Du peintre iranien Rassouli
http://www.rassouli.com/
Puisque nous savons ce que la science enseigne,
Et que nonchalants nous allons, nos cœurs saignent !
Puisque nous aimons voiler nos yeux de lueurs sombres
Et que nous croyant humbles, nous sommes dans l'ombre,
Bercés d'illusions que nous aimons pour nous,
Hurlant nos perfections qui ne sont pas nous,
C'est soi qui ricane de découvrir sa noirceur,
Derrière le voile qui n'est que de terreur.
Quand levé à moitié, dans la lumière ombrée,
Nous croyons être sublimes dans la rosée,
Et que nous découvrons que rosée habite
Au-dessus de la boue dont nous sommes le rite.
Les grandes enjambées deviennent pas de fourmis,
Lorsque nous les avons crues grandes amies,
Et terrible est le jugement porté sur soi,
Affublés d'êtres noirs nous saluant aux abois !
C'est ainsi quand mort glane enfin son trépas.
C'est cela que rêve montre du dernier repas.
Tableau d'Arild Rosenkrantz
http://www.arildrosenkrantz.dk/uk/bio.html
Puisqu'il nous faut mourir une nuit, je m'incline ;
Et que dans la mort, tout se fige dans la bruine ;
Puisqu'il nous faut nous laisser seules, cette nuit,
Et que dans l'abandon, tout se brise d'ennuis,
De l'inachevée ardeur des amours imparfaits,
Je sais le cœur contrit à la forge des forfaits.
Des vœux pieux non aboutis, qui m'inquiètent,
Puisque la mort survient, terriblement muette,
Sans dire un seul mot pour nous prendre sur la grève,
Que la main divine prenne vaillamment le glaive
Pour que nos forts vécus endeuillés dans le rêve,
Ceinturent hardiment nos heures de trêve !
Laissant affligés et stériles nos cœurs lourds,
Qui ont commencé leur lent compte à rebours.
Nous regardons le passé figé qui nous attend,
L'ayant écrit au livre des vies d'espoir latent.
Faut-il pleurer l'abyssal déni en Akasha
Que nous ne prendrons plus jamais entre nos bras ?
En cette vie !
En cette vie !
Déceler les oublis que nous ne voulons voir
Malgré la connaissance sue un de nos soirs !
Faut-il languir trois vies pour éteindre le volcan
Qui a pris feu un printemps, sous un ouragan ?
Tu t'en vas, je m'en vais, il est déjà parti.
Nous mourons de notre enfance d'un pas aigri.
Puisqu'il reste encore de très longs mois à vivre,
Puisque nous pouvons faire refondre le givre,
Comme, si souvent, nous le tentons d'actes bons
Malgré le malheur que nous aimons vagabond,
Emplissons la pensée du temps de ses pardons
Pour que larmes soient celles du beau papillon.
Puisqu'il a fallu que tu viennes de ton ciel,
Le regard âpre face aux carences vénielles,
Puisqu'il fallait voir ce que je ne voulais pas voir,
L'esprit s'alitant pour sa paix qui ne peut déchoir,
Ne prenant pas nos mains tâchées d'opprobre noires,
Tu as fondé ma mère entre mes bras à ta Loire.
En cette vie.
En cette vie.
GIBRAN, Khalil - Le prophète - 16 La Souffrance, 17 La Connaissance de Soi et 18 L'Enseignement.
Edwin Austin Abbey
Réécriture dun poème en prose de Schiller
Un mortel voulait aller à Saïs, en Égypte,
Porté par sa soif de savoir, découvrir la crypte,
Dans laquelle tout est caché, dont le voile élève.
Il voulait gagner la sagesse dont la sève
Est vie, et que nul n’acquiert dans l'impatience.
Avait-il su un secret, qu'il voulait, de science,
Tout percer des arcanes que hiérophante garde.
Son ardeur, que le maître voyait tel un brouillard,
Ne put être modérée, hélas ! Mortel voulait.
Hiérophante craignait la flamme du valet.
Le mortel
Qu’ai-je donc, s’écriait-il, si je n’ai pas tout ?
La science souffre-t-elle le plus et le moins ?
Ta vérité, est-elle comme la fortune
Qui s'offre en parts inégales et opportunes,
Que l’on détiendrait en grands ou petits fragments ?
Ta clarté n’est-elle pas une pour l'Amant
Que la vérité se doit de livrer bénie ?
À celui, qui assoiffé, cherche dans ton nid ?
Le hiérophante
Prends un accord dans une harmonie bien réelle !
Obtiens une unique couleur dans l’arc-en-ciel !
Ce qui reste n’est rien, tant que notre alliance
Ne réunit pas l’ensemble de nos nuances,
Et l’ensemble des paroles créant l'univers !
Tous ces sons qui naissent du calvaire ! »
Ils s’entretenaient ainsi dans un château d'or
Silencieux dont le voile est de même d'or.
Immense, il frappa le regard de l'apprenti
Qui le contemple, stupéfait le loue et s’écrie :
Le mortel
Qu’y a-t-il donc derrière ce voile ?
Le hiérophante
La vérité est derrière ce voile.
Le mortel
Bien ! c’est la vérité que je cherche
et c’est elle que l’on me cache !
Le hiérophante
Lève le avec l’aide de la divinité
car nul homme ne peut le soulever
si je ne le seconde moi-même,
Pour que n'advienne pas ton requiem.
Et celui qui, d’une main profane
et coupable, veut arracher du fil d'Ariane
ce voile sacré, ce voile interdit...
Le mortel
Eh bien ? Tu en parles comme d'une tragédie !
Le hiérophante
Celui-là verra la vérité ...
Oui, il verra, nue, la vérité.
Le mortel
Étrange oracle ! Toi-même,ne l’as-tu donc jamais soulevé ?
Le hiérophante
Moi ! oh non ! jamais, et je n’en ai pas été tenté.
Le mortel
Je ne te comprends pas. Tu laisses ce bandeau !
Mais n’y a entre la vérité et moi que ce léger rideau …
Le hiérophante
Une loi, mon fils, une loi qui te ferait choir.
Une loi plus imposante que tu ne peux le croire.
Ce voile, léger pour ta main en confiance
serait soudain pesant pour ta conscience. »
Le jeune homme s’en retourne dans sa demeure
Bouleversé, qu'il en perd le sommeil à cette heure.
Pensif, il se tourne sur sa molle couche, et d'ennui,
D'une anxiété brûlante, il se lève à minuit.
D’un pas craintif, il se dirige vers le temple.
Il gravit le mur extérieur, d'un pas ample,
Et d’un bond effronté s’élance dans l’enceinte.
Là, il bute dans le silence cruel qui pointe,
Brisé seulement par le bruit de ses pas.
Du haut du dôme que nul ne voit à trépas
La lune noire projette son triste appât,
Et de sa lueur argentine, porte l'image
Dans les ténèbres du château vêtu de nuages.
Le voile jaillit à la lueur de la lune,
Comme un Dieu visible que nul n'a vu de runes.
Le jeune homme s’avance d’un pas incertain.
Sa main hardie va toucher le voile du matin,
ô voile sacré dont vérité soumet et cambre !
Un frisson subit agite tous ses membres
Et un bras invisible le repousse au loin
Puissant comme l'éclair, bienveillant comme l'Oint.
La conscience
Malheureux ! que vas-tu faire à la déité ?
Veux-tu porter atteinte à la divinité ?
Le hiérophante
Nul homme, dit l’oracle, ne soulève ce voile,
si je ne le seconde moi-même de l'étoile.
Mais ce même oracle, n’a-t-il pas ajouté :
Celui qui l'arrachera verra la vérité ?
Le mortel
Qu’importe vraiment ce qu’il y a là derrière !
Je veux le soulever, je veux la voir entière !
La conscience
en écho railleur
La voir en cette nuitée !
Tu veux voir la vérité !
Il dit ! Cela fut fait et soulève le voile.
Demandez maintenant ce qu’il a vu de l'étoile.
Je ne le sais ! Jamais il ne le dit, stupéfait.
Lorsqu’un curieux importun l’interrogeait,
Il ne savait que dire : « oh drame ! et Ô beauté !
Tout est là sans fards, nu comme la vérité.
Le mortel
Malheur ! malheur à celui qui arrive
à la vérité par une faute ! Jamais elle ne le réjouira.
Le lendemain les prêtres le trouvèrent pâle,
Mort, aux pieds de la statue d’Isis feue opale.
Ce qu’il a éprouvé, ses lèvres le turent.
Ce qu'il a vu, ses yeux jais en firent silence.
La joie de sa vie passa, ainsi son flambeau.
Une douleur profonde le mena au tombeau.
Ainsi est-il de l'oracle que vérité,
Sans pureté, ne peut être révélée
À qui veut soulever le voile d'orgueil
Sans avoir été initié par le Seuil
Qui, tout, donne de soi des fautes bestiales
Avant que de parfaire l'image du Voile;
Au Temple de Saïs était écrit :
" Je suis tout ce qui fut, ce qui est, ce qui sera et aucun mortel n’a encore osé soulever mon voile"
(1549-1080 av.J.C.)
ce qui sera ensuite gravé au temple de Delphes par la sentence attribuée à Socrate ( 470-469 av. J.-C )
et qui serait réellement du philosophe-mathémathicien Thalès ( autour de 625 avant J.C. ) Initié aux mystères égyptiens
" Connais-toi toi-même et tu connaitras l'univers et les dieux"
ce que développe Rudolf Steiner dans "Les mystères du seuil"
"Si tu veux te connaître toi-même,
Ouvre les yeux de tous côtés sur l’univers.
Mais si c’est l’univers que tu voudrais connaître,
Jusqu’au fond de toi-même plonge alors ton regard."
..............................
" Nul ne peut soulever le voile d'Isis s'il n'a soulevé son propre voile au Seuil de vérité pour le transformer dans l'horreur qu'il découvre de soi-même."
BLJ
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https://www.facebook.com/beatricelukomskijoly/
Dessin probable d'André Masson
https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Masson_(artiste)
Voici le texte original de schiller
" Un jeune homme que la soif de la science entraînait à Saïs en Égypte, pour apprendre la sagesse secrète des prêtres, avait parcouru rapidement plusieurs degrés du savoir ; son esprit inquiet le poussait toujours plus loin et l’hiérophante pouvait à peine modérer l’ardeur de l’impatient disciple.
— Qu’ai-je donc, s’écriait-il, si je n’ai pas tout ? la science souffre-t-elle le plus et le moins ? ta vérité est-elle comme la fortune qui se distribue en parts inégales, et que l’on possède en grandes ou petites parcelles ? Ta vérité n’est-elle pas une et indivisible ? Prends un accord dans une harmonie ! prends une couleur dans l’arc-en-ciel ! ce qui te reste n’est rien tant que tu ne réunis pas l’ensemble des sons et l’ensemble des nuances.
Ils s’entretenaient ainsi dans une enceinte silencieuse et solitaire, où une image voilée et gigantesque frappa les regards du jeune homme ; il la contemple stupéfait et s’écrie : — Qu’y a-t-il donc derrière ce voile ? — La vérité. — Quoi ! dit-il, c’est la vérité seule que je cherche et c’est elle que l’on me cache. ― Soulève ce voile avec l’aide de la divinité, répond le hiérophante. Nul homme, a-t-elle dit, ne l’enlèvera, si je ne le seconde moi-même. Et celui qui d’une main profane et coupable osera arracher ce voile sacré, ce voile interdit ; ― Eh bien ? ― Celui-là verra la vérité.
― Étrange oracle ! toi-même tu ne l’as donc jamais soulevé ? ― Moi ! Oh non ! jamais, et je n’en ai pas été tenté. ― Je ne te comprends pas. S’il n’y a entre la vérité et moi que ce léger rideau ? … ― Et une loi, mon fils, reprend le prêtre, une loi plus imposante que tu ne peux le croire. Ce voile, léger pour ta main, serait lourd pour ta conscience. ―
Le jeune homme s’en retourne pensif dans sa demeure, la soif du savoir lui enlève le sommeil. Il se retourne avec une anxiété brûlante sur sa couche et se lève à minuit. D’un pas craintif, il se dirige involontairement vers le temple. Il gravit légèrement le mur extérieur et d’un bond hardi s’élance dans l’enceinte.Là il s’arrête dans le silence terrible, interrompu seulement par le bruit de ses pas. Du haut de la coupole la lune projette sa lueur argentine, et dans les ténèbres de l’enceinte, l’image voilée apparaît à la lueur de cet astre nocturne, comme un Dieu visible. Le jeune homme s’avance d’un pas incertain, sa main téméraire va toucher le voile sacré ; mais un frisson subit agite tous ses membres et un bras invisible le repousse au loin. ― Malheureux ! lui cria une voix intérieure, que vas-tu faire ? Veux-tu porter atteinte à la divinité ? Nul homme, a dit l’oracle, ne soulèvera ce voile, si je ne le seconde moi-même. Mais ce même oracle n’a-t-il pas ajouté : Celui qui arrachera ce voile verra la vérité ? ― Qu’importe ce qu’il y a là derrière ? s’écrie le jeune homme, je veux le soulever, je veux la voir. ― La voir ! répète l’écho railleur.
Il dit et enlève le voile. Demandez maintenant ce qu’il a vu. Je ne le sais ; le lendemain les prêtres le trouvèrent pâle et inanimé, étendu aux pieds de la statue d’Isis. Ce qu’il a vu et éprouvé, sa langue ne l’a jamais dit. La gaieté de sa vie disparut pour toujours. Une douleur profonde le conduisit promptement au tombeau, et lorsqu’un curieux importun l’interrogeait : Malheur, répondait-il, malheur à celui qui arrive à la vérité par une faute ! Jamais elle ne le réjouira."
peinture de David Newbatt