La Loire
Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaireLouis Japy "paysage du bord de Loire"
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Aim%C3%A9_Japy
Ce soir, je pars faire mes premiers pas d'enfant,
sur le banc de la Loire que j'aime de sa grâce.
Ce soir, je rajeunis, car j'aime être sans âge,
moi, l'enfant chargé d'années que siècles envolent !
Ce soir, je n'ai plus d'âge ! Ai-je eu quelques années
que mes fleuves ardents, encore, me consolent ;
Blottie dans leurs belles courbes, je me souviens.
Ô ma Loire ! je suis Ligérienne, ce soir.
Te souviens-tu, canal, ami de mon fleuve,
combien mes années t'ont épousé, enlisée
dans ton sable blond que tu as glissé
à mes doigts, jouant dans tes eaux bleuies du deuil ?
Qui a vu mon "Martin-Pêcheur " * dans sa majesté
voler sous ma tonnelle, où grimpaient, sans décence,
mes rosiers, sait que j'ai déposé dans son lit
une pâquerette sur son cœur d'anniversaire.
Tu es absent ; sais-je pourquoi le Rhin te prit,
insolent de solitude, mes soirs de lune,
quand le soleil miroitait d'éclairs sur ta mousse ?
Combien de pâquerettes effeuillées sans toi ?
Je marchai, emmitouflée d'un capuchon rouge,
pour être moins gelée dans le blanc ciel d'hiver.
Elie-Anne chérissait tes flancs ronds qui, toujours,
portent ton nom, aux romans des jours oubliés.
Quand convolant sur le Loiret, près du moulin,
je vis l'onde être larmes ; je criai ton nom !
Ô ma Loire amoureuse de mes jeux, qu'encore,
Orléans s'en souvient et rit de mes années !
Diras-tu, Loire, si je t'ai manqué un jour,
quand, obligée, je te laissai à tes couchers ?
Que soleils m'attendent ! J'arrive ! Attendez-moi !
Je veux griffer tes berges de jeux innocents.
Ce soir, je ne suis pas là ! Je vogue sur l'eau
que la main de ma mère rapportait du puits rond,
comme le mirage tournant en rond toujours !
Pourquoi es-tu parti, ô mon tendre opéra ?
Je pars me promener sur le chemin de sable
menant au lavoir des jours espérés heureux.
Non ! Ne dis pas que le Rhin est plus souverain !
Nos fleuves meurent et l'Yonne fière rugit !
Te parlerai-je de l'Ain, qui nous a fait couple,
et que tu n'as pas vu dans sa gorge bruyante ?
Que les soupirs disent mon souvenir vieux d'âge,
que je meurs à mon âge, si vieille d'années !
La Voulzie n'avait pas ton joyau des dimanches,
que mon capuchon rouge meurt de t'avoir laissée !
Je me suis fanée longtemps, exsangue d'absence.
Est-ce pour cela que je suis vieille, ma Loire ?
Ne crois pas que j'ai cessé de penser à toi,
ô ma sibylline amie ! Voudras-tu, ce soir,
m'offrir ta dernière pâquerette ? Ce soir !
Je suis sans âge au bord de mon long canal bleu.
Liras-tu Novalis, couchée sur mon perron ?
M'émouvras-tu encor du rire de Cosette,
Que j'ai pris sous mon bras fort, sensible à mes nuits,
Triste de ne plus lire mon Roman élu ?
Ce soir, je suis si vieille, ma Loire ! Ma source !
Si, fidèle je te suis, c'est pour ta tonnelle
qui rêve ma poésie, que pour toi, j'écris.
Ô mon enfance ! je suis si vieille ! Ce soir !
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* Martin-pêcheur", nom d'une maison habitée en 1964 le long du canal longeant la Loire
"Promenade du front de Loire"