Si un jour, je venais à me taire.
Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire"Le fantôme" de Louis Janmot
Si un jour je venais à me taire,
Viendra assurément ce temps,
Si ce temps arpenté, solitaire,
Au bord des verdoyants étangs,
Venait à dire son plain-adieu
Et il viendra fort assurément,
Ma rivière emportera à mille lieues
Tout ce qu'elle a vu de mes sentiments.
Ne chuchotez rien !
Ne parlez pas !
Ne dites rien !
Ne riez pas !
Quand je ne serai plus qu'une cendre
Que l'Yonne regardera flotter,
Je dirai encore la beauté des méandres
Qu'aux écluses arrêtées, elle a aimé
Et aux cygnes blancs prenant mon lavis
D'une destinée qui se sera tue,
Je tairai encore les enfants blonds sous la pluie
Que l'Yonne a ravi de puissance et vus.
Ne chuchotez rien !
Ne parlez pas !
Ne dites rien !
Ne riez pas !
Comme la Marmagne coulant ailleurs,
Proche du satyre Du Pont, parfait Cerbère,
Et de ses sbires à cent têtes sans fleurs,
Combien de temps avant que vie d'hier
N'avale ses pleurs qu'Yonne répudie ?
Et dans le tournoi que feuilles écrivent
Des juges noyés dans la comédie,
J'ai gardé le chant des mercis* à ma rive ?
Ne chuchotez rien !
Ne parlez pas !
Ne dites rien !
Ne riez pas !
Et devenue lionne, elle a mugi
Ses enfants dévorés, à jamais partis,
Que son cœur pleure de désespérance infinie.
Elle a ouvert large sa bouche de colère ternie
Car rien n'apaise sa maternité ensevelie,
Son âme meurtrie.
* en référence aux écrits "les chants de la merci" de la poétesse auxerroise Marie Noël