Fernand Pelez "sans-asile ou les expulsés"
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fernand_Pelez
http://parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/sans-asile#infos-principales
Il y a des vies aussi lourdes qu'un giron plein
Des destinées si vives qu'une seule croix suffit soudain !
Les clouer toutes au gibet, aux cris des blessures athymiques
Au gibet des cris, les voir crier de clous autant que de triques !
Il est des destinées enchevêtrées croisées à nos bras,
Leurs bras en croix, leurs jambes arquées, les dos si las,
Courbés sans l'être tout à fait car de droiture il faut vivre,
Des destinées que la mort prend de leurs faces vives.
Couchés tout le jour, aimés des paillasses sans ressorts,
Les vertèbres bleuies par les mailles des matelas sans trésor,
Ils rêvent, laissant voler au vent, des dizaines de feuillets
Chaque jour vole du calendrier l'esprit de la liberté effeuillée.
L'aube s'est couchée avant de se lever au fond de l'horizon lambeau
Quand le crépuscule les a aimés torturés, créant leur tombeau,
Sans que pierre n'ait été roulée, ils ont abjuré leurs pères,
Et dans la voussure de leurs corps, ils ont appelé leurs mères.
J'ai, sur leurs fronts, cent blessures d'enfant meurtris
Et sur mes mains, leurs morsures d'adultes sans patrie.
J'ai dans le cœur leurs raz-de-marées qu'ils confessent
Et dans mes articulations, je porte leurs lourdes faiblesses.
Vous qui avez du pain en bouche, à leur moud, du levain,
Donnez à vos pensées le grain de votre mouture au moulin.
Pour ces ventres vides qui n'ont que l'odeur de l'amertume,
Abreuvez les de miel à l'abeille tirée aux rayons de l'écume.
Elles n'ont du soleil que le parfum des roses aux cellules grises.
Que de sournoiseries à leur manque de maîtrise dans la traîtrise !
Tirez le vin des outres à vos ceintures que le raisin saigne
Pour que de son fruit, ils puissent espérer la vigne qui baigne.
Si vous faites cela, vous le ferez pour moi afin que mon vase,
Si plein, baigne leurs plaies et à leurs cœurs, que vienne l'extase,
Car il n'y a de vide sans le plein, de ténèbres sans la lumière !
La nuit n'habite pas que l'âme impure, et le soleil, la lumière !
Léon Frédéric : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Fr%C3%A9d%C3%A9ric
Hier encore, hier encore, léger était le vent
Et sous l'ombrelle du feuillage jouait le temps.
Hier, hier, passait aérienne la couleur des sèves,
Et ambre d'écorce tendait sa veine sur la grève.
Loin des motifs de nature, proches des étincelles,
L'eau souriait des vagues émues par l'hirondelle,
Et haut dans le ciel bleu, disait sa joie d'être belle,
Quand le sourire coulait du pastel des mirabelles.
Hier, hier encore, volait dans l'air légère abeille,
Butinant le lierre, butinant la sauge et l'oseille.
Hier, hier aimait le pourpre de l'oranger du fruit
Que lèvre fardait des jus qu'été d'horizon bénit.
Petite mésange bleue adorait la branche en vol,
Et l'écureuil batifolait avec constance en cabriole.
Oh ! saut élégant que raisins envient aux ombellules.
Ils ont désiré l'évanescente joie de la libellule.
C'était hier, hier ! et l'enfant blond s'est assis triste
Le cœur pris de fatigue, les lèvres à jamais pacifistes,
Éprouvé par le vent, attristé par la pluie, pleurant
L'attente des ombres que ciel regarde en souffrant.
Odilon Redon "Les Yeux clos"
http://www.musba-bordeaux.fr/sites/musba-bordeaux.fr/files/odilon_redon-dossier_pedagogique.pdf
Que veut mon Novembre à ma pensée somnolente,
Loin des fleurs qui ont orné mes vases, opulentes ?
Les gnomes, aux jardins de juin, se sont endormis.
Les fées aux roses ne taquinent plus les fourmis.
Les Salamandres ont rejoint Jupiter en sommeil.
Dans les maisons, tout s'assoupit, rien ne veille.
Tout dort à l'entour. Tout somnole dans l'Avé.
Seules, les rimes semblent encore rêver.
Pourquoi de novembre, suis-je le cristal d'une larme ?
Du cristal, deviens-je l'obsidienne de mon âme ?
Des prières aux pensées, tout se veut souffre.
Le printemps et l'été s'alitent ; l'automne souffre.
Au déploiement de mon frère Novembre,
À la naissance de sa soeur Décembre,
Ô, mon somptueux recueillement !
Tout m'est fécond d'endormissement,
Car il n'est de profond et de lent sommeil
Sans les rêves qui ne fécondent les hommes qui veillent.
Quand fleurs meurent au prompt chant des Ondines,
Les arbres se dévoilent, offrant au vent leur col Claudine.
Aux saisons se mourant sous des baumes d'ambre,
C'est de trépas qu'est mon époux, mon fier Novembre.
Brandissant ses flèches, mon orgueilleux Jupiter
Meurt à ses feux de joie sur ma terre.
De sa noble stature, je ne perçois de son feu
Que l'adouci aux feux sages, de l'été son adieu.
Pourquoi de Novembre, la langueur humble, me confine,
Pleurant les Sylphes ; l'élégance perdue me ravine,
À leurs seins, qui de tout temps, me nourrissent ?
De leurs entrailles qui me bénissent, me pétrissent,
Me modèlent, jusqu'au venant noeud lunaire,
Creusée, brûlée, percée jusqu'au coeur solaire,
Je vis des émois l'étreinte dessérrée qu'abandonnent
Les rayons aux berges des brouillards qui me chiffonnent.
La langueur des chants d'automne m'assoupit.
Aux aurores chantées, je n'entends plus le saut des pies,
Ni leurs chants muets, au nid se morfondre, alanguies.
Des mésanges, je n'entends plus la douce mélodie.
Des grives sautillant dans mon jardin, le bec mutin,
Je n'ai plus la beauté des danses qu'aiment les lutins.
De Novembre, faut-il ouir le silence que tout contient,
L'âme assaillie des musiques à mes yeux éteints ;
Repentie, aux chants de Lohengrin, casser mes bogues
Qui ne sont plus qu'un silence dans lequel je vogue.
Les forêts, profondes abbatiales, naissent temple ;
Aux lueurs des merveilles brûlent de flammes amples.
Coeur de Novembre, oh ! S'étreint de voltiges en volutes,
Parmi les flèches d'argent, aux dômes, jouent du luth,
Avec la brindille alourdie, sa ramure perdue.
Volent les parures de feu, au vent éperdues.
Est-ce pour cela qu'automne m'alite sur son lit de gel ?
Est-ce pour le silence qu'il m'aime au feu des nigelles ?
Est-ce pour les roses frippées que je me couche, blanche,
Dans le manque des rondes qu'arc-boutent leurs branches ?
Ne vois-je des sépales que l'arrivée de l'étoile
Que mon coeur surprend au ciel du voile ?
Novembre n'a rien dit à ma vie d'ailes idéelles !
Novembre n'a pas esquissé sa rime irréelle !
Novembre n'a pas répondu à l'assoupissement,
Moins encore n'a dit d'arcs de feu son flamboiement.
Alors, pendant que les cimes, du beau mois endormi,
Créent la somnolence transie de froid à l'endormie,
J'entends la douleur hurler sa mort, car il n'est rien
De Novembre qui, de tout, se meurt fécondé de biens.
Les saisons - L'Automne - Alexandre Glazounov