle ferait de vous, Madame, une centenaire, pour que vous puissiez dire, encore et encore la Meuse qui court en votre cœur, la Meuse sans frontière que vous dîtes n'avoir été que de vous, que vôtre !

Si je joins mes yeux aux vôtres, c'est pour la liberté dont vous fûtes l'actrice en plein jour lors d'un grand brasier contre la tyrannie. Faut-il du courage pour, à quatorze ans, défier le mal et le regarder, ensuite, fuir par ses propres actes, luttant contre lui, comme vous l'avez fait. C'était rue Jules Ferry à Neufchâteau dans vos Vosges pour votre Lorraine. Oui, vous avez mérité, Madame, le salut du Général quand passant dans votre rue Gohier, vous étiez là, et votre futur époux, que vous ne connaissiez pas encore, l'applaudissait, recevant au visage les pierres de la haine parce que Polonais-Allemand.

Claudine baissa la tête. Pleurait-elle ? Puis levant son regard vers les nuages poudrés de bleus et de roses, elle leur dit : «  N'oubliez jamais qui vous portât, le ventre lourd, car rien du temps ne refera ce qui aura manqué lorsque le temps arrache la présence terrestre de l'amour incarné que peut-être nous n'avons pas vu ! Il se cueille des brassées de fleurs à chaque pas soutenu, des gerbes d'étoiles offertes au soleil témoin des liesses et des actes engrangés. »

Les nuages émus de leurs ventres ronds entonnèrent « L'Ode à la joie » de Friedrich von Schiller et de Ludwig van Beethoven que le monde n'a pas encore pris sur lui, pour lui, en lui, et que Jeanne chantait avec Claudine pour la beauté des nuages dans le ciel de l'homme armuré de bleu, aux cheveux blancs comme la neige, ondulés comme les vagues sur la mer.

 

 


         

 

N'oubliez jamais qui vous portât, le ventre lourd, car rien du temps ne refera ce qui aura manqué lorsque le temps arrache la présence terrestre de l'amour incarné que peut-être, nous n'avons pas pleinement vu !


          Il se cueille des brassées de fleurs à chaque pas soutenu, des gerbes d'étoiles offertes au soleil témoin des liesses et des actes engrangés.

 

 

 

Ultime souffle

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Peinture André janmot

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Po%C3%A8me_de_l%27%C3%A2me

 

Quand la mère dira son dernier mot, sans adieu,

Et que son ultime souffle ne sera qu'un expir,

Sans retour pour moult rêves inaccomplis,

Et encore cent veilles au chevet de sa vie,

Que dira le fils proche de sa lanterne éteinte ?

 

Rien !

 

Quand elle partira, le corps vide et lassé,

Et que l'habit, laissé sur l'autel des tristesses,

Laissant désert le champ des blés brûlés,

Et encore aride le puits des détresses,

Que dira l'aimé loin de sa tombe ?

 

Rien !

 

Quand elle volera parmi les oiseaux,

Nourrissant les anges de leurs pensées,

Et que les siennes tomberont en lambeaux

Pour avoir trop espéré en son retour, écorchée,

Que dira le tendre dans le lit de son coeur ?

 

Rien !

 

Quand elle laissera sur terre ce qui fut tourbe,

Pour ne prendre que quelques fleurs bleues,

Et que de pureté devenue filament or,

Hissant haut la chimère déchue en deuil,

Que dira l'enfant adoré devant la tombe ?

 

Rien !

 

Quand le fils, puis l'autre, regarderont le ciel,

N'y voyant qu'un bleu orné d'élégance,

Dans leurs beaux voyages loin de ses bras,

Que verront-ils, si ce n'est désolation d'avoir haï

La vie dans la mort qui dit sa dernière parole ?

 

Vide !

 

Quand de Vienne, de Venise et du Triomphe,

Enfin las, peut-être, d'avoir vécu pour rien,

Sans claires étoiles sur les marches des opéras,

Qu'entendront-ils du dernier chant avant le départ ?

S'il est un chant, sera-t-il d'un cygne glorieux ?

 

Cygne noir !

 

Quand l’ascension terrestre achèvera ses galons

D'un bleu marine livide, et qu'elle tiendra ma main,

Les larmes perlant des pertes d'aimer trop,

Et que la nuit se costumera sans pures étincelles,

Que diront l'un et l'autre devant la tombe ensevelie ?

 

Aucuns regrets !

 

Quand d'en haut, elle tentera de lever le voile

Pour leur dire que, d'eux seuls, elle a vécu

Et que sans eux, elle est morte d'absence,

Obligée d'aimer enfin qui elle n'aimait pas,

Que dira l'ange devant leurs portes fermées ?

 

Je vous attends !

 

Ma mère

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

Tableau d'Edouard Munch  https://fr.wikipedia.org/wiki/Edvard_Munch

 

Comme un jour s'achevant en plein midi,

Aux rides du temps ardent, tout à la fois engourdi,

Ma mère s'est levée d'âges, forte de courage,

Sans que les ans, jamais, ne la découragent.

 

Des années envolées, sans les avoir vues passer,

Elle a tellement pleuré, pourtant jamais lassée,

Tellement souri aussi, dans les larmes a tant œuvré

Sans que sa vie ne la plie, pourtant souvent navrée .

 

Plus forte que le chêne qui au vent se balance,

Que tous les rocs envient de solide résistance,

Elle va le cœur empli de souvenirs d'amour,

Riches d'éclats d'étoiles en plein jour.

 

Défiant le souple roseau aux étangs ballottés

Que rien des douleurs n'a ébranlé, ni affecté,

Que rien n'a plié, elle va le cœur au lointain,

Riche de ses chérubins aux jours incertains.

 

Parfois âprement meurtrie et aussi effondrée,

Parfois ancrée à l'heure des mémoires poudrées,

Jamais elle ne voit l'affût du vieillir qui tout envole

Que ses gestes encore alertes imitent des rossignols.

 

Quand de ses beaux yeux sans belles rides

Que jamais elle n'a fardés d'ombres, ni de vides,

Je vois tout l'amour promis au temps achevé

Que son âme noble a consacré de beaux levers.

 

Je plie à genoux déposés, l'âme toute froissée,

Quand l'idée me vient qu'elle peut nous laisser.

A-t-on idée de vieillir sans avoir tout dit de la mort

Et surtout de n'avoir que peu vu tous ses efforts ?

 

Quand je regarde les nuages blancs en balade,

Balayant tous nos ciels gris en promenade,

C'est d'amertume lourde que je la vois vieille

Sans que le temps ne m'ait montré ses merveilles.

 

Est-il trop tard pour honorer ses gestes de reine

Et encore pour élever le gland de l'imposant chêne

Qu'au fil des mousses des dimanches à nos rêves,

Elle a orné de ses bras nos visages à sa relève ?

 

Ô ! petite mère grande ! si majestueuse stature !

Jamais chêne ne fut plus sauvage, ni droiture,

Ni de force inégalée devant les mornes adversités

Qu'aux tempêtes des ans, elle s'est forgée de liberté !

 

 

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