Béatrice Lukomski-Joly


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L'homme altruiste

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

tableau "Le Voyageur contemplant une mer de nuages" 

(Der Wanderer über dem Nebelmeer)

de Caspar David Friedrich

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_%C5%93uvres_de_Caspar_David_Friedrich

 

J'ai vu un homme, beau, altruiste et gracieux,
Venu une nuit enneigée de printemps capricieux.
Quand des montagnes et du silence, il naquit royal,
Une nuit revêtue d'une pèlerine tissée d'étoiles.


Il ne dit mot, acceptant le silence du jour diluvien,
Sa pensée confortant le bruit inaudible qui advient.

Il était de ces âmes profondes, nues et vraies
Qui, aux affres des temps dirigés, souriait,
Aimait, ratissant l'amour pour une seule fleur.

L'esprit grave, telle une destinée lourde d'heures,
Se discernant à la forme des mains vieilles d'âges,
Et encore à l'austérité dense de son visage,
Je le vis arriver comme un léger papillon dans l'air,
Paisiblement né de sa chrysalide nourricière.


Le rictus tranquille, la lèvre muette, le front haut,
La pensée sereine et riche de vies que veut l'En-Haut,
Que mémoires subissent, la volonté assidue,
Il mesurait la vie comme on gravit une falaise ardue.

 

Il neigeait. Il ventait.
La nuit dormait.
Le silence se reposait,
Et sa vie frémissait.

 

Il ouvrit ses mains comme enviant les aumônes
Que seul l'amour offre au soleil et son trône,
Que seule la vie déploie à la hauteur de l'amour,
Que seul l'esprit réclame, armé devant les vautours,

Portant un rayon vaste de lumière gravé au cœur,
Des joies et des tristesses qu'l il sait par cœur.

 

Comment arriva-t-il à la croisée de mon chemin,
Griffant la route d'épines d'un beau rouge carmin,
Montrant une rose vermeille, toute de parfum,
Qu'à deux, nous devions répandre de thym ?


Encore j'ignore ces rives qui me l'ont consacré,
Ce bel homme avec l'éclat d'embellies et de puretés
Qui choisit la pauvreté, l'indigence et l'exigence
Tout en concédant large, le cœur des innocences.

Il posa sa main sur mes lèvres crevassées,
Invitant au silence pour tous actes terrassés.
Puis il griffa la terre d'une croix d'un doigt,
Disant : point, nous ne voyons l'épine au bois,
Nous devons guérir nos plaies d'amour et de joie,
Si tu me veux pour toute voie, soyons de même loi.

 

Le jour se levait,
La nuit s'achevait,
Le murmure se reposait,
Et sa vie aimait.

 

Il est venu le bel homme que l'on dit être le fils,
Celui que l'on nomme victoire parce qu'il fut sacrifice,
Qui, tant, a pleuré sa destinée d'amères ombres,
M'offrant tout le toit des supplices défunts sombres !


La rose a fleuri, a ourlé ses pétales de parfum
Que le thym a sauvé des pucerons au matin.
Il a posé sa pèlerine de chanvre sur mes épaules blêmes
Créant du silence, le chant des oiseaux que ciel aime.

 

Christian et Jean

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

http://paintings of king arthur and the holy grail

 

Jean Christophoros de Lebenkreutz

 

Christian, vois la flamme perçant le nuage !

Que portes-tu que tes yeux embrassent ?

Qu’est-ce que ce voile éblouissant ?

Et Toi, de haut en bas, de bas en haut, allant ?

Qu’elle est cette percée dans l’azur ?

Toute cette lumière rayonnant du sage ?

 

Christian de Rosenkreutz

 

Jean, vois la flamme incarnée des Nues,

que nos yeux embrasent et reflètent,

ce voile percé, ce suaire rougeoyant,

ce linceul immaculé posé sur mes bras.

Vois de toutes parts, la volonté semant,

éclairée de cette lumière perçant le nuage !

 

Jean Christophoros de Lebenkreutz

 

Flamme est née de l’aube avant l’aurore ;

tes yeux lors du crépuscule pour son halo,

né du matin au premier minuit du monde,

révèlent la Genèse de la douleur que tu prends,

redonne, diffuse, acclame et honore ;

Toi, venu, laissant le nuage orner la mort.

 

Christian de Rosenkreutz

 

Jean, épouse la nuit pour le jour et ses étoiles !

Vois percer le soleil, vois ma main te couvrir.

Vis la nappe de l’Amour relevant l’injure,

vois comment s’irisent les pieds nus revenus,

Lui, mon premier et mon second, mon semblable ;

vois sa jeunesse adorer la clarté de la vie.

 

Jean Christophoros de Lebenkreutz

 

Il est là ; toi aussi ; ensemble ; l’un dans l’autre.

J’ai vu le fils et la mère, la source et le temple ;

fut-ce cela ta parole jaillissante ?

Jour de mémoire où tu sauvas quatre vies ;

vois, je me souviens et suis, vis, en toi,

Lumière venue, lumière parue. Toi. Christian.

 

COMME FEUILLE EN AUTOMNE

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

FEMME DE REMBRANDT

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_tableaux_de_Rembrandt

 

Elle tremblait comme feuille fragile en automne,

Là, immobile, le mouvement triste et saccadé,

Ramassant du temps ce qu'il reste d'heures à créer,

L'air contrit, larmes figées, le regard triste dans le sien.

 

Elle ne disait plus un seul mot, la bouche éteinte.

Elle ne lui disait plus rien, plus rien de leurs émois.

Lui, n'avait plus rien à dire ayant tout dit, d'elle,

Tout dit des mouvements sans vie que la vie prend.

 

Elle était assise dans sa chaise de rotin au salon

Que rotin craquait à chacune de ses crispations ;

Elle passait du fauteuil au grand lit, du lit au fauteuil,

N'osant plus le regarder, n'espérant plus rire, ni sourire.

 

Elle lui avait demandé d'être son bras, ses jambes,

Avait abandonné sa promenade contre la montre,

Le visage figé, les doigts épris de sa douleur vive

Qu'il attrapait comme on peut à l'automne venant.

 

La vie était tissée de petits riens, de lourds chagrins

Qu'il ne montrait pas. Pas ! qu'il pleurait silencieux

Tout le jour, toute la nuit, surtout la nuit. Oui, la nuit.

Il veillait. Il la veillait, tellement amoureux d'elle.

 

Quand l'automne lent n'en finissait pas de rougir,

Quand l'hiver refusait de venir vraiment, elle tremblait,

Comme feuille veut rester accrochée à sa branche,

Comme branche reste accrochée à son bel arbre.

 

Il lui apportait des fleurs tous les jours, des roses,

Parfois des lys, d'autre fois des pensées colorées

Qu'elle fleurissait de beaux mouvements éteints,

Qu'il adorait de ses sourires encore émerveillés.

 

Elle ne lui disait plus rien, elle ne parlait plus.

Il lui lisait les poètes, le cœur cadencé par le rêve,

Le souvenir riche des amours abrités en plein été

Qu'ils avaient oubliés, qu'ils avaient rangés loin.

 

Lui, il veillait son amour, riant des fadaises,

Lui racontant les merveilles des palais fleuris

Qu'en sa mémoire à elle, il savait bleues fleurs.

Lui offrit-il un myosotis qu'il ravala une larme.

 

Elle était belle comme l'est une fleur d'amour,

Malgré les cheveux rares, malgré la lèvre pâle.

Lui, tremblait pour elle, d'un autre tremblement

Que feuille sur leur arbre à tous deux vacillait.

 

Personne ne voyait le début de l'hiver traverser

De petits pas en crampes douloureuses leur salon.

Il ramassait le verre qu'une tornade avait balayé.

Il essuyait encore parfois une larme qui coulait

Quand conscience de vie s'allume soudainement

Quand mémoire fléchit dans le geste qui ne peut plus.

 

Le cœur somnolent, elle ne se souvenait que de peu,

Et lui offrant ses bras pour la porter, lui son bras,

Lui ses pas, il avait souvent l'envie de dire sa détresse

Tout en se plaisant à lui offrir les fleurs qu'elle aime.

 

Et dans cet immense amour, dans l'immense désarroi,

Il regardait le monde et ses gens et leurs petitesses

Comme autant de ronces les griffant d'inutile.

À sa rose des matins lumineux, il dit le doux baiser.

 

Elle tremblait comme feuille vers l'hiver sur son arbre.

Personne ne savait. Une roue dehors semblait dentée

Grinçait sur le carrelage. Lui, il a peur, peur, peur,

Ne sachant plus, parfois, si l'amour est plus fort que vie.

 

Il la porte dans ses bras, maintenant ne le pouvant plus,

Et dehors dans le jardin, près du grand arbre vert

Qui dans le jardin admire les belles pierres posées,

Il rêve encore de l'épouser dans sa belle robe blanche.

 

Le verre vide

Rédigé par béatrice Lukomski-Joly Aucun commentaire

 

Un après-midi, sans que je ne m’y attende, vint un homme, mort depuis plusieurs années. Il ne vit pas que j’étais là, l’observant, car il ne m'avait pas aimé de son vivant. Un autre vint au-devant de lui. C’était un de ses fils demeuré sur terre. Celui décédé parlait à son fils et le fils n’entendait pas sa parole. Il savait juste qu’il était en face de son père. Faisait-il la sieste, le fils, pour qu'il apparut dans son sommeil à son père ? Assurément. C'est ainsi que je les vis.

Le père tendit un verre à son fils sur lequel était gravé la pyramide du Louvre. Le verre était vide et le père souhaitait que son fils le lui remplisse, non pas d’un breuvage mais d’un sentiment qui lui aurait dit qu’il pensait à lui et qui le savait vivant dans la mort. Mais le fils ne sut pas remplir le verre. Le verre resta vide. Les deux ignoraient que je les regardais car je les regardais en esprit, de ce monde que l’on dit ne pas exister et qui pourtant est bien réel. C’était si triste à voir.

Le père partit triste, emportant avec lui le verre vide que le fils n’avait pas compris qu’il lui fallait le remplir d’une eau vive. Ainsi découvrit-il, le père, d'en-haut, la valeur de son fils ne pouvant établir aucun lien avec lui.

Ainsi pleurent les défunts essayant d'établir un lien d 'amour sans y parvenir. C'est alourdir leur Kamaloka d'une force épuisante. 

Cela se passa dans la maison dans laquelle les deux avaient vécu et dont j'étais l'invitée.

Je relatai cette vue de l'Esprit et demandais à la maîtresse de maison la raison possible de la gravure sur le verre que je ne comprenais pas et qui était la seule énigme de ce que j'avais vu. La femme répondit : " Comment, vous ne le savez pas ! Ne vous l'ai-je pas dit ? Le fils travaille dans ce bâtiment."

Voir de tels évènements est d’une grande tristesse.

BL

 

La fille au bord de l'Odet et de l'Aulne

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"la Bretagne sous la pluie" 

Bretagne sous la pluie / © Via Flickr - Polar Lights

 

À genoux, le teint incolore sur des yeux limpides comme la clarté d'un nuage se chargeant de pluie, les yeux fatigués, elle marchait bordée d'innocence enfantine. Pleuvait-il sur le trottoir alourdi d'un bitume gris qu'elle semblait encore ignorer si un nuage était blanc, gris, peut-être bleu, parfois rose, semblables aux tissus enfantins qu'elle chiffonnait chaque jour entre ses doigts, ses jours travaillés. Elle était à l'aube d'une vie qui peinait à se dessiner car elle était à peine sortie de l'enfance, avec dans le regard et son rire toute la lumière du désir d'être soi, rien qu'être.

Elle ? Qui était-elle ? Elle, s'appelait Marie-Catherine d'Auxonne.

Je l'ai rencontrée, un soir de pleine lune naissante à l'heure ou le ciel se teinte d'or dans des rouges flambants de soie dansante, sous un arbre en fleurs presque vermeil, un cerisier japonais au cœur du printemps que le vent, déjà, balayait d'un coin de lèvres abrité d'une branche mettant en relief ses beaux yeux que nul n'imaginait qu'on puisse les délaver dans des larmes crues de la méchanceté des femmes d'un certain âge, un peu flétries par l'âge, enviant une pareille beauté pour la clamer laide à force de jalousie. Elle était assise au bord de la rivière longeant les rives de la ville ; était-ce l'Odet ou l'Aulne ? un peu des deux ;  et la ville brillait de la voir chaque fois qu'elle s'asseyait proche d'une goutte d'eau qu'on aurait dit qu'elle était la perle offerte des rocailles cristallines tissées dans une gouttière en fils dorés noirs étincelants que le courant léger de l'eau offrait à la beauté de la vie. Elle lisait, lisait un de ces livres que le temps n'aime plus voir entre les mains de la jeunesse délicate qui clame l'envie de connaître la beauté des mots. Elle avait sur sa bouche autant de mots que de verbes pour décrire la signification de tout ce qu'elle rencontrait. Je la regardais sous le cerisier japonais en fleurs, devinant un désarroi masqué par une page de son livre griffé d'une larme cassée par la brisure d'un je ne sais quoi, qui la peinait. Je regardais sa blessure mouiller son livre, son visage baissé sur un adjectif niais que je devinais lourd d'abus et d'insolence. Flic et flac, l'encre des mots se ternissait comme si un oiseau venait en plein vol de laisser chuter le peu d'eau qu'il venait de puiser dans la fontaine sise à côté du banc pour s'abreuver de l'aurore soumise à un soir craquelé, un cirrus fissuré, un océan desséché.

Des perles de cristal taillées telles un beau bijou de marque ruisselaient dans l'arbre battu par une soudaine pluie en souffrance, ne sachant plus s'il devait lever ses fleurs vers le ciel se ternissant de traits d'offrandes d'orage, ou les faner d'une volée cinglante d'un zéphyr doux devenant endiablé qui se levait. La rivière s'affolait un peu, épousant de son flux régulier mordoré la pluie qui cherchait à sortir de son lit le ruban bleu sombre filant pour inonder la ville grisée de bêtises odieuses qu'aime la connivence des gens mal intentionnés. Assise sur son banc affublé d'un vert fougère, elle ne semblait pas se rendre compte qu'il pleuvait et que son livre redevenait un parchemin fraîchement sorti de son bassin à papier rempli d'acide blanchissant. La robe fleurie collait à sa peau, son tissu transi de sanglots, qu'on ne savait plus qui l'avait trempée à ce point, la pluie ou les larmes. Elle ne bougeait pas. Elle laissait la pluie dévaler sur ses cheveux courts, sur ses joues à peine rondes, sur sa peau déjà toute cicatrisée de plaies de l'âme qui ont fait si mal, sur sa robe en soie de coton, sur ses chaussures vernies noires, confondant tout ce qui est humide, de la nature endolorie à la nature triste des créatures qui n'ont rien bâti dans le cœur échafaudé d'espoirs.

Nous étions en région Bretagne, là où les roches cisèlent les écorchures à coup de fracas de mer, les jours de colère, sur la face cachée des rochers plongeant dans l'océan, tantôt serein, tantôt épouvantablement assourdissant. Il y avait des falaises échues d'un hasard voulu où le destin dans les rares forêts qui bordaient les rameaux d'un manteau de feuillage nu n’aimaient pas être chahutés sans vous sermonner d'un doigt pointé d'une roche branlante menaçant de descendre la pente depuis des siècles. Je n'avais pas d'attrait particulier pour cette région blessante mais j'y étais arrivée, l'émotion en recul, parce que j'y avais été invitée à plusieurs reprises. Mes yeux épousaient le lointain horizon comme pour voler haut, et me rendre à la Hague que je préférais de bien des aspects romantiques que les côtes bretonnes ne m'inspiraient pas d'élan affectif. J'étais là, debout à regarder un ciel partagé par l'univers pour la grandeur des âmes en labeur, sans conviction que je devais y rester un jour de plus. J'entendais autour de moi tant de rêves vécus sur ces côtes ébaubies que je tentais souvent d'être les yeux de ceux qui l'admiraient sans en voir la beauté. Elle me semblait être la plus vaste blessure de toutes mes provinces par ces tranchants inlassables qui lacèrent de multiples traits taillés au scalpel les visages la dessinant. Était-ce pour cela que Marie-Catherine d'Auxonne pleurait sans le montrer, assise tour à tour au bord de l'Odet et de l'Aulne ?

Je m'approchais doucement comme pour ne pas effaroucher un piaf picorant quelques insectes dans l'arbre caracolant de sauts légers dans l'imaginaire des rêves. Osant un bonjour franc, cependant timide, ne sachant pas si je devais mélanger ses larmes à mes verbes d'empathie, elle leva un peu la tête, me regardant furtivement, ses paupières ne sachant pas si elles devaient s'effriter d'un mot perçu agressif quand nous sommes dans la peine : bonjour  !  ou bien s'ouvrir d'une corolle au printemps bercé des couleurs de mai dans la joie de parer le monde d'ondes éthérées dans la vie exubérante de débordements éclaboussés. Elle repiqua son nez fragile dans son livre sans formes, sortit un stylo-plume et écrivit sur la page de garde un bonjour en réponse qui s'effaça aussitôt qu'il fut écrit à cause de l'eau ayant détrempé le papier qui laissait quelques fibres de coton sur la pointée émoussée de la plume or fichée dans un tube fin de bakélite sombre usé qui avait dû beaucoup servir pour se raconter.

- Que puis-je pour vous ? Tant d'eau dedans vous et autour de vous me chagrine vraiment, dis-je craintivement, ignorant si l'interpeller ainsi allait la faire fuir ou ouvrir la porte des mots qui disent les maux subis à la forge brûlante de la vie. L'Odet, l'Aulne et la pluie surgie de l'océan vous rend si diaphane que je pensais que l'eau semblait être votre amie depuis toujours. C'est comme si une ronde d'anges blancs vous paraît de leurs robes ceinturées d'un ruban transparent que je devine, en compassion à vos soucis qui ne semblent pas être des fleurs nées d'un vœu.

- Oh ! Ce serait mal-aisant que vous le dire, répondit-elle d'une voix étouffée par des sanglots entrecoupés de soupirs lourds. Chaque fois que j'écris ce mot sur ma page, la pluie l'efface d'une multitude de gouttes flottantes dans ce ciel nervuré de nuages pesants.

- Je vois ! Mal-aisant ? Je n'ai jamais entendu ce mot, mademoiselle, et cependant il y a en son intériorité une force inégalée pour dire ce qu'il contient de douceur dans la réalité de quelque chose qui vous fait souffrir et que ce mot ne veut pas trahir.

- Vous aimez ce mot ? me demanda-t-elle, en pleurant encore plus fort.

- Oui ! Il est puissant. Si vous permettez, j'en ferai usage à mon tour car un mot né au monde traduit le verbe souhaitant exprimer une autre valeur que l'âme exprime, et ce monde au langage raréfié a besoin de mots forts pour dire ce qui le blesse. Vous n'aimez pas ce mot dont vous êtes la créatrice et la sculptrice ?

Elle ne répondit pas comme plongée dans un souvenir qui la taraudait au point de lui couturer l'âme.

- Il nous faut des mots neufs, lui dis-je assurée d'un langage que j'aimais aussi renouvelé.

- Je le pense également, répondit-elle, le griffonnant à nouveau sur la cotonnade de papier engourdie. Voyez-vous, je suis artiste, dessinant, composant de la musique, écrivant parfois à mes heures malmenées par les humains ayant perdu le sens de l'amour et de la vie.

- Perdu ? dis-je étonnée. L'a-t-il seulement déjà découvert un jour ? Le sens de la vie, peut-être ! l'homme se bat pour ne jamais la perdre et la remplir de beaucoup de vide, croyant qu'ils sont des pleins, mais le sens de l'amour, je doute. Il faut beaucoup d'empathie pour être l'autre et l'empathie ne tente pas de s'arroger le droit de dire " j'aime ! " car elle aime, c'est tout ! Elle est vous en l'autre.

J'étais maintenant aussi trempée qu'elle, elle de l'Aulne, moi de l'Odet, car vouloir entendre son chagrin m'avait fait oublier que l'eau des deux rivières transformée en pluie dans sa robe nuageuse m'avait convertie en sa semblable, mouillée jusqu'à l'os, croyais-je. J'avais froid, d'un froid partagé que la pensée épouse lorsque nous sommes d'empathie abondante aux misères de l'autre. Un rayon de soleil transperça la masse nuageuse pour me rappeler que prendre sur soi le chagrin de l'autre est un bienfait que le soleil noue à son voile habillant le firmament. Elle frissonnait ; je me baignais de ce seul rayon enluminé de chaleur qui me revigorait l'esprit d'un éclat sans pareil.

- Et, si vous me disiez cette mal-aisance plutôt que de l'enfouir comme une graine qui ne germera pas dans la terre car trop noyée. Tout au plus, glissera-t-elle jusqu'à l'océan, s'accrochant peut-être à une falaise tranchante, ou à une roche polie par les siècles que la forêt de Huelgoat abonde non loin de là dans son énorme chaos construit de mains de géants !

- Oh ! ce n'est rien ! C'est juste moi qui ne comprends pas l'animosité que l'on me fait vivre dans mes différences. Je fais semblant de comprendre pour ne pas m'enliser mais, je ne voudrais pas me renier en acceptant  les  attaques des pierres  cachant les serpents et que la fête de la musique lors des saintes Cécile émouvantes me ferait presque  voir la musique comme étant un outrage, moi qui  joue du piano tous les jours.

- Si je comprends bien, vous parlez de harcèlement au quotidien dans ces homophobies qui traquent l'autre pour le faire mourir, giflé de tant de craquelures insensées que celui qui afflige en est lancinant dans le matelas de haine déversée ! Pourquoi évoquer la sainte Cécile ? demandai-je étonnée.

Levant les yeux terriblement mouillés de larmes répétées au quotidien, elle acquiesça d'un hochement de tête tremblant qui ne faisait pas même trembler ses cils fixant une pierre dans le trou du diable de Huelgoat.. 

- Qui ose tenter d'assassiner vos différences mademoiselle ? demandai-je presque pétrifiée de découvrir encore et encore que la spécificité d'un être put être sujet à un meurtre psychologique. Qui ose ce crime ? 

- C'est à mon travail ! répondit-elle, hocquetant, accablée, laissant s'échapper un spasme tremblant d'anxiété. Je ne sais plus si je dois vivre, être, exister, respirer, quel mot utiliser pour  faire la réclame de leurs tissus et de  leurs perles, tant la charge de cette cavalerie homophobe m'accable. Dois-je ajouter une cicatrice à mes bras vieux de mille ans pour ces indignes femmes qui me harcèlent jours après jours ? Pour se débarrasser de moi, on me dit voleuse, méprisante, orgueilleuse, suffisante. Elles tentent de provoquer la faute en m'accablant de dires mensongers. Mais ... je ne suis rien de tout ça ! Elles me font peur. Je ne dors plus. Je fais semblant de plaisanter, de rire et elles disent que c'est de l'effronterie, ne percevant pas ou se situe la frontière entre le désarroi et la mort. Je pense parfois au pire pour que mes différences entrent dans le commun du siècle, luttant cependant pour  ce en quoi je crois  : la bonté en l'humain qu'elles n'ont pas même en filigranne dans la profondeur absente de leurs yeux. C'est terrible la haine dans des yeux ! Et personne ne saura qu'elles en sont la cause, le chemin et la finalité. Peut-être se cotiseront-elles pour une gerbe, disant que j'étais la plus extraordinaire des vendeuses en vêtements d'enfants et en bijoux de valeur. Nul ne les pointera du doigt parce qu'elles achèveront ma vie dans une belle gerbe de fleurs de saison habillée d'un beau ruban disant : «  à notre collègue tant aimée. » ! Les rubans des cimetières sont plein de mensonges. Je ne veux pas de leur banderole quand je ne serai plus. Elles seraient capables d'y inscrire la marque de leurs boutiques pour vendre sur un délit de harcélement qui flotterait sur les rivières qui n'oseraient plus avouer leurs noms.

- Moi, je le sais à présent. Je vous vois au bord de l'Aulne sous la pluie, proche de l'ancien pont ferrovière qui fait un pied de nez à la place du marché, au risque de prendre froid et de partir d'une pneumonie ! Qui a des yeux voit. Qui a vu cela sait que la profondeur de la peine est aussi large et profonde que la blessure de l'âme subie.

- Imaginez ! je dois jusqu'à mesurer le millimètre pour insérer un anti-vol !

- Et vos collègues ?

- Elles ont peur d'elles ; aussi ne bougent-elles pas, ayant peur d'être harcelées à ma place, mais elles voient, entendent, compatissent. 

Je la pris entre mes bras vastes comme le portique d'un temple grec et me tus, laissant les larmes s'infiltrer sur le col de ma veste rouge pareille à ma colère . Le ciel ne cessait pas de rouler ses vagues échues sur terre et l'océan criait sa colère magistrale aux cœurs des mégères sans âmes qui poignardent ce qui n'est pas elles parce qu'elles ne comprennent pas que le monde est tissé d'autant de différences que de feuilles uniques sur un arbre. Je compris pourquoi il pleuvait tant sur cette terre insensible qu'elle portait en son sein si peu de forêts que se chauffer à son bois en hiver était un leurre. Je partis vers la ronde des roches de Ménéham aux formes adoucies que l'Odet et l'Aulne me semblèrent loin des aspirations des anges ayant inondé la robe et le livre aux lignes imprimées désormais devenues illisibles.

- Si vous avez besoin, dis-je, voici mon adresse. Je témoignerai de l'Odet en rébellion et de l'Aulne en infâmie contre l'injuste pour que être soit votre chemin. Comptez sur moi quoi qu'il arrive, quelque soit la tournure des évenements.

Elle glissa dans ma poche un petit dessin représentant un bracelet de pierres en cristal taillées qu'un cygne voguant sur l'onde agitée prit en son bec et d'une robe enfantine sur lequel il n'y avait qu'un mot écrit : malaisant pour ne pas dire assassinée.

C'est écrit  à l'encre noire sur les rives brumeuses de l'Odet et de l'Aulne, de Chateaulin à Quimper. 

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