LA DAME AU MANTEAU EN CACHEMIRE.
Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaireTableau de Michel Garnier
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Par un bel après-midi d'automne, une femme fière de sa bonté dit : « Tous les jours, lorsque je vais faire mes courses, je donne une pièce à un clochard assis au coin de la rue. »
La dame était aisée et n'avait pas eu le besoin de travailler pour sustenter sa progéniture. Aussi s'émerveillait-elle lorsqu'elle donnait l'aumône à quelques uns, quelques unes, terriblement dans le besoin, mais de ces besoins qu'elle n'avait jamais connus, pas même la plus petite parcelle des yeux qui implorent sans le montrer vraiment, parce que le besoin ne se dit pas. Après tout, ne se voit-il pas ? Parfois ne se devine pas.
L'après-midi était superbe, et tout semblait paisible dans le beau quartier, que seuls les gens habillés de cachemire, de soie et de beau cuir, habitent. Cependant, existait un clochard, pas très loin, un peu en retrait du beau quartier, car habiter un trottoir pavé de belles pierres ne se fait pas.
La dame aimait Victor Hugo, Léon Tolstoi, tant d'autres, parce qu'ils décrivaient cette misère qui fait pleurer le soir avant de s'endormir sous de beaux draps, dans une vaste chambre, afin d'avoir bonne conscience et de dire que l'on comprend l'infortune. Ah ! Les grands auteurs ! s'ils n'étaient pas là, que comprendraient les petits bourgeois, les grands aussi, sur l'adversité et ses combats de tous les jours ? Peu ! Rien !
On allait, là, à l'église, toujours heureux de dire que le clochard du coin était béni de sa pièce quotidienne et qu'il pouvait au moins se sustenter d'un bon quart de vin, à défaut d'avoir un vrai repas, mais elle avait donné sa pièce, histoire de s'endormir avec une belle prière :
« Vois, Seigneur, tout le bien que je fais ! » Le prêtre, aussi, trouvait la dame forte de bonté. Toujours calme, souvent calme, pouvant perdre son calme.
Tous étaient admiratifs jusqu'au moment où elle lâcha un rire, s'esclaffant d'un « J'ai au moins -MON- clochard ! Celui-là me suffit ! »
La petite assemblée poussa un oh ! sans qu'on sut si c'était admiration ou écoeurement, quand un adolescent dit :
« J'aimerais bien faire de l'équitation, mais je n'ai aucun moyen pour en faire ! » L'adolescent étaient de ceux qui n'ont rien, ou si peu, qu'ils donnent une pièce glanée difficilement, à un homme dans le besoin, sans le dire à personne.
La dame répondit à l'adolescent : « C'est bien d'avoir des rêves, ils font vivre, et même si tu ne peux jamais les réaliser, ils te feront vivre parce que tu espéreras toujours et que sans espérance, tu ne seras rien.
« Quoi ? cria l'adolescent. C'est tout ce que vous avez à dire ? »
La dame perdit son calme et hurla vers son époux : « Martin ! Tu entends ce que cet adolescent me dit ? Je serais une infâme mégère ! » chose qui n'avait pas été formulée !
La dame avait juste su crier ce qu'elle savait d'elle, c'est à dire qu'elle était une mégère.
Le lendemain, c'était dimanche, c'était encore une très belle journée ensoleillée, elle alla à la messe avec son époux , heureuse d'avoir entendu un superbe passage des Evangiles. Etait-ce saint Mathieu 19-16/30 ? Elle alla donner sa pièce au clochard, allant chercher son pain, tout en disant à l'adolescent qui n'allait pas à la messe, mais qui donnait -de temps en temps- une pièce à n'importe qui d'assis sur un carton humide, le veston mangé par les mites, sans rien dire : Vois-tu ! plutôt que de me croire mégère, tu devrais aller entendre ces belles paroles ; tu n'en deviendrais que meilleur, et tu comprendrais que l'espoir est un aliment.
Elle avait dit aliment comme on dit : je n'ai plus faim, j'ai assez mangé, pendant que d'autres meurent vraiment de faim.
L'adolescent n'avait pas treize ans.
La dame enleva son manteau en cachemire, et l'adolescent remis son pull-over pour ne plus jamais revenir.