Lancinantes courbatures
Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire
Tableau d'Odilon redon " Le sacré coeur"
http://www.musba-bordeaux.fr/sites/musba-bordeaux.fr/files/odilon_redon-dossier_pedagogique.pdf
Sur le nuage ondoyant des vertes prairies,
j'ai vu une ère estampiller ses rêveries,
là, où tout encore somnole, là où rien ne se perd.
Sous les étoiles, égratignée de tant de rayons verts,
j'ai vécu de blessures toujours renouvelées, là,
où tout se pense, éveillée comme un ange.
La main hissant la lumière, le cœur plein,
Semblable à un vase empli de rosée au matin,
j'ai vu danser parmi les pétales des fleurs,
au firmament vues, des myriades de cœurs.
Aux ailes blanches des soleils secourus,
j'ai tendu, au printemps, un rideau pourpre, émue.
Mille ans que le soleil me fredonne sa caresse ;
davantage encore qu'il me revêt de sa liesse.
À tant me vouloir en son sein, abreuvée de sa sagesse,
le corps en croix pour tant croire à ses largesses,
j'ai vécu d'Amour aux tempêtes des ombres terrassées
que nul n'a crues, pourtant vues, toujours d'elles, aimée !
Quand le mal aime la lumière de l'Amour,
c'est de blessures nobles qu'elle se tisse tout autour,
à tous les vents, tous les orages, tous les ouragans,
car il n'est de bien sans être aimé du mal agissant,
quand bien-même vous semble être le paradoxe
de tous les solstices, tous les équinoxes.
Ai-je été châtiée que je me sais l'aimée des Dieux.
Ai-je été secourue que j'ai vu, ouverts, les Cieux.
Le vent était ma caresse au pays des songes ravis ;
la pluie sur la terre pleurait ses rêves défaits à nos vies
si souvent tourmentées, inconscientes des allégresses,
que seuls, lesÊtres ailés chantent à la grande messe.
Quand invitée à la grande table, j'ai vu une corbeille d'or,
les fruits oints d'huile bénie par une stature couronnée d'or,
j'ai, seule, béni les lèvres sous le doigt de la Sophia.
adorée de la protection confirmée,
reconnue par la parole affirmée.
J'ai marché droite sous les lancinantes courbatures,
quand douleurs et reins, affaissés de l'année torture,
créèrent le souffle des vies qui se pensent,
le doux regard dit : « Tu es moi ; deviens moi ! »
Oublierais-je l'ombre qui rôde quand chaque douleur sème
l'aube de l'appartenance à la lumière que, tant, j'aime ?
Oublierais-je la longueur des pas tremblants sous le poids
de ma croix, portée et aidée par ma Véronique à notre Roi ?
Entendrez-vous les cris des os qui s'affaissent sans bruit,
quand l'inhumain intime l'ordre de la marche en appui ?
Il n'est rien qui ne soit, sans que la mémoire n'ait acté,
il n'est rien au monde qui ne soit, sans la mémoire des Dieux.
Fragment du tableau de "L'échelle de Jacob" de William Blake