La Loire -autre version-
Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaireTableau de Gabrielle MOREAU -1920-
Ce soir, je pars refaire mes premiers pas d'enfant,
du temps des berges de l'Allier qui coule en ami.
Ce soir, je rajeunis, car il me plaît d'être sans âge,
moi, l'enfant comblé d'années vieilles, que siècles volent !
Ce soir, je n'ai plus d'âge ! Ai-je eu quelques années
que mes fleuves et mes rivières encor me bercent ;
Blottie dans le ventre de leurs courbes, je me souviens.
Ô Allier de ma Loire, je redeviens Ligérienne, ce soir.
Te souviens-tu, mon beau canal, époux de ma Loire,
combien mes jeunes années t'ont épousé, enlisée
sur tes bancs de sable, que seule tu as glissées
à mes doigts, jouant dans tes eaux bleuies du deuil ?
Qui a vu le Martin pêcheur, fier de sa gloire lumineuse,
voler sous sa tonnelle, où grimpaient sans décence
mes rosiers que ma Loire enviait, sait que j'ai déposé
une pâquerette sur son cœur, un jour d'anniversaire.
Tu n'étais pas là ; je ne sais pourquoi le Rhin te prit,
insolent à mes jours d'abandon, les soirs de lune,
quand le soleil jouait sur mon beau canal Ligérien.
Combien de pâquerettes effeuillées sans toi ?
Je marchai, emmitouflée d'un capuchon rouge,
pour avoir moins froid dans le blanc ciel d'hiver.
Elie-Anne, aussi, aimait tes flancs ronds qui , toujours,
portent ton nom, toi, le Roman des jours oubliés.
Quand convolant avec le Loiret, près du moulin,
je vis les ondes devenir larmes, j'appelais ton nom.
Ô ma Loire amoureuse de mes jeux, qu'encore,
Orléans s'en souvient et peut-être rit de mon âge !
Me diras-tu, Loire, si je t'ai manquée un jour,
quand obligée, je te laissais à tes couchers ?
Que soleils m'attendent ! J'arrive ! Attends-moi !
Je veux griffer tes berges de mes jeux innocents.
Ce soir, je ne suis pas là ! Je vogue sur l'eau
que la main de ma mère puisait au puits rond,
Comme le rêve tournant en rond toujours !
Pourquoi t'ai-je quitté, ô mon tendre opéra ?
Je pars me promener sur le chemin de sable
menant au lavoir des jours espérés heureux.
Non ! Ne dis pas que le Rhin est plus fort !
Il n'y a plus de fleuves, sinon l'Yonne qui rugit !
Te parlerai-je de l'Ain, qui nous fait un ?
Tu ne l'as pas vu dans sa gorge bruyante
que cris disent mon souvenir vieux d'âge,
que je meurs à mon temps, vieille d'âge !
La Voulzie n'avait pas ta parure des dimanches,
que mon capuchon rouge meurt de t'avoir laissée !
Je me suis fanée lentement, mourant de ton absence.
Est-ce pour cela que je suis sans âge, ma Loire ?
Ne crois jamais que j'ai cessé de penser à toi,
ô ma mystérieuse compagne ! Voudras-tu, ce soir,
m'offrir ma dernière marguerite ? Car ce soir,
je n'ai pas d'âge au bord de mon canal bleu.
Me liras-tu Victor Hugo, assise sur le perron ?
M'émouvras-tu encore avec ma triste Cosette
que j'ai pris sous mon bras, aimant mes soirs,
chagrine de ne plus lire mon Roman préféré ?
Ce soir, je suis si vieille, ma Loire ! ma source !
Si, fidèle, je te suis restée, c'est pour ta tonnelle
qui a rêvé ma vie en poésie, que pour toi j'écris.
Ô enfance sans âge ! Je suis si vieille ! Ce soir !